La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
   
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Du nouveau sur la mort, digne ou indigne, de Voltaire
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37, p. 144, remplacer : « … à qui j’étais attaché depuis si longtemps » par : « à qui j’étais depuis si longtems attaché ».

38, p. 146, après : « Je ne le ferai pas, cela m’est impossible », ajouter : « à moins qu’il ne me dise lui même que mon attachement lui déplaît ».

39, p. 147, supprimer : « Elle [Mme Denis] espérait bien que si une fois j’étais parti, on trouverait le moyen de m’empêcher de revenir » et remplacer : « Le jeune homme ayant été refusé par son oncle » par : « Il [Voltaire] le refusa ».

40, p. 148, après : « Alors pour dernière ressource, M. de Thibouville… », placer appel de note et en note : « C’est le même qui a volé et vendu cinquante Louis un des exemplaires manuscrits et tronqué, de la tragédie d’Irène ».

41, p. 148, remplacer : « C’était à Paris au contraire qu’il devrait craindre la persécution ; elle commençait même déjà de la part des prêtres puisqu’ils prêchaient… » par : « C’était à Paris, non à Ferney, où les prêtres se préparaient à le persécuter, puis que même ils prêchaient déjà… »

42, p. 149, note l, remplacer : « Le Roi avait dit que, puisque ce vieillard devait s’en retourner bientôt, il fallait le laisser tranquillement finir ses jours dans sa retraite. Mais s’il était resté à Paris, et s’il n’y était pas mort si promptement, on aurait fini par le tracasser et le persécuter tellement qu’il eût été obligé de le quitter malgré lui » par : « Le Roi avait dit Je n’aime pas Voltaire mais puisqu’il s’en retournait, il fallait le laisser finir ses jours dans sa retraite. Mais s’il n’était pas mort on l’aurait certainement persécuté à Paris et obligé d’en sortir malgré lui ».

43, p. 149, remplacer : « M. de Lalande vint avec tous les francs-maçons » par « M. de Lalande vint avec une trentaine de francs-maçons » (44).

44, p. 151, remplacer : « Je ne puis m’en retourner à présent à Ferney ; je vous prie instamment de vous y rendre, pour y chercher les papiers dont j’ai besoin, et me les rapporter » par : « Je ne puis m’en retourner à present à Ferney ; Je vous suplie en grace d’y aller faire un petit tour pour chercher mes papiers ».

45, p. 151, remplacer : « Il pleurait comme un enfant en disant ces mots, et je n’en étais pas moins ému que lui » par : « Il pleurait comme un enfant et j’étais pénétré ».

46, p. 152, remplacer : « Je m’arrachai alors des siens [les bras de Voltaire] et me retirai sans pouvoir lui rien dire plus, tant j’étais plein de trouble et d’agitation » par : « Je m’arrachai alors des siens et me sauvai ».

47, p. 153, supprimer : « J’adressai au premier [le banquier Shérer de Lyon] seize cents louis d’or que je trouvai à Ferney ».

48, p. 153, au sujet du projet de dictionnaire soumis par Voltaire à l’Académie française, remplacer : « il s’anima très fort, ce qui parut un peu déplaire à ses confrères. Peut-être cette espèce d’ascendant ou de supériorité qui, aux yeux de plusieurs d’entre eux, semblait être acquise à son âge et à son génie, donnait quelque ombrage à d’autres » par : « il s’anima très fort, ce qui parut un peu déplaire à ses confrères, mais principalement cette supériorité qu’il semblait être en droit de prétendre sur eux ».

49, p. 157, supprimer la note n et la remplacer par : « Il m’écrivit dans une de ces lettres ces propres mots : ah ! qu’on m’a trompé. Je suis bien puni d’avoir quitté Ferney ».

