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LE TAUREAU BLANC                  Cet article en pdf  

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Nous avons choisi de vous présenter aujourd’hui l’intégralité du Taureau blanc, dont l’édition critique signée René Pomeau, avec la collaboration de Marie-Hélène Cotoni et Christiane Mervaud, est récemment parue à la Voltaire Foundation (Œuvres complètes de Voltaire, 74A, 2006). Conte « égyptien », qui se trouve naturellement en bonne place dans l’exposition L’Égypte des Lumières, Le Taureau blanc a fait le 14 juin dernier, dans le cadre des « Nuits des Délices » l’objet d’une interprétation stylistique très convaincante d’Anne-Marie Garagnon. Une lecture-spectacle de ce conte est proposée les 21 et 22 septembre prochains à la Comédie de Ferney-Voltaire, avec Annick Gambotti et Victor Haïm (réservations au 00 33 4 50 28 09 16).

LE TAUREAU BLANC
traduit du syriaque par M. Mamaki,
interprète du roi d’Angleterre pour les langues orientales


Chap. Ier. - Comment la princesse Amaside rencontre un boeuf.


                La jeune princesse Amaside, fille d’Amasis, roi de Tanis en Égypte, se promenait sur le chemin de Péluse avec les dames de sa suite. Elle était plongée dans une tristesse profonde ; les larmes coulaient de ses beaux yeux. On sait quel était le sujet de sa douleur, et combien elle craignait de déplaire au roi son père par sa douleur même. Le vieillard Mambrès, ancien mage et eunuque des pharaons, était auprès d’elle, et ne la quittait presque jamais. Il la vit naître, il l’éleva, il lui enseigna tout ce qu’il est permis à une belle princesse de savoir des sciences de l’Égypte. L’esprit d’Amaside égalait sa beauté ; elle était aussi sensible, aussi tendre que charmante ; et c’était cette sensibilité qui lui coûtait tant de pleurs. 
            La princesse était âgée de vingt-quatre ans ; le mage Mambrès en avait environ treize cents. C’était lui, comme on sait, qui avait eu avec le grand Moïse cette dispute fameuse dans laquelle la victoire fut longtemps balancée entre ces deux profonds philosophes. Si Mambrès succomba, ce ne fut que par la protection visible des puissances célestes qui favorisèrent son rival ; il fallut des dieux pour vaincre Mambrès. L’âge affaiblit cette tête si supérieure aux autres têtes, et cette puissance qui avait résisté à la puissance universelle ; mais il lui resta toujours un grand fonds de raison : il ressemblait à ces bâtiments immenses de l’antique Égypte dont les ruines attestent la grandeur. Mambrès était encore fort bon pour le conseil ; et quoiqu’un peu vieux, il avait l’âme très compatissante. 
            Amasis le fit surintendant de la maison de sa fille ; et il s’acquittait de cette charge avec sa sagesse ordinaire : la belle Amaside l’attendrissait par ses soupirs. « Ô mon amant ! mon jeune et cher amant ! s’écriait-elle quelquefois ; ô le plus grand des vainqueurs, le plus accompli, le plus beau des hommes ! quoi ! depuis près de sept ans tu as disparu de la terre ! quel dieu t’a enlevé à ta tendre Amaside ? L’univers aurait célébré et pleuré ton trépas. Tu n’es point mort, les savants prophètes de l’Égypte en conviennent mais tu es mort pour moi, je suis seule sur la terre, elle est déserte. Par quel étrange prodige as-tu abandonné ton trône et ta maîtresse ? Ton trône ! il était le premier du monde, et c’est peu de chose ; mais moi, qui t’adore, ô mon cher Na...! » Elle allait achever. « Tremblez de prononcer ce nom fatal, lui dit le sage Mambrès, ancien eunuque et mage des pharaons. Vous seriez peut-être décelée par quelqu’une de vos dames du palais. Elles vous sont toutes dévouées, et toutes les belles dames se font sans doute un mérite de servir les passions des belles princesses ; mais enfin il peut se trouver une indiscrète et même à toute force une perfide. Vous savez que le roi votre père, qui d’ailleurs vous aime, a juré de vous faire couper le cou si vous prononciez ce nom terrible toujours prêt à vous échapper. Pleurez, mais taisez-vous. Cette loi est bien dure, mais vous n’avez pas été élevée dans la sagesse égyptienne pour ne savoir pas commander à votre langue. Songez qu’Harpocrate, l’un de nos plus grands dieux, a toujours le doigt sur sa bouche. » La belle Amaside pleura et ne parla plus. 
