Sans titre est le titre, ou l’absence de titre, proposé
par Charbel Makhlouf, jeune artiste basé à Genève,
pour l’installation multimédia qu’il propose
en salle centrale de l’exposition Tremblez, terriens
! jusqu’au 4 novembre prochain. Rappelons que cette installation
est composée de deux séquences vidéo et de
deux photographies, et qu’elle s’offre à l’œil
du visiteur dès son arrivée au premier étage
du bâtiment, face au Voltaire assis de Houdon.
L’entretien qui suit a eu lieu le vendredi 17 juin dernier
à Genève.
Question : Quelle est l’idée qui
sous-tend l’installation que vous proposez aujourd’hui
?
Réponse :
Il s’agissait de trouver une approche adéquate, un
lien pertinent autour de la question, centrale chez Voltaire,
de l’athéisme. Je voulais rendre cette question palpable,
être en mesure de pouvoir la faire toucher.
Question :
Voltaire n’était pourtant pas athée…
Réponse :
Non, mais émettre le moindre doute sur l’existence
de Dieu, n’est-ce pas déjà choisir une posture
athée ? Ceci dit, Voltaire a effectivement lutté
contre l’athéisme des matérialistes, et il
croit en Dieu. Mais il s’est explicitement posé la
question de l’athéisme. Or aujourd’hui, cette
question est tout à fait centrale dans le domaine artistique.
Question :
Mais comment peut-on faire toucher cette question ?
Réponse :
En agissant sur l’image de la même manière
que le poète agit sur les mots. Le travail de l’artiste
s’apparente d’ailleurs à une entreprise poétique.
De même qu’on cherche, en poésie, le moment
où on touche réellement au mot, on cherche, dans
le domaine artistique, le moment où on touche réellement
à l’image.
Question :
Vous prenez le terme « réellement » dans un
sens très concret…
Réponse :
Oui, parce que c’est dans ce contact avec la matière
qu’est la solution. Tant dans les deux vidéos que
dans les deux photographies qui sont proposées au public,
c’est la matière qui est donnée à voir.
Dans la première vidéo, que voit-on ? une boule
noire sur un fond blanc, et une main. Dans la deuxième
vidéo, la boule, bien que différente de la première,
est également à toucher, à envisager dans
ce qu’elle a de concret.
Question :
Il y a d’ailleurs quelque chose de sensuel qui se dégage
de la première vidéo…
Réponse :
Oui, c’est là que s’exprime à plein
tout le lien entre le toucher et le touchant.
Il faut vraiment le contact pour que l’émotion ou
l’intérêt surgissent. C’est cela qui
nous permet de dire que l’œuvre est là, qu’elle
est présente ou, pour paraphraser Blanchot, qu’elle
est.
Question :
L’œuvre n’est donc pas faite pour signifier mais,
plus simplement, pour être là…
Réponse :
L’œuvre, quelle qu’elle soit, tendra toujours
à donner du sens. Mais le sens doit rester secondaire.
Prenons l’exemple des deux photos. L’espace du regard
y est très restreint : on est à un mètre
de distance de la terre, le champ visuel reste très limité.
Question :
C’est également le cas dans les deux vidéos.
Réponse :
Oui, et c’est dans cette proximité que la question
se pose. Le visiteur ne voit pas les globes comme les verrait
un astronaute, il ne les voit pas de manière surplombante,
mais il doit être à même de les toucher, de
ressentir physiquement leur présence.
Question :
De nombreux visiteurs ont pourtant réagi aux vidéos
en fonction d’un sens symbolique. Dans la première,
par exemple, ils voyaient dans la boule noire le symbole de la
terre, et dans la main qui la tient la main de Dieu.
Réponse :
Cette boule agit en interaction avec l’autre. Dans la première
vidéo, celle de la boule noire, c’est la nuit, la
mort. Dans la seconde au contraire, on est en présence
d’une terre fertile, qui vient d’être retournée,
bref, d’une terre d’accueil.
Question :
Vous accordez beaucoup d’importance à cet aspect
concret de l’œuvre. Elle est pourtant très abstraite…
Réponse :
La force d’une telle installation réside précisément
dans son côté abstrait. Elle doit se lire comme une
sorte d’haiku, être toujours en suspension,
et se dire ainsi.
Question :
Avez-vous récemment été séduit par
une exposition d’art contemporain ?
Réponse :
Séduit est un mot faible. J’ai été
littéralement secoué (le mot est de circonstance)
par l’exposition de Jeff Wall à Bâle.
Question :
A voir, donc ?
Réponse :
A voir absolument.
Question :
Merci.
|