50, p. 159, déplacer tout le second paragraphe en note, appelée après : « se montrer à son maître », et remplacer : « M. Racle […] n’ayant pu, malgré ses prières et diverses tentatives, obtenir de le voir, trouva enfin le moyen […] » par : « Mr. Racle […] aiant après plusieurs tentatives inutiles, et malgré ses prières, trouvé le moien ».

51, p. 160, remplacer : « madame Denis m’écrivit enfin que son oncle avait été fort malade, mais que cela allait mieux ; que cependant je devais partir sur le champ, en apportant avec moi tous les papiers d’affaires de son oncle » par : « made. Denis m’écrivit enfin que son oncle avait été fort malade, que je devais partir d’abord ».

52, p. 160, remplacer : « le curé de Saint-Suplice s’avança ensuite, s’étant fait connaître, et demanda à M. de Voltaire s’il reconnaissait la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ ? Le malade alors porta une de ses mains sur la calotte du curé, en le repoussant, et s’écria, en se retournant brusquement de l’autre côté : Laissez-moi mourir en paix ! Le curé, apparemment, crut sa personne souillée et sa calotte déshonorée par l’attouchement d’un philosophe ; il se fit donner un coup de brosse par la garde-malade, et partit avec l’abbé Gautier. Après leur sortie, M. de Voltaire dit : Je suis donc un homme mort » par : « Le curé de St. Suplice s’avança ensuite, s’étant fait connaître, il demanda à M. de Voltaire s’il reconnaissait la divinité de nôtre Seigneur Jesus Christ ? Le malade alors porta une de ses mains sur la calote du curé en le repoussant, et la couvrit de merde [sic] ; se retournant ensuite de l’autre côté avec un geste violent, il répondit : Laissez-moi mourir en paix. Le curé se fit laver et partit avec l’abbé. M. de Voltaire dit alors, Je suis un homme mort ».

53, p. 163, remplacer : « Toi faire dans vingt siècles encore la réputation d’une abbaye qui possède tes précieux restes ! » par : « Toi faire dans vingt siecles la réputation d’une abbaïe où tes mânes reposent ! »

54, p. 164, remplacer : « tu es renfermé dans le fond de mon cœur, tes mânes connaîtront ma douleur, car tu es immortel dans tous les sens. Si ceux qui devaient être à jamais touchés de ta perte, t’ont sitôt oublié, ton chétif mais fidèle serviteur t’offre au moins tous les jours son hommage par ses larmes ; il l’ose joindre à celui que n’a pas dédaigné de te rendre la plus grande souveraine du monde, et qui par là ajoute encore un nouveau genre de gloire à tous ceux dont elle s’est couverte. Toi qui l’as chérie autant qu’admirée, combien tu serais touché si tu pouvais, du sein de la tombe, voir tout ce qu’elle fait pour ta mémoire de digne d’elle et de toi, et être témoin, comme je l’ai été, […] » par « tu es enterré dans le fond de mon cœur que tu as formé à la vertu, tes mânes connaîtront ma douleur, car tu es immortel sans doute. Si ceux qui doivent être touchés de ta perte t’ont sitôt oublié, ton petit serviteur au moins t’offre son hommage tous les jours par ses larmes, il l’ose joindre à celui qu’a daigné te rendre la plus grande souveraine du monde, et qui par là ajoute encor ce genre de gloire à tous ceux dont elle s’est couverte. Que ton cœur qui l’a véritablement aimée et admirée serait attendri en voiant tout ce qu’elle seule fait pour ta mémoire de digne d’elle et de toi ! »

55, p. 166, remplacer la note s par : « La troisième question qu’elle [Mme Denis] me fit tranquilement à mon arrivée fut mon oncle a-t-il laissé beaucoup d’argent comptant ? dans le moment que je jettais les hauts [cris ?] et me roulais sur son lit [celui de Voltaire] presque en délire.

