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La
prochaine commémoration du deux cent cinquantième
anniversaire du tremblement de terre de Lisbonne ainsi que la
récente actualité ont accéléré
la publication de nombreux ouvrages sur la question des catastrophes
naturelles. Arrêtons-nous un instant sur la Petite métaphysique
des tsunamis de Jean-Pierre Dupuy, parue en mai 2005 aux
éditions du Seuil.
Partisan de ce qu’il
nomme le « catastrophisme éclairé »,
ce disciple de René Girard part d’un constat tout
à fait effrayant : la catastrophe à laquelle nous
courons, et dont les signes sont perceptibles depuis le milieu
du siècle dernier (arme atomique, destruction programmée
de l’espèce humaine, réchauffement climatique,
etc.) ne peut plus être évitée que par une
prise de conscience collective et des mesures dont tout, aujourd’hui,
dit l’urgence. Malheureusement, nous refusons de croire
ce que nous savons : la catastrophe nous paraît chose lointaine,
inaccessible, plus ou moins nimbée d’une brume d’irréalité.
Et quant à ceux qui songent qu’elle est liée
au seul destin ou qu’elle est le produit d’une fatalité
contre laquelle nous ne pouvons lutter, Jean-Pierre Dupuy répond
que « la fatalité est la somme de nos démissions.
»
L’auteur part d’une
analyse des réactions suscitées, en 1755 et dans
les années qui suivirent, par le tremblement de terre de
Lisbonne. Après avoir rappelé les principaux éléments
de la querelle philosophique qui mèneront, du côté
voltairien, à l’écriture de Candide,
il en conclut, s’agissant des terribles événements
du 26 décembre dernier, à une parfaite adéquation
sinon des enjeux, du moins des termes : « Le décalque,
au style près, est presque parfait. De fait, la ressemblance
est hallucinante. » La conclusion s’impose alors d’elle-même
: « De Lisbonne 1755 à Sumatra 2004, tout se passait
comme si du mal nous n’avions rien appris. »
Car le cœur du problème
est là. C’est par une interrogation sur la nature
du mal que l’on parviendra, peut-être, à réveiller
les consciences. Jean-Pierre Dupuy cite abondamment Hannah Arendt
et analyse avec minutie le concept de thoughtlessness,
difficilement traduisible en français. Est thoughtless
celui qui n’est plus capable de mesurer les conséquences
effroyables de son geste, dès lors que ce geste atteint
à l’ordre du monde. Eichmann est ainsi l’exemple
type du coupable par thoughlessness. Mais comment, dira-t-on,
appliquer un tel concept à notre univers actuel ? C’est,
encore une fois, Hannah Arendt qui, dans sa Condition de l’homme
moderne, donne la réponse :
« Il se pourrait,
créatures terrestres qui avons commencé d’agir
en habitants de l’univers, que nous ne soyons plus jamais
capables de comprendre, c’est-à-dire de penser et
d’exprimer, les choses que nous sommes cependant capables
de faire. […] S’il s’avérait que le savoir
(au sens moderne de savoir-faire) et la pensée se sont
séparés pour de bon, nous serions bien alors les
jouets et les esclaves non pas tant de nos machines que de nos
connaissances pratiques, créatures thoughtlessness
à la merci de tous les engins techniquement possibles,
si meurtriers soient-ils. »
Et Jean-Pierre Dupuy d’insister
quant à lui sur le paradoxe de l’arme nucléaire.
A la suite de Günther Anders, dont la pensée est,
dans le volume, largement (re)présentée, il en vient
à dessiner un monde dépourvu de la volonté
du mal, mais où le mal, pour être, n’a précisément
plus besoin d’être le produit d’une volonté,
ou d’une conscience. La formule d’Anders, dans Hiroshima
est partout, est à cet égard éloquente
: « Nulle part il n’est trace de méchanceté,
il n’y a que des décombres. » Jean-Pierre Dupuy
peut alors légitimement s’interroger : « Partis
de Lisbonne en direction d’Hiroshima, serions-nous revenus
par mégarde à notre lieu d’embarquement ?
Il est un point cependant
où les analyses de Jean-Pierre Dupuy divergent de celles
de Günther Anders. Il écrit en effet : « Si
l’humanité réussissait à s’anéantir,
comme elle en prend le chemin, il faudrait dire, n’en déplaise
à Günther Anders, que ce serait un acte éminemment
sacrificiel et religieux. » Ce serait même, ajoute-t-il,
« le point culminant de toute l’histoire religieuse
de l’humanité. »
Le titre de l’ouvrage
laissait déjà parler le caractère central
du questionnement métaphysique : mais on doit reconnaître
que la partie terminale, où l’ombre de René
Girard devient réellement pesante, est la moins convaincante.
Le mal n’est pour Jean-Pierre Dupuy, en ce début
de vingt-et-unième siècle, ni « moral »
ni « naturel », mais il devient systémique.
« Sa forme », nous apprend l’auteur, «
est identique à celle du sacré. » A voir.
Ce livre est en tout cas,
et de loin, le plus stimulant de tous les essais récemment
parus sur la question des catastrophes, naturelles ou humaines.
La réflexion qu’il impose comme une urgence absolue
est le point d’orgue auquel devrait tendre toute commémoration
du deux cent cinquantième anniversaire du tremblement de
terre de Lisbonne. Affaire à suivre, donc.
Parmi les autres publications
francophones relatives au tremblement de terre de 1755, retenons
surtout l’ouvrage de Grégory Quenet, Les tremblements
de terre au XVIIe et au XVIIIe siècles : la naissance d’un
risque, Seyssel, Champ Vallon, 2005.
C’est au Portugal que
la moisson se devait d’être plus abondante. Et elle
l’est ! Citons d’abord le très bel album de
João Duarte Fonseca, 1755 : o terramoto de Lisboa,
avec une version anglaise par Reginald Brown, Lisbonne, Argumentum,
2004. Cet ouvrage en est déjà à sa troisième
édition. A voir aussi le très beau catalogue de
la récente exposition lisboète, Baixa Pombalina
: 250 anos em imagens, Lisbonne, Câmara municipal de
Lisboa, 2004, ainsi que celui du musée de l’Azulejo,
Lisbonne avant le tremblement de terre : le panneau (1720-1725)
du musée de l’Azulejo, Paris, Chandeigne, 2004.
Mais la publication la plus
spectaculaire reste le n°21 de la revue Monumentos,
entièrement consacré à la Baixa Pombalina,
dirigé par Margarida Alçada et publié à
Lisbonne par la direction générale des édifices
et monuments nationaux, en novembre 2004.
Disparition
Nous apprenons la toute
récente disparition du général Maurice Buffenoir,
petit-fils d’Hippolyte Buffenoir. Nous adressons à
son fils Michel ainsi qu’à toute sa famille nos plus
sincères regrets.
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