            Comme elle avançait en silence vers les bords du Nil, elle aperçut de loin, sous un bocage baigné par le fleuve, une vieille femme couverte de lambeaux gris, assise sur un tertre. Elle avait auprès d’elle une ânesse, un chien, un bouc. Vis-à-vis d’elle était un serpent qui n’était pas comme les serpents ordinaires, car ses yeux étaient aussi tendres qu’animés ; sa physionomie était noble et intéressante ; sa peau brillait des couleurs les plus vives et les plus douces. Un énorme poisson, à moitié plongé dans le fleuve, n’était pas la moins étonnante personne de la compagnie. Il y avait sur une branche un corbeau et un pigeon. Toutes ces créatures semblaient avoir ensemble une conversation assez animée. 
            « Hélas ! dit la princesse tout bas, ces gens-là parlent sans doute de leurs amours, et il ne m’est pas permis de prononcer le nom de ce que j’aime ! » 
            La vieille tenait à la main une chaîne légère d’acier, longue de cent brasses, à laquelle était attaché un taureau qui paissait dans la prairie. Ce taureau était blanc, fait au tour, potelé, léger même, ce qui est bien rare. Ses cornes étaient d’ivoire. C’était ce qu’on vit jamais de plus beau dans son espèce. Celui de Pasiphaé, celui dont Jupiter prit la figure pour enlever Europe, n’approchaient pas de ce superbe animal. La charmante génisse en laquelle Ibis fut changée aurait à peine été digne de lui. 
            Dès qu’il vit la princesse, il courut vers elle avec la rapidité d’un jeune cheval arabe qui franchit les vastes plaines et les fleuves de l’antique Saana, pour s’approcher de la brillante cavale qui règne dans son coeur, et qui fait dresser ses oreilles. La vieille faisait ses efforts pour le retenir ; le serpent semblait l’épouvanter par ses sifflements ; le chien le suivait et lui mordait ses belles jambes ; l’ânesse traversait son chemin, et lui détachait des ruades pour le faire retourner. Le gros poisson remontait le Nil, et s’élançant hors de l’eau, menaçait de le dévorer ; le bouc restait immobile et saisi de crainte ; le corbeau voltigeait autour de la tête du taureau, comme s’il eût voulu s’efforcer de lui crever les yeux. La colombe seule l’accompagnait par curiosité, et lui applaudissait par un doux murmure. 
            Un spectacle si extraordinaire rejeta Mambrès dans ses sérieuses pensées. Cependant le taureau blanc, tirant après lui sa chaîne et la vieille, était déjà parvenu auprès de la princesse, qui était saisie d’étonnement et de peur. Il se jette à ses pieds, il les baise, il verse des larmes ; il la regarde avec des yeux où régnait un mélange inouï de douleur et de joie. Il n’osait mugir, de peur d’effaroucher la belle Amaside. Il ne pouvait parler. Un faible usage de la voix accordé par le ciel à quelques animaux lui était interdit ; mais toutes ses actions étaient éloquentes. Il plut beaucoup à la princesse. Elle sentit qu’un léger amusement pouvait suspendre pour quelques moments les chagrins les plus douloureux. « Voilà, disait-elle, un animal bien aimable ; je voudrais l’avoir dans mon écurie. » 
            À ces mots, le taureau plia les quatre genoux, et baisa la terre. « Il m’entend ; s’écria la princesse, il me témoigne qu’il veut m’appartenir. Ah ! divin mage, divin eunuque, donnez-moi cette consolation, achetez ce beau chérubin ; faites le prix avec la vieille, à laquelle il appartient sans doute. Je veux que cet animal soit à moi ; ne me refusez pas cette consolation innocente. » Toutes les dames du palais joignirent leurs instances aux prières de la princesse. Mambrès se laissa toucher, et alla parler à la vieille. 


Chap. II. Comment le sage Mambrès, ci-devant sorcier de Pharaon, reconnut une vieille, et comme il fut reconnu par elle.

            « Madame, lui dit-il, vous savez que les filles, et surtout les princesses, ont besoin de se divertir. La fille du roi est folle de votre taureau ; je vous prie de nous le vendre, vous serez payée argent comptant. 
— Seigneur, lui répondit la vieille, ce précieux animal n’est point à moi. Je suis chargée, moi et toutes les bêtes que vous avez vues, de le garder avec soin, d’observer toutes ses démarches, et d’en rendre compte. Dieu me préserve de vouloir jamais vendre cet animal impayable ! » 
            Mambrès, à ce discours, se sentit éclairé de quelques traits d’une lumière confuse qu’il ne démêlait pas encore. Il regarda la vieille au manteau gris avec plus d’attention : « Respectable dame, lui dit-il, ou je me trompe, ou je vous ai vue autrefois. — Je ne me trompe pas, répondit la vieille ; je vous ai vu, seigneur, il y a sept cents ans dans un voyage que je fis de Syrie en Égypte, quelques mois après la destruction de Troie, lorsque Hiram régnait à Tyr, et Nephel Kerès sur l’antique Égypte. 
— Ah ! madame, s’écria le vieillard, vous êtes l’auguste Pythonisse d’Endor. — Et vous, seigneur, lui dit la Pythonisse en l’embrassant, vous êtes le grand Mambrès d’Égypte. 