56, p. 166, remplacer : « Il [Voltaire] ne me donnait en conséquence que des appointements modiques et quelques cadeaux à ma femme et à mes enfants ; mais nous étions heureux chez lui et très contents de notre sort : nous n’aurions jamais rien désiré de plus, tant qu’aurait duré la vie de M. de Voltaire » par : « Je n’avais que deux cent francs de gages par an, et ma femme cent, mais nous étions heureux et contents de nôtre sort pendant la vie de Mr. De Voltaire ».

57, p. 168, remplacer : « … cette terre qui devait rester toujours dans sa famille venait d’être vendue à M. le marquis de Villette, pour deux cent trente mille francs » par : « … cette terre qui devait rester perpetuellement dans sa famille, venait d’être vendue par elle [Mme Denis] secretement, à Mr. le Marquis de Villette pour deux cent trente mille livres ».

58, p. 168, supprimer : « , propos dont elle a eu connaissance, et dont il n’a pas tenu à elle que je ne passasse pour l’inventeur ».

59, p. 168, note u, remplacer : « elle [Mme Denis] aurait voulu anéantir tout ce qui pouvait lui rappeler M. de Voltaire » par : « elle aurait voulu anéantir tout [sic] ceux, et ce qui pouvait lui rappeler Mr. de Voltaire ».

60, p. 169, remplacer : « Il [de Villette] fit arranger dans une armoire une espèce de petit tombeau de terre cuite vernissée, ou plutôt les débris d’un poêle, de la valeur d’environ deux louis, et dit avoir déposé dans ce beau monument le cœur de M. de Voltaire, qui n’y est point du tout » par : « il fit construire une espece de petit tombeau (ou plutôt un débris de poële) de terre cuite vernissée, du prix d’environ deux louis, dans lequel il dit avoir déposé le cœur de Mr. De Voltaire, ce qui n’est pas vrai ».

61, p. 169, note x, remplacer : « On voit, avec serrement de cœur, dans un cabaret de Ferney, les portes de cette même armoire qui était dans la chambre de M. de Voltaire, et dans laquelle il renfermait ses papiers. M. de Villette les a vendues au cabaretier ainsi que son écritoire, ses flambeaux, etc. On peut juger par là combien la mémoire de ce grand homme est chère au nouveau possesseur de Ferney. Quand on entre dans cette chambre, au lieu du recueillement et de la vénération qu’elle doit inspirer à tout homme qui pense, on n’y éprouve que le sentiment de l’indignation et de la pitié » par : « On voit avec un serrement de cœur dans l’un des cabarets de Ferney les portes mêmes de l’armoire de la chambre de Mr. de Voltaire, dans laquelle il renfermait ses papiers. Mr. de Villette les a vendues à ce cabaretier, ainsi que son ecritoire, ses flambeaux, son bureau, ses commodes, ses matelas, etc. On peut juger par là combien la mémoire de ce grand homme est chere au nouveau possesseur de Ferney. Quand on rentre dans sa chambre, au lieu d’éprouver cette espéce de vénération qu’il inspirait, on a envie de rire ».

62, p. 170, cinquième ligne, remplacer : « du tombeau » par : « du prétendu tombeau ».

63, p. 170, 12e ligne, remplacer : « Grimm, qui en cette occasion m’a servi de père » par « Grimm, qui depuis la mort de Mr. de Voltaire m’a servi comme de père ».

64, p. 173, note a, dans la lettre à Mme Denis du 25 mai, déplacer l’appel de note à la page 174 dans la lettre du 26 mai après : « mon oncle va beaucoup mieux depuis hier », supprimer la note e qui s’y trouve et la remplacer par : « Vous aviez cependant, Madame, dans ce moment là même, la précaution d’ordonner qu’on préparat son carosse pour le mener enterrer. Oh c’est en vérité une belle chose que la prévoiance ! »

65, p. 174, dans la lettre du 25 mai, corriger la note d en : « Tarare (45) ! comme vous n’en aviez pas [d’amitié] pour vôtre oncle ; je ne devais pas me flatter d’avoir ce bonheur plus que lui ; et ce que vous avez fait depuis pour moi en est la preuve ».

