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Il
sera question, pour ce numéro 2 de la Gazette,
de Candide. Quoi de plus normal, puisque c’est
l’œuvre majeure du séjour de Voltaire aux Délices
! Paul Souday rapporte l’interdiction qui fut faite de la
diffusion de Candide à Boston, voici presque quatre-vingts
ans. De quoi nous faire réfléchir sur la relativité
toujours très importante d’un terme aussi galvaudé
que « liberté »…
Rappelons que Paul Souday est bien connu pour ses écrits
sur Proust, Gide et Valéry en qui il avait reconnu, dés
le départ, les plus grands écrivains de leur époque.
Journaliste et chroniqueur à la revue Temps de
1911 à 1928, il rédige au printemps 1925 un article
relatif à la censure exercée aux Etats-Unis contre
Candide : comment un pays qui se proclame le champion
des libertés peut-il interdire un livre qui, précisément,
dénonce l’injustice humaine ? Paul Souday est également
l’auteur, en 1927, d’une édition de Mélanges
de Voltaire dans lesquels on trouve, entre autres, les Mémoires,
la Maladie du Jésuite Berthier et le Sermon des
Cinquante. Il fait précéder le texte voltairien
d’une étude intitulée « Voltaire démiurge
» où il fait le point, de manière parfois
caustique, sur la critique voltairienne du début du vingtième
siècle.
L’édition
des Mémoires suivis de Mélanges divers
préfacée par Paul Souday peut être consultée
à l’Institut et Musée Voltaire : on y trouvera
en outre un envoi à Lucien Descaves ainsi qu’une
lettre autographe signée au même, datée du
7 juillet 1927 (cote BA 1927/2).
On annonce que le Candide
de Voltaire vient d’être interdit à Boston.
Les dépêches internationales ne donnent pas très
souvent de nouvelles aussi remarquables, et pour certains lecteurs
celle-là passe en intérêt les comptes rendus
d’un tas de congrès et de séances électorales
ou parlementaires. Mais on ne prétendra pas qu’elle
fût inattendue, et si l’on s’étonne,
c’est d’apprendre que la chose n’était
pas depuis longtemps déjà faite. Candide
est de 1759 ; Voltaire avait soixante-cinq ans, et c’est
encourageant pour les hommes de lettres jeunes ou même un
peu mûrs, qui n’ont donc peut-être pas encore
dit leur dernier mot. Le succès fut immense, et tout de
suite constaté par les autorités les plus respectables.
Le conseil de Genève condamna l’ouvrage à
la destruction quelques jours après qu’il avait paru,
le 2 mars de la même année. L’autre Rome, la
catholique et la papiste, un peu moins pressée, attendit
jusqu’en 1762, mais Candide n’échappa
point davantage à ses foudres, et l’on sait que Voltaire
n’osa jamais aller en Italie, malgré le désir
qu’il en avait naturellement, parce qu’il craignait
de subir le même sort que ce Giordano Bruno dont M. Mussolini
a promis de maintenir la statue, voisine de la Cancelleria
et du marché aux fleurs. Les exemples romains n’ont
probablement pas beaucoup d’influence à Boston, capitale
intellectuelle et religieuse du puritanisme transatlantique, et
sorte de nouvelle Genève. Voltaire a eu tant de démêlés
avec l’ancienne, que la seconde ne pouvait être pour
lui de tout repos. Son Candide a donc été
arrêté à la douane, et refoulé comme
un immigrant indésirable ou une caisse de vin de Champagne.
Il y a bien là quelque ingratitude, mais Voltaire y est
habitué. Il rechercha dans ses dernières années
le voisinage de Genève, comme d’un pays supposé
libre, et il signait « le Suisse Voltaire », par amour
de la liberté. Mais il ne suffit pas qu’elle s’inscrive
dans les lois, les Constitutions et les déclarations solennelles,
si elle n’est pas dans les mœurs et dans les esprits.
Voltaire était favorable à l’indépendance
américaine, au point qu’on le voit au moins deux
fois embrassant Franklin dans son dernier séjour à
Paris, à l’Académie des sciences, et chez
lui, quai des Théatins, où il donna sa bénédiction
au petit-fils du bonhomme Richard. Ces pieux souvenirs n’ont
pas fléchi les gabelous bostoniens, qui sont sans pitié
comme le gendarme de Courteline. Ont-ils lu Candide ?
On en peut douter, et l’on croira plutôt qu’ils
ont parfois dégusté du cognac, pour s’assurer
que c’était dangereux. Ils obéissaient évidemment
à une consigne. Mais en quoi Candide peut-il choquer
les dirigeants de l’opinion américaine ?
La célèbre généalogie d’une
affection, malheureusement plus fameuse encore, communiquée
par la camériste Paquette au philosophe Pangloss, remonte
par un cordelier et quelques autres intermédiaires jusqu’à
sa source, c’est-à-dire à l’un des compagnons
de Christophe Colomb, qui l’avait rapportée d’Amérique.
Mais ce fléau n’était dû qu’aux
Indiens, Peaux-Rouges ou Caraïbes, avec lesquels les Yankees
ont si peu de solidarité qu’ils les ont consciencieusement
détruits. D’autre part, et en revanche, c’est
en Amérique, celle du sud, il est vrai –mais l’honneur
en rejaillit sur tout le nouveau continent- que Voltaire a situé
l’Eldorado, seul pays où règnent la vertu
et le bonheur, et où, du reste, sauf l’exception
presque miraculeuse de Candide et de Cacambo, personne ne peut
entrer, entouré qu’il est de montagnes et de précipices
pratiquement infranchissables. En tout cas, on ne peut pas soutenir
que Voltaire ait diffamé l’Amérique. Sont-ce
ses propos un peu gaillards qui ont ému la pruderie de
Boston ? On ne peut les nier, mais il n’y en a pas tant
: ils ont une signification salubre, et ne sont aucunement corrupteurs.
M. Lucien Romier, parlant récemment de l’Amérique,
ainsi que M. André Siegfried, dans un salon ami des lettres,
signalait le goût du public de là-bas pour notre
littérature contemporaine, notamment pour Valéry
et Proust. On s’en réjouit, mais il faut avouer que
Proust a des audaces plus inquiétantes que celles de Voltaire.
Ce n’est donc pas cela. Ce qui dans Voltaire déplaît
à beaucoup de gens, dont on n’aura pu excepter ni
Mme de Staël ni Michelet, c’est son manque d’aptitude
à la vénération, sa critique intrépide
qui n’épargne rien, ni personne, son ironie que les
femmes ne comprennent pas, et c’est le cas ou jamais de
répéter qu’il y a beaucoup d’hommes
qui sont femmes. C’est pourquoi beaucoup ont cru que dans
Candide il bafouait l’humanité, alors qu’il
la plaint et veut l’améliorer, qu’il ne dénonce
que les fléaux et les sottises dont elle souffre, souvent
par sa faute, et lui indique du doigt la voie
de la sagesse et du progrès : « Cultivons notre
jardin. » Qui ne sait pas lire et bien interpréter
Voltaire reste en retard dans la marche vers l’émancipation
de l’esprit et la vraie civilisation. Aussi l’université
de Harvard vient-elle de protester contre la décision de
Boston. Malgré ce prohibitionnisme, il y a donc encore
de l’espoir pour la libre Amérique.
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