— Ô rencontre imprévue ! jour mémorable ! décrets éternels ! dit Mambrès ; ce n’est pas, sans doute, sans un ordre de la Providence universelle que nous nous retrouvons dans cette prairie sur les rivages du Nil, près de la superbe ville de Tanis. Quoi ! c’est vous, madame, qui êtes si fameuse sur les bords de votre petit Jourdain, et la première personne du monde pour faire venir des ombres ! — Quoi ! c’est vous seigneur, qui êtes si fameux pour changer les baguettes en serpents, le jour en ténèbres, et les rivières en sang ! — Oui, madame ; mais mon grand âge affaiblit une partie de mes lumières et de ma puissance. J’ignore d’où vous vient ce beau taureau blanc, et qui sont ces animaux qui veillent avec vous autour de lui. » La vieille se recueillit, leva ses yeux au ciel, puis répondit en ces termes : 
            « Mon cher Mambrès, nous sommes de la même profession ; mais il m’est expressément défendu de vous dire quel est ce taureau. Je puis vous satisfaire sur les autres animaux. Vous les reconnaîtrez aisément aux marques qui les caractérisent. Le serpent est celui qui persuada Ève de manger une pomme, et d’en faire manger à son mari ; l’ânesse est celle qui parla dans un chemin creux à Balaam, votre contemporain. Le poisson qui a toujours sa tête hors de l’eau, est celui qui avala Jonas il y a quelques années. Ce chien est celui qui suivit l’ange Raphaël et le jeune Tobie dans le voyage qu’ils firent à Ragés en Médie, du temps du grand Salmanazar. Ce bouc est celui qui expie tous les péchés d’une nation ; ce corbeau et ce pigeon sont ceux qui étaient dans l’arche de Noé : grand événement, catastrophe universelle, que toute la terre ignore encore ! Vous voilà au fait. Mais, pour le taureau, vous n’en saurez rien. » 
            Mambrès écoutait avec respect. Puis il dit : « L’Éternel révèle ce qu’il veut et à qui il veut, illustre pythonisse. Toutes ces bêtes, qui sont commises avec vous à la garde du taureau blanc, ne sont connues que de votre généreuse et agréable nation, qui est elle-même inconnue à presque tout le monde. Les merveilles que vous et les vôtres, et moi et les miens, nous avons opérées, seront un jour un grand sujet de doute et de scandale pour les faux sages. Heureusement elles trouveront croyance chez les sages véritables qui seront soumis aux voyants dans une petite partie du monde, et c’est tout ce qu’il faut. » 
            Comme il prononçait ces paroles, la princesse le tira par la manche, et lui dit : « Mambrès, est-ce que vous ne m’achèterez pas mon taureau ? » Le mage, plongé dans une rêverie profonde, ne répondit rien ; et Amaside versa des larmes. 
            Elle s’adressa alors elle-même à la vieille, et lui dit : « Ma bonne, je vous conjure par tout ce que vous avez de plus cher au monde, par votre père, par votre mère, par votre nourrice, qui sans doute vivent encore, de me vendre non seulement votre taureau, mais aussi votre pigeon, qui lui paraît fort affectionné. Pour vos autres bêtes, je n’en veux point ; mais je suis fille à tomber malade de vapeur, si vous ne me vendez ce charmant taureau blanc, qui fera toute la douceur de ma vie. » 
            La vieille lui baisa respectueusement les franges de sa robe de gaze, et lui dit : « Princesse, mon taureau n’est point à vendre, votre illustre mage en est instruit. Tout ce que je pourrais faire pour votre service, ce serait de le mener paître tous les jours près de votre palais, vous pourriez le caresser, lui donner des biscuits, le faire danser à votre aise. Mais il faut qu’il soit continuellement sous les yeux de toutes les bêtes qui m’accompagnent, et qui sont chargées de sa garde. S’il ne veut point s’échapper, elles ne lui feront point de mal ; mais s’il essaye encore de rompre sa chaîne, comme il a fait dès qu’il vous a vue, malheur à lui ! je ne répondrais pas de sa vie. Ce gros poisson que vous voyez l’avalerait infailliblement, et le garderait plus de trois jours dans son ventre ; ou bien ce serpent, qui vous a paru peut-être assez doux et assez aimable, lui pourrait faire une piqûre mortelle. » 
            Le taureau blanc, qui entendait à merveille tout ce que disait la vieille, mais qui ne pouvait parler, accepta toutes ses propositions d’un air soumis. Il se coucha à ses pieds, mugit doucement, et regardant Amaside avec tendresse, il semblait lui dire : « Venez me voir quelquefois sur l’herbe. » Le serpent prit alors la parole, et lui dit : « Princesse, je vous conseille de faire aveuglément tout ce que Mlle d’Endor vient de vous dire. L’ânesse dit aussi son mot, et fut de l’avis du serpent. Amaside était affligée que ce serpent et cette ânesse parlassent si bien, et qu’un beau taureau, qui avait les sentiments si nobles et si tendres, ne pût les exprimer. « Hélas ! rien n’est plus commun à la cour, disait-elle tout bas ; on y voit tous les jours de beaux seigneurs qui n’ont point de conversation et des malotrus qui parlent avec assurance. 