66, p. 174-176, Wagnière ne donne que des extraits de la lettre de Mme Denis du 26 mai, intégralement restituée par Decroix.

67, p. 174, après le passage de la lettre du 26 mai, « j’espère que nous le [Voltaire] conserverons », porter appel de note et en note : « Embaumé sans doute ».

68, p. 175, après le passage de la lettre du 26 mai, « il ne faut pas affermer Ferney », porter appel de note et en note : « C’est sans doute dans le moment ou [sic] il vous fit sortir de sa chambre ».

69, p. 175, après le passage de la lettre du 26 mai, « Madame Cramer Dallon », corriger ce dernier mot en : « Dellon » (46), porter un appel de note et en note : « J’ai vu pleurer cette Dame, mais non pas vous sur la mort de Mr. de Voltaire, plut à Dieu que vous l’eussiez autant aimé, qu’elle et Mr. Cramer ont été affectés, il vivrait encor ». 

70, p. 176, après le passage de la lettre de Mme Denis, « Adieu mon cher ami ; je suis aujourd’hui bien plus contente », porter un appel de note et en note : « oh pour celà je le crois bien ».

71, p. 177, supprimer la note g (l’appel de note manque dans l’imprimé).

72, p. 177, dans la lettre de d’Hornoy du 25 mai, supprimer : « Hâtez-vous donc de venir, mon cher Wagnière ; vous consolerez peut-être les derniers moments d’un homme que vous aimez, qui vous aime beaucoup » et remplacer par : « Vous partageriez ici, mon cher Wagnière, un spectacle bien déchirant, mais vous consoleriez peut être les derniers moments d’un homme que vous aimez, qui vous aime beaucoup » (47).

73, p. 177, dans la lettre de d’Hornoy du 26 mai, porter après : « Les nouvelles […] sont toujours plus fâcheuses » un appel de note et en note : « Made. Denis me mandait cependant au même instant qu’il allait beaucoup mieux ».

Les interventions de Decroix obéissent à des motifs très variés. Légitimes sont celles qui relèvent de l’orthographe ou de la grammaire. On questionnera cependant à l’envi la pertinence de ses corrections stylistiques. Faut-il vraiment préférer « … M. le duc d’Orléans, qui le fit inviter deux fois d’assister à son spectacle » à « Mgr. le duc d’Orléans, au spectacle duquel nous fûmes invités deux fois » ou « une abbaye qui possède tes précieux restes » à l’« abbaye où tes mânes reposent » (48) ? D’autres interventions sont anodines, l’éditeur reportant dans le corps du texte des notes en bas de page. Certaines se justifient scientifiquement : Decroix restitue le texte intégral des lettres dont Wagnière donne des extraits, même si sa leçon est parfois fautive (49). L’éditeur apporte des précisions complémentaires, notamment en interpolant la correspondance avec le curé de Saint-Sulpice, en portant une date ou en rapportant que telle représentation était la sixième d’Irène. Il retranche a contrario diverses précisions : il supprime le compliment de Voltaire à la comédienne Vestris, la mention de la « trentaine » de francs-maçons de la Loge des Neuf-Sœurs ou des « bureau, commodes et matelas » vendus par de Villette (50).

Pour le reste, la main lourde de Decroix est sujette à caution. Évoquant d’Argental, il supprime l’allusion laissant entendre que les éditeurs de Kehl ont altéré la Correspondance (51). Il cherche à introduire plus de pathos dans la narration de la séparation de Voltaire et de Wagnière (52). Il corrige la prose du secrétaire au nom :

-de la vraisemblance : les « quatre mille lieues » parcourues par le mystérieux prêtre se ramènent à « quatre cent » ; plutôt que de se frapper la tête contre les murs, Wagnière s’agite près de la porte et il ignorait que Louis XVI n’aimait pas Voltaire (53),
 
