La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
       Eté 2005Accueil   IMV   Contact
           
   
           
  SOMMAIRE   Publications                              Cet article en pdf       NUMEROS PRECEDENTS
           
 

Actualités de l'IMV
Parution du premier numéro des Voltairiana
Voltaire nous écrit
Poème sur le désastre de Lisbonne 
Clin d'oeil
Charbel Makhlouf : Sans titre
A propos de ...
Rêver la ville
Nouvelles du XVIIIème siècle
Publications 
Liens
Autour du désastre de Lisbonne


Tout le numéro en pdf  

inscrivez-vous � la
Gazette des D�lices

 

La prochaine commémoration du deux cent cinquantième anniversaire du tremblement de terre de Lisbonne ainsi que la récente actualité ont accéléré la publication de nombreux ouvrages sur la question des catastrophes naturelles. Arrêtons-nous un instant sur la Petite métaphysique des tsunamis de Jean-Pierre Dupuy, parue en mai 2005 aux éditions du Seuil.

Partisan de ce qu’il nomme le « catastrophisme éclairé », ce disciple de René Girard part d’un constat tout à fait effrayant : la catastrophe à laquelle nous courons, et dont les signes sont perceptibles depuis le milieu du siècle dernier (arme atomique, destruction programmée de l’espèce humaine, réchauffement climatique, etc.) ne peut plus être évitée que par une prise de conscience collective et des mesures dont tout, aujourd’hui, dit l’urgence. Malheureusement, nous refusons de croire ce que nous savons : la catastrophe nous paraît chose lointaine, inaccessible, plus ou moins nimbée d’une brume d’irréalité. Et quant à ceux qui songent qu’elle est liée au seul destin ou qu’elle est le produit d’une fatalité contre laquelle nous ne pouvons lutter, Jean-Pierre Dupuy répond que « la fatalité est la somme de nos démissions. »

L’auteur part d’une analyse des réactions suscitées, en 1755 et dans les années qui suivirent, par le tremblement de terre de Lisbonne. Après avoir rappelé les principaux éléments de la querelle philosophique qui mèneront, du côté voltairien, à l’écriture de Candide, il en conclut, s’agissant des terribles événements du 26 décembre dernier, à une parfaite adéquation sinon des enjeux, du moins des termes : « Le décalque, au style près, est presque parfait. De fait, la ressemblance est hallucinante. » La conclusion s’impose alors d’elle-même : « De Lisbonne 1755 à Sumatra 2004, tout se passait comme si du mal nous n’avions rien appris. »

Car le cœur du problème est là. C’est par une interrogation sur la nature du mal que l’on parviendra, peut-être, à réveiller les consciences. Jean-Pierre Dupuy cite abondamment Hannah Arendt et analyse avec minutie le concept de thoughtlessness, difficilement traduisible en français. Est thoughtless celui qui n’est plus capable de mesurer les conséquences effroyables de son geste, dès lors que ce geste atteint à l’ordre du monde. Eichmann est ainsi l’exemple type du coupable par thoughlessness. Mais comment, dira-t-on, appliquer un tel concept à notre univers actuel ? C’est, encore une fois, Hannah Arendt qui, dans sa Condition de l’homme moderne, donne la réponse :

« Il se pourrait, créatures terrestres qui avons commencé d’agir en habitants de l’univers, que nous ne soyons plus jamais capables de comprendre, c’est-à-dire de penser et d’exprimer, les choses que nous sommes cependant capables de faire. […] S’il s’avérait que le savoir (au sens moderne de savoir-faire) et la pensée se sont séparés pour de bon, nous serions bien alors les jouets et les esclaves non pas tant de nos machines que de nos connaissances pratiques, créatures thoughtlessness à la merci de tous les engins techniquement possibles, si meurtriers soient-ils. »

Et Jean-Pierre Dupuy d’insister quant à lui sur le paradoxe de l’arme nucléaire. A la suite de Günther Anders, dont la pensée est, dans le volume, largement (re)présentée, il en vient à dessiner un monde dépourvu de la volonté du mal, mais où le mal, pour être, n’a précisément plus besoin d’être le produit d’une volonté, ou d’une conscience. La formule d’Anders, dans Hiroshima est partout, est à cet égard éloquente : « Nulle part il n’est trace de méchanceté, il n’y a que des décombres. » Jean-Pierre Dupuy peut alors légitimement s’interroger : « Partis de Lisbonne en direction d’Hiroshima, serions-nous revenus par mégarde à notre lieu d’embarquement ?

Il est un point cependant où les analyses de Jean-Pierre Dupuy divergent de celles de Günther Anders. Il écrit en effet : « Si l’humanité réussissait à s’anéantir, comme elle en prend le chemin, il faudrait dire, n’en déplaise à Günther Anders, que ce serait un acte éminemment sacrificiel et religieux. » Ce serait même, ajoute-t-il, « le point culminant de toute l’histoire religieuse de l’humanité. »

Le titre de l’ouvrage laissait déjà parler le caractère central du questionnement métaphysique : mais on doit reconnaître que la partie terminale, où l’ombre de René Girard devient réellement pesante, est la moins convaincante. Le mal n’est pour Jean-Pierre Dupuy, en ce début de vingt-et-unième siècle, ni « moral » ni « naturel », mais il devient systémique. « Sa forme », nous apprend l’auteur, « est identique à celle du sacré. » A voir.

Ce livre est en tout cas, et de loin, le plus stimulant de tous les essais récemment parus sur la question des catastrophes, naturelles ou humaines. La réflexion qu’il impose comme une urgence absolue est le point d’orgue auquel devrait tendre toute commémoration du deux cent cinquantième anniversaire du tremblement de terre de Lisbonne. Affaire à suivre, donc.

Parmi les autres publications francophones relatives au tremblement de terre de 1755, retenons surtout l’ouvrage de Grégory Quenet, Les tremblements de terre au XVIIe et au XVIIIe siècles : la naissance d’un risque, Seyssel, Champ Vallon, 2005.

C’est au Portugal que la moisson se devait d’être plus abondante. Et elle l’est ! Citons d’abord le très bel album de João Duarte Fonseca, 1755 : o terramoto de Lisboa, avec une version anglaise par Reginald Brown, Lisbonne, Argumentum, 2004. Cet ouvrage en est déjà à sa troisième édition. A voir aussi le très beau catalogue de la récente exposition lisboète, Baixa Pombalina : 250 anos em imagens, Lisbonne, Câmara municipal de Lisboa, 2004, ainsi que celui du musée de l’Azulejo, Lisbonne avant le tremblement de terre : le panneau (1720-1725) du musée de l’Azulejo, Paris, Chandeigne, 2004.

Mais la publication la plus spectaculaire reste le n°21 de la revue Monumentos, entièrement consacré à la Baixa Pombalina, dirigé par Margarida Alçada et publié à Lisbonne par la direction générale des édifices et monuments nationaux, en novembre 2004.

Disparition

Nous apprenons la toute récente disparition du général Maurice Buffenoir, petit-fils d’Hippolyte Buffenoir. Nous adressons à son fils Michel ainsi qu’à toute sa famille nos plus sincères regrets.





Vers le haut

 
       
       
     
© IMV Genève | 01.07.2005