— Ce serpent n’est point un malotru, dit Mambrès ; ne vous y trompez pas : c’est peut-être la personne de la plus grande considération. » 
            Le jour baissait, la princesse fut obligée de s’en retourner, après avoir bien promis de revenir le lendemain à la même heure. Ses dames du palais étaient émerveillées, et ne comprenaient rien à ce qu’elles avaient vu et entendu. Mambrès faisait ses réflexions. La princesse, songeant que le serpent avait appelé la vieille « mademoiselle » conclut au hasard qu’elle était pucelle, et sentit quelque affliction de l’être encore ; affliction respectable qu’elle cachait avec autant de scrupule que le nom de son amant. 


Chap. III. — Comment la belle Amaside eut un secret entretien avec un beau serpent.

            La belle princesse recommanda le secret à ses dames sur ce qu’elles avaient vu. Elles le promirent toutes, et en effet le gardèrent un jour entier. On peut croire qu’Amaside dormit peu cette nuit. Un charme inexplicable lui rappelait sans cesse l’idée de son beau taureau. Dès qu’elle put être en liberté avec son sage Mambrès, elle lui dit : « Ô sage ; cet animal me tourne la tête. — Il occupe beaucoup la mienne, dit Mambrès. Je vois clairement que ce chérubin est fort au-dessus de son espèce. Je vois qu’il y a là un grand mystère, mais je crains un événement funeste. Votre père Amasis est violent et soupçonneux ; toute cette affaire exige que vous vous conduisiez avec la plus grande prudence. 
— Ah ! dit la princesse, j’ai trop de curiosité pour être prudente ; c’est la seule passion qui puisse se joindre dans mon coeur à celle qui me dévore pour l’amant que j’ai perdu. Quoi ! ne pourrai-je savoir ce que c’est que ce taureau blanc qui excite dans moi un trouble si inouï ? 
— Madame, lui répondit Mambrès, je vous ai avoué déjà que ma science baisse à mesure que mon âge avance ; mais je me trompe fort, ou le serpent est instruit de ce que vous avez tant envie de savoir. Il a de l’esprit ; il s’explique en bons termes ; il est accoutumé depuis longtemps à se mêler des affaires des dames. — Ah ! sans doute, dit Amaside, c’est ce beau serpent de l’Égypte, qui, en se mettant la queue dans la bouche, est le symbole de l’éternité, qui éclaire le monde dès qu’il ouvre les yeux, et qui l’obscurcit dès qu’il les ferme. — Non, madame. — C’est donc le serpent d’Esculape? — Encore moins. — C’est peut-être Jupiter sous la forme d’un serpent ? — Point du tout. — Ah ! je vois, c’est votre baguette que vous changeâtes autrefois en serpent ? — Non, vous dis-je, madame ; mais tous ces serpents-là sont de la même famille. Celui-là a beaucoup de réputation dans son pays ; il y passe pour le plus habile serpent qu’on ait jamais vu. Adressez-vous à lui. Toutefois je vous avertis que c’est une entreprise fort dangereuse. Si j’étais à votre place je laisserais là le taureau, l’ânesse, le serpent, le poisson, le chien, le bouc, le corbeau, et la colombe ; mais la passion vous emporte ; tout ce que je puis faire est d’en avoir pitié et de trembler. » 
            La princesse le conjura de lui procurer un tête-à-tête avec le serpent. Mambrès, qui était bon, y consentit ; et, en réfléchissant toujours profondément, il alla trouver sa Pythonisse. Il lui exposa la fantaisie de sa princesse avec tant d’insinuation qu’il la persuada. 
            La vieille lui dit donc qu’Amaside était la maîtresse ; que le serpent savait très bien vivre ; qu’il était fort poli avec les dames ; qu’il ne demandait pas mieux que de les obliger, et qu’il se trouverait au rendez-vous. 
            Le vieux mage revint apporter à la princesse cette bonne nouvelle ; mais il craignait encore quelque malheur, et faisait toujours ses réflexions. « Vous voulez parler au serpent, madame ; ce sera quand il plaira à Votre Altesse. Souvenez-vous qu’il faut beaucoup le flatter, car tout animal est pétri d’amour-propre, et surtout lui. On dit même qu’il fut chassé autrefois d’un beau lieu par son excès d’orgueil. — Je ne l’ai jamais ouï dire, repartit la princesse. — Je le crois bien, » reprit le vieillard. Alors il lui apprit tous les bruits qui avaient couru sur ce serpent si fameux. « Mais, madame, quelque aventure si singulière qui lui soit arrivée, vous ne pouvez arracher son secret qu’en le flattant. Il passe dans un pays voisin pour avoir joué autrefois un tour pendable aux femmes ; il est juste qu’à son tour une femme le séduise. — J’y ferai mon possible » dit la princesse. 