-de la convenance : Voltaire ne saurait décemment chanter dans son carrosse, jurer mort-dieu, se faire tailler la pierre ou supplier son secrétaire ; un prêtre ne peut exiger de lui un billet de rétractation ; il est exclu de penser que le patriarche n’osait pas retourner à Paris en raison de l’opposition de Louis XVI (54),

-et de la bienséance : Decroix expurge la macabre plaisanterie sur Mme Denis préférant conserver son oncle embaumé plutôt que vivant, l’anecdote de Voltaire lui donnant un coup de poing ainsi que la description de l’agonisant couvert d’excréments (55).

Comme il l’avait fait avec Longchamp, Decroix supprime les passages trop prosaïques à son goût : il substitue aux montants des gages de Wagnière et de son épouse la formule d’appointements modiques et de quelques cadeaux (56). Il cherche également à protéger le souvenir de certaines personnes, à commencer par Thibouville que le secrétaire accuse d’avoir vendu le manuscrit d’Irène (57). Ses rapports avec Mme Denis sont paradoxaux : il lui arrive tantôt de l’accabler et tantôt de l’absoudre(58). Il ne suit en l’occurrence aucune ligne éditoriale cohérente. Decroix entend par-dessus tout idéaliser l’image de son idole. Il lui fallait préserver la réputation de Voltaire auprès du public : comment prétendre que le mot grossier du maître de poste de Moret ait constitué le meilleur souvenir de son voyage à Paris, qu’il poursuivait de son acrimonie un ennemi défunt en surnommant « Fréron » le chien de Wagnière ou qu’il n’ait donné 600 livres à la paroisse de Saint-Sulpice qu’à seule fin d’y être enterré (59) ?

Decroix travaille surtout à remanier la narration de Wagnière afin d’en expurger les détails scabreux pouvant alimenter la verve anti-voltairienne du clergé. L’intervention la plus significative se rapporte à l’ultime visite rendue à Voltaire par l’abbé Faydit de Terrsac et son prêtre habitué, l’abbé Gaultier, surnommé « l’abbé des incurables » (p. 160). Étant alors à Ferney, Wagnière ne parle que par ouï-dire, se fiant au témoignage de son ami Pierre Morand. Évidentes sont les motivations de l’intervention de Decroix. G. Desnoiresterres a établi que la Gazette de Cologne, « rédigée par un ex-jésuite, qui communiquait et correspondait avec le clergé de Paris », avait fait circuler dès le 1er juillet 1778 la rumeur du repas d’Ézéchiel qu’aurait fait l’agonisant lors de son dernier jour (60). L’anecdote scatologique devint un élément important de l’apologétique anti-voltairienne. Elle fut reprise dans Voltaire, recueil des particularités curieuses de sa vie et de sa mort (61), ainsi que par Feller dans son Dictionnaire historique, œuvres fréquemment rééditées (62) ; on en trouve l’écho jusque dans Mme Bovary où l’abbé Bournisien, au grand dam de Homais, « ne manquait pas, tous les quinze jours, au sermon, de raconter l’agonie de Voltaire, lequel mourut en dévorant ses excréments, comme chacun sait » (63). On ne saurait s’empêcher de penser ici à la langue espagnole dans laquelle le terme d’escatologia évoque indifféremment la scatologie et l’eschatologie… Depuis Desnoiresterres jusqu’à R. Pomeau, la « voltairie » a justement récusé « le récit du repas fécal » comme une « légende » ou une « dégoûtante invention » ourdie par le parti clérical . (64) Un récent article de L. Choudin établit que cette rumeur avait circulé dans les cercles ecclésiastiques un mois avant la parution de la Gazette de Cologne, soit dès le début de juin 1778. Dans une lettre conservée à l’IMV, François-Marie Bigex, prêtre de la communauté de Saint-Sulpice et futur évêque de Chambéry, écrivait à l’évêque d’Annecy : « Tout le monde sait que ce malheureux écrivain a vécu en impie à Paris devant et après sa confession ; il est mort en forcené dans toutes les horreurs du désespoir ; prenant même et portant à sa bouche ses propres excréments » (65). La Relation de Wagnière tendait à accréditer cette calomnie : aussi Decroix et Beuchot l’ont-ils expurgée. On s’interrogera à loisir sur les motivations du secrétaire. En règle générale, son témoignage est digne de foi, comme lorsqu’il évoque le legs testamentaire à la paroisse de Saint-Sulpice ou le chien surnommé « Fréron ». Tous les récits s’accordent par ailleurs à dire que Voltaire repoussa de sa main ou de son bras l’abbé Faydit de Terrsac (66). Pour quelles raisons Wagnière relate-t-il cette version ? Une hypothèse est exclue : il ne cherche pas à nuire à la mémoire de son « maître » ni à faire le lit du parti catholique. Inconditionnellement fidèle à Voltaire, il l’imita jusque dans ses options philosophiques, assimilant et radicalisant son anticléricalisme (67). Quand il prit tardivement connaissance du Mémoire de l’abbé Gaultier par les Mémoires pour servir à l’histoire de M. de Voltaire, il entreprit de le réfuter (68). Une hypothèse plus plausible est qu’il cherche à incriminer Mme Denis en dénonçant l’état d’abandon et de saleté auquel aurait été condamné Voltaire lors de ses derniers jours. L’objet principal de sa Relation est d’incriminer l’héritière : il cherche à se venger de celle qui l’avait brutalement congédié. Peu avant le passage en question, il écrit : « Je craindrais d’être accusé d’imposteur si je racontais en détails l’abandon affreux et l’état misérable où Mr. De Voltaire s’est trouvé réduit les vingt derniers jours de sa vie. Le cœur saignerait d’horreur et de douleur » (69). La dernière hypothèse est que le secrétaire se contente de rapporter des faits narrés par Morand, en quel cas l’état de déréliction de l’agonisant fut plus effroyable encore que ce qu’on pouvait imaginer. Ayant rêvé de passer de vie à trépas à la Lignière, il mourut à Paris dans l’inconfort, voire l’indignité, aux dires du plus fidèle de ses serviteurs, dont il faut cependant rappeler que, retenu à Ferney, il ne fut pas le témoin direct des faits. Du moins le manuscrit de Wagnière a-t-il le mérite de soulever le problème et de revisiter certains aspects de la biographie voltairienne.

Paradoxal est le statut des Mémoires sur Voltaire. Malgré ses prétentions à la scientificité, Decroix romance les narrations de Wagnière et de Longchamp, produisant curieusement du faux à partir du vrai. À certains égards, ses Mémoires relèvent moins du genre biographique que romanesque. Quels préjudices sa main lourde n’a-t-elle pas infligés à la communauté scientifique ! Occultant, arrangeant ou inventant de nombreux faits, sa réécriture du témoignage de Wagnière a abusé les biographes. Pourquoi avoir censuré les macabres sarcasmes sur Mme Denis ou dissimulé que Voltaire s’amusait à chanter dans le carrosse qui le conduisait à Paris, qu’il surnommait un chien Fréron, qu’il adressa un compliment à la comédienne Vestris, que ce ne fut pas Jaucourt mais Rulhière qui l’avertit de l’opposition de Versailles à son établissement parisien, que Le Kain menaça de se battre en duel avec le marquis de Thibouville ou que celui-ci détourna le manuscrit d’Irène ? Si des motifs littéraires justifieraient presque l’intervention de Decroix dans « la prose sèche, maladroite et parfois quasiment analphabète de Longchamp » (70), le style de Wagnière ne déshonore pas la langue française, quoi qu’en prétende Decroix (71), et il s’avère parfois même supérieur à la réécriture qui lui a été infligée. À tout le moins, l’abondance des variantes et l’importance pour l’étude de la biographie voltairienne des relations de Wagnière justifient que l’on établisse une édition critique des Mémoires sur Voltaire, que nous donnerons prochainement.