            Elle partit donc avec ses dames du palais et le bon mage eunuque. La vieille alors faisait paître le taureau blanc assez loin. Membrès laissa Amaside en liberté, et alla entretenir sa Pythonisse. La dame d’honneur causa avec l’ânesse ; les dames de compagnie s’amusèrent avec le bouc, le chien, le corbeau, et la colombe. Pour le gros poisson, qui faisait peur à tout le monde, il se replongea dans le Nil par ordre de la vieille. 
            Le serpent alla aussitôt au-devant de la belle Amaside dans le bocage, et ils eurent ensemble cette conversation : 
LE SERPENT. — Vous ne sauriez croire combien je suis flatté, madame, de l’honneur que Votre Altesse daigne me faire. 
LA PRINCESSE. — Monsieur, votre grande réputation, la finesse de votre physionomie et le brillant de vos yeux, m’ont aisément déterminée à rechercher ce tête-à-tête. Je sais, par la voix publique (si elle n’est point trompeuse), que vous avez été un grand seigneur dans le ciel empyrée. 
LE SERPENT. — Il est vrai, madame, que j’y avais une place assez distinguée. On prétend que je suis un favori disgracié : c’est un bruit qui a couru d’abord dans l’Inde. Les brachmanes sont les premiers qui ont donné une longue histoire de mes aventures. Je ne doute pas que des poètes du Nord n’en fassent un jour un poème épique bien bizarre, car, en vérité, c’est tout ce qu’on en peut faire ; mais je ne suis pas tellement déchu que je n’aie encore dans ce globe-ci un domaine très considérable. J’oserais presque dire que toute la terre m’appartient. 
LA PRINCESSE. — Je le crois, monsieur, car on dit que vous avez le talent de persuader tout ce que vous voulez, et c’est régner que de plaire. 
LE SERPENT. — J’éprouve, madame, en vous voyant et en vous écoutant, que vous avez sur moi cet empire qu’on m’attribue sur tant d’autres âmes. 
LA PRINCESSE. — Vous êtes, je le crois, un animal vainqueur. On prétend que vous avez subjugué bien des dames, et que vous commençâtes par notre mère commune, dont j’ai oublié le nom. 
LE SERPENT. — On me fait tort : je lui donnai le meilleur conseil du monde. Elle m’honorait de sa confiance. Mon avis fut qu’elle et son mari devaient se gorger du fruit de l’arbre de la science. Je crus plaire en cela au maître des choses. Un arbre si nécessaire au genre humain ne me paraissait pas planté pour être inutile. Le maître aurait-il voulu être servi par des ignorants et des idiots ? L’esprit n’est-il pas fait pour s’éclairer, pour se perfectionner ? ne faut-il pas connaître le bien et le mal pour faire l’un et pour éviter l’autre ? Certainement on me devait des remerciements. 
LA PRINCESSE. — Cependant on dit qu’il vous en arriva mal. C’est apparemment depuis ce temps-là que tant de ministres ont été punis d’avoir donné de bons conseils, que tant de vrais savants et de grands génies ont été persécutés pour avoir écrit des choses utiles au genre humain. 
LE SERPENT. — Ce sont apparemment mes ennemis, madame, qui vous ont fait ces contes. Ils vont criant que je suis mal en cour. Une preuve que j’y ai un très grand crédit, c’est qu’eux-mêmes avouent que j’entrai dans le conseil quand il fut question d’éprouver le bonhomme Job, et que j’y fus encore appelé quand on prit la résolution de tromper un certain roitelet nommé Achab ; ce fut moi seul qu’on chargea de cette commission. 
LA PRINCESSE. — Ah ! monsieur ? je ne crois pas que vous soyez fait pour tromper. Mais, puisque vous êtes toujours dans le ministère, puis-je vous demander une grâce ? j’espère qu’un seigneur si aimable ne me refusera pas. 
LE SERPENT. — Madame, vos prières sont des lois. Qu’ordonnez-vous ? 
LA PRINCESSE. — Je vous conjure de me dire ce que c’est que ce beau taureau blanc pour qui j’éprouve dans moi des sentiments incompréhensibles, qui m’attendrissent, et qui m’épouvantent. On m’a dit que vous daigneriez m’en instruire. 
LE SERPENT. — Madame, la curiosité est nécessaire à la nature humaine, et surtout à votre aimable sexe ; sans elle on croupirait dans la plus honteuse ignorance. J’ai toujours satisfait, autant que je l’ai pu, la curiosité des dames. On m’accuse de n’avoir eu cette complaisance que pour faire dépit au maître des choses. Je vous jure que mon seul but serait de vous obliger ; mais la vieille a dû vous avertir qu’il y a quelque danger pour vous dans la révélation de ce secret. 