Conclusion

L’étude de la biographie de Voltaire suppose une réévaluation critique du témoignage de Wagnière, réévaluation dont les modalités peuvent grandement différer. Nous nous trouvons ici confrontés à deux cas diamétralement opposés. Dans le premier, la publication en 2007 d’inédits confirme et précise certains aspects biographiques attestés par Wagnière dès 1780 sous forme manuscrite et publiés par Decroix en 1825. Les Mémoires du baron de Prangins seraient d’ailleurs ici incompréhensibles si la Relation du dernier voyage de M. de Voltaire à Paris, et de sa mort n’éclaircissait les motifs de la location du domaine de la Lignière par le patriarche s’avançant sous un prête-nom. La concordance et la complémentarité de ces documents certifient la fiabilité du témoignage de Wagnière, une fois soumis à la critique interne et externe. Le second cas est tout différent ; certains documents bien connus des chercheurs doivent être réappréciés en fonction de l’altération désormais avérée des relations de Wagnièrepar la main lourde de Decroix. On sait que la biographie de Voltaire s’étaye, par-delà la Correspondance, sur le témoignage du « dictionnaire vivant ». Force est dès lors d’en donner une édition sincère et authentique pour remédier aux frauduleuses interventions du « voltairien passionné » dont les Mémoires sur Voltaire font à tort autorité depuis cent quatre-vingts ans. Touchantes sont les confidences de Wagnière qui oppose à la dignité d’une mort rêvée à La Lignière, loin de tout prêtre et de tout confesseur, l’indignité de la mort subie d’après un double schéma, l’un, géographique, qui distingue le lieu naturel des ultimes années du patriarche, le bassin lémanique, du milieu hostile de Paris qui, selon Wagnière, lui fut fatal et l’autre, affectif, valorisant l’environnement chaleureux de Ferney pour accabler, par contraste, l’ingratitude et l’inhumanité de Mme Denis.

 

(44) « Quarante membres » selon L. Amiable, Une loge maçonnique d’avant 1789. La loge des Neuf Sœurs, Paris, Alcan, 1897 [rééd. Edimaf, 1989], p. 53.

(45) Dictionnaire de l’Académie française, éd. de 1762 : « TARARE Espèce d’interjection familière, dont on se sert pour marquer qu’on se moque de ce qu’on entend dire, ou qu’on ne le croit pas ». D’après le Trésor de la langue française, « synonyme vieilli de taratata ». Voltaire usait parfois de cette interjection dans ses marginalia (voir par exemple ses annotations sur le De la félicité publique du marquis de Chastellux, Corpus des notes marginales, t. 2, p. 546).

(46) Claire Cramer, née Delon, épouse du libraire Gabriel Cramer.

(47) La leçon de Wagnière est celle retenue par Besterman : D 21212, d’Hornoy à Wagnière, 25 mai 1778.

(48) Pages 142 et 163.

(49) Voir plus haut la référence à la lettre D 21212.

(50) Pages 127, 149 et 169.

(51) Wagnière anticipe un fait avéré. Sur les altérations de la Correspondance, voir J. Vercruysse, « Les supercheries de l’édition de Kehl : une lettre de Voltaire à Panckoucke dépecée et retrouvée (27 juillet 1768) », Thèmes et Figures du Siècle des Lumières. Mélanges offerts à Roland Mortier, éd. R. Trousson, Genève, Droz, 1980, p. 307-311.

(52) Page 152.

(53) Pages 124, 131 et 149.

(54) Pages 122, 121, 151, 131 et 119.

(55) Pages 174, p. 138-139 et 160.

(56) Page 166. Voir W. H. Barber, p. 12 : « a fair amount of trivial detail, of human interest to the modern reader, is eliminated