LA PRINCESSE. — Ah ! c’est ce qui me rend encore plus curieuse. 
LE SERPENT. — Je reconnais là toutes les belles dames à qui j’ai rendu service. 
LA PRINCESSE. — Si vous êtes sensible, si tous les êtres se doivent des secours mutuels, si vous avez pitié d’une infortunée, ne me refusez pas. 
LE SERPENT. — Vous me fendez le cœur ; il faut vous satisfaire ; mais ne m’interrompez pas. 
LA PRINCESSE. — Je vous le promets. 
LE SERPENT. — Il y avait un jeune roi, beau, fait à peindre, amoureux, aimé... 
LA PRINCESSE. — Un jeune roi ! beau, fait à peindre, amoureux, aimé ! et de qui ? et quel était ce roi ? quel âge avait-il ? qu’est-il devenu ? où est-il ? où est son royaume ? quel est son nom ? 
LE SERPENT. — Ne voilà-t-il pas que vous m’interrompez, quand j’ai commencé à peine ! Prenez garde ; si vous n’avez pas plus de pouvoir sur vous-même, vous êtes perdue. 
LA PRINCESSE. — Ah ! pardon, monsieur, cette indiscrétion ne m’arrivera plus ; continuez, de grâce. 
LE SERPENT. — Ce grand roi, le plus aimable et le plus valeureux des hommes, victorieux partout où il avait porté ses armes, rêvait souvent en dormant ; et, quand il oubliait ses rêves, il voulait que ses mages s’en ressouvinssent, et qu’ils lui apprissent ce qu’il avait rêvé sans quoi il les faisait tous pendre, car rien n’est plus juste. Or il y a bientôt sept ans qu’il songea un beau songe dont il perdit la mémoire en se réveillant ; et un jeune Juif, plein d’expérience, lui ayant expliqué son rêve, cet aimable roi fut soudain changé en bœuf ; car... 
LA PRINCESSE. — Ah ! c’est mon cher Nabu... » Elle ne put achever ; elle tomba évanouie. Mambrès, qui écoutait de loin, la vit tomber et la crut morte. 


Chap. IV. — Comment on voulut sacrifier le boeuf et exorciser la princesse.

            Mambrès courut à elle en pleurant. Le serpent est attendri ; il ne peut pleurer, mais il siffle d’un ton lugubre ; il crie : « Elle est morte ! » L’ânesse répète : « Elle est morte ! » Le corbeau le redit ; tous les autres animaux paraissaient saisis de douleur, excepté le poisson de Jonas, qui a toujours été impitoyable. La dame d’honneur, les dames du palais arrivent, et s’arrachent les cheveux. Le taureau blanc, qui paissait au loin, et qui entend leurs clameurs, court au bosquet, et entraîne la vieille avec lui en poussant des mugissements dont les échos retentissent. En vain toutes les dames versaient sur Amaside expirante leurs flacons d’eau de rose, d’oeillet, de myrte, de benjoin, de baume de la Mecque, de cannelle, d’amomum, de girofle, de muscade, d’ambre gris ; elle n’avait donné aucun signe de vie ; mais, dès qu’elle sentit le beau taureau blanc à ses côtés, elle revint à elle plus fraîche, plus belle, plus animée que jamais. Elle donna cent baisers à cet animal charmant, qui penchait languissamment sa tête sur son sein d’albâtre. Elle l’appelle : « Mon maître, mon roi, mon coeur, ma vie. » Elle passe ses bras d’ivoire autour de ce cou plus blanc que la neige. La paille légère s’attache moins fortement à l’ambre, la vigne à l’ormeau, le lierre au chêne. On entendait le doux murmure de ses soupirs ; on voyait ses yeux tantôt étincelant d’une tendre flamme, tantôt offusqués par ces larmes précieuses que l’amour fait répandre. 
            On peut juger dans quelle surprise la dame d’honneur d’Amaside et les dames de compagnie étaient plongées. Dès qu’elles furent rentrées au palais, elles racontèrent toutes à leurs amants cette aventure étrange, et chacune avec des circonstances différentes, qui en augmentaient la singularité, et qui contribuent toujours à la variété de toutes les histoires. 
            Dès qu’Amasis, roi de Tanis, en fut informé, son coeur royal fut saisi d’une juste colère. Tel fut le courroux de Minos, quand il sut que sa fille Pasiphaé prodiguait ses tendres faveurs au père du minotaure. Ainsi frémit Junon lorsqu’elle vit Jupiter son époux caresser la belle vache Io, fille du fleuve Inachus. Amasis fit enfermer la belle Amaside dans sa chambre, et mit une garde d’eunuques noirs à sa porte ; puis il assembla son conseil secret. 
            Le grand mage Mambrès y présidait, mais il n’avait plus le même crédit qu’autrefois. Tous les ministres d’État conclurent que le taureau blanc était un sorcier. C’était tout le contraire, il était ensorcelé ; mais on se trompe toujours à la cour dans ces affaires délicates. 
            On conclut à la pluralité des voix qu’il fallait exorciser la princesse et sacrifier le taureau blanc et la vieille. 
            Le sage Mambrès ne voulut point choquer l’opinion du roi et du conseil. C’était à lui qu’appartenait le droit de faire les exorcismes ; il pouvait les différer sous un prétexte très plausible. Le dieu Apis venait de mourir à Memphis. Un dieu boeuf meurt comme un autre. Il n’était permis d’exorciser personne en Égypte jusqu’à ce qu’on eût trouvé un autre boeuf qui pût remplacer le défunt. 
            Il fut donc arrêté dans le conseil qu’on attendrait la nomination qu’on devait faire du nouveau dieu à Memphis. 
            Le bon vieillard Mambrès sentait à quel péril sa chère princesse était exposée : il voyait quel était son amant. Les syllabes « Nabu, » qui lui étaient échappées, avaient décelé tout le mystère aux yeux de ce sage. 
            La dynastie de Memphis appartenait alors aux Babyloniens ; ils conservaient ce reste de leurs conquêtes passées, qu’ils avaient faites sous le plus grand roi du monde, dont Amasis était l’ennemi mortel. Mambrès avait besoin de toute sa sagesse pour se bien conduire parmi tant de difficultés. Si le roi Amasis découvrait l’amant de sa fille, elle était morte, il l’avait juré. Le grand, le jeune, le beau roi dont elle était éprise, avait détrôné son père, qui n’avait repris son royaume de Tanis que depuis près de sept ans qu’on ne savait ce qu’était devenu l’adorable monarque, le vainqueur et l’idole des nations, le tendre et généreux amant de la charmante Amaside. Mais aussi, en sacrifiant le taureau on faisait mourir infailliblement la belle Amaside de douleur. 
            Que pouvait faire Mambrès dans des circonstances si épineuses ? Il va trouver sa chère nourrissonne au sortir du conseil, et lui dit : « Ma belle enfant, je vous servirai ; mais, je vous le répète, on vous coupera le cou si vous prononcez jamais le nom de votre amant. 
— Ah ! que m’importe mon cou, dit la belle Amaside, si je ne puis embrasser celui de Nabucho...! Mon père est un bien méchant homme ; non seulement il refusa de me donner un beau prince que j’idolâtre, mais il lui déclara la guerre ; et, quand il a été vaincu par mon amant, il a trouvé le secret de le changer en boeuf. A-t-on jamais vu une malice plus effroyable ? si mon père n’était pas mon père, je ne sais pas ce que je lui ferais. 
— Ce n’est pas votre père qui lui a joué ce cruel tour, dit le sage Mambrès, c’est un Palestin, un de nos anciens ennemis, un habitant d’un petit pays compris dans la foule des États que votre auguste amant a domptés pour les policer. Ces métamorphoses ne doivent point vous surprendre ; vous savez que j’en faisais autrefois de plus belles : rien n’était plus commun alors que ces changements qui étonnent aujourd’hui les sages. L’histoire véritable que nous avons lue ensemble nous a enseigné que Lycaon, roi d’Arcadie, fut changé en loup. La belle Calisto, sa fille, fut changée en ourse ; Io, fille d’Inachus, notre vénérable Isis, en vache ; Daphné, en laurier ; Syrinx, en flûte. La belle Édith, femme de Loth, le meilleur, le plus tendre père qu’on ait jamais vu, n’est-elle pas devenue dans notre voisinage une grande statue de sel très belle et très piquante, qui a conservé toutes les marques de son sexe, et qui a régulièrement ses ordinaires chaque mois, comme l’attestent les grands hommes qui l’ont vue ? J’ai été témoin de ce changement dans ma jeunesse. J’ai vu cinq puissantes villes, dans le séjour du monde le plus sec et le plus aride, transformées tout à coup en un beau lac. On ne marchait dans mon jeune temps que sur des métamorphoses. 
            « Enfin, madame, si les exemples peuvent adoucir votre peine, souvenez-vous que Vénus a changé les Cérastes en boeufs. — Je le sais, dit la malheureuse princesse, mais les exemples consolent-ils ? Si mon amant était mort, me consolerais-je par l’idée que tous les hommes meurent ? — Votre peine peut finir, dit le sage ; et puisque votre tendre amant est devenu boeuf, vous voyez bien que de boeuf il peut devenir homme. Pour moi, il faudrait que je fusse changé en tigre ou on crocodile, si je n’employais pas le peu de pouvoir qui me reste pour le service d’une princesse digne des adorations de la terre, pour la belle Amaside, que j’ai élevée sur mes genoux, et que sa fatale destinée met à des épreuves si cruelles. » 


Chap. V. — Comment le sage Mambrès se conduisit sagement.

            Le divin Mambrès ayant dit à la princesse tout ce qu’il fallait pour la consoler, et ne l’ayant point consolée, courut aussitôt à la vieille. « Ma camarade, lui dit-il, notre métier est beau, mais il est bien dangereux ; vous courez risque d’être pendue, et votre boeuf d’être brûlé, ou noyé, ou mangé. Je ne sais point ce qu’on fera de vos autres bêtes ; car, tout prophète que je suis, je sais bien peu de choses ; mais cachez soigneusement le serpent et le poisson ; que l’un ne mette pas sa tête hors de l’eau, et que l’autre ne sorte pas de son trou. Je placerai le boeuf dans une de mes écuries à la campagne ; vous y serez avec lui, puisque vous dites qu’il ne vous est pas permis de l’abandonner. Le bouc émissaire pourra dans l’occasion servir d’expiatoire ; nous l’enverrons dans le désert chargé des péchés de la troupe ; il est accoutumé à cette cérémonie, qui ne lui fait aucun mal, et l’on sait que tout s’expie avec un bouc qui se promène. Je vous prie seulement de me prêter tout à l’heure le chien de Tobie, qui est un lévrier fort agile ; l’ânesse de Balaam, qui court mieux qu’un dromadaire ; le corbeau et le pigeon de l’arche, qui volent très rapidement. Je veux les envoyer en ambassade à Memphis pour une affaire de la dernière conséquence. 
            La vieille repartit au mage : « Seigneur, vous pouvez disposer à votre gré du chien de Tobie, de l’ânesse de Balaam, du corbeau et du pigeon de l’arche, et du bouc émissaire mais mon boeuf ne peut coucher dans une écurie. Il est dit qu’il doit « être attaché à une chaîne d’acier, être toujours mouillé de la rosée, et brouter l’herbe sur la terre, et que sa portion sera avec les bêtes sauvages. » Il m’est confié, je dois obéir. Que penseraient de moi Daniel, Ézéchiel et Jérémie si je confiais mon boeuf à d’autres qu’à moi-même ? Je vois que vous savez le secret de cet étrange animal : je n’ai pas à me reprocher de vous l’avoir révélé. Je vais le conduire loin de cette terre impure, vers le lac de Sirbon, loin des cruautés du roi de Tanis. Mon poisson et mon serpent me défendront : je ne crains personne quand je sers mon maître. » 
            Le sage Mambrès repartit ainsi : « Ma bonne, la volonté de Dieu soit faite ! pourvu que je retrouve notre taureau blanc, il ne m’importe ni du lac de Sirbon, ni du lac de Moeris, ni du lac de Sodome ; je ne veux que lui faire du bien et à vous aussi. Mais pourquoi m’avez-vous parlé de Daniel, d’Ézéchiel et de Jérémie ? — Ah ! seigneur, reprit la vieille, vous savez aussi bien que moi l’intérêt qu’ils ont eu dans cette grande affaire mais je n’ai point de temps à perdre ; je ne veux point être pendue ; je ne veux point que mon taureau soit brûlé, ou noyé, ou mangé. Je m’en vais auprès du lac de Sirbon par Canope avec mon serpent et mon poisson. Adieu. » 
            Le taureau la suivit tout pensif, après avoir témoigné au bienfaisant Mambrès la reconnaissance qu’il lui devait. 
            Le sage Mambrès était dans une cruelle inquiétude. Il voyait bien qu’Amasis, roi de Tanis, désespéré de la folle passion de sa fille pour cet animal, et la croyant ensorcelée, ferait poursuivre partout le malheureux taureau, et qu’il serait infailliblement brûlé, en qualité de sorcier, dans la place publique de Tanis, ou livré au poisson de Jonas, ou rôti, ou servi sur table. Il voulait, à quelque prix que ce fût, épargner ce désagrément à la princesse. 
            Il écrivit une lettre au grand prêtre de Memphis, son ami, en caractères sacrés, sur du papier d’Égypte qui n’était pas encore en usage. Voici les propres mots de sa lettre : 
« Lumière du monde, lieutenant d’Isis, d’Osiris et d’Horus, chef des circoncis, vous dont l’autel est élevé, comme de raison, au-dessus de tous les trônes ; j’apprends que votre dieu le boeuf Apis est mort. J’en ai un autre à votre service. Venez vite avec vos prêtres le reconnaître, l’adorer et le conduire dans l’écurie de votre temple. Qu’Isis, Osiris et Horus, vous aient en leur sainte et digne garde, et vous, messieurs les prêtres de Memphis, en leur sainte garde ! 
« Votre affectionné ami, »
« MAMBRÈS. » 

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© IMV Genève | 01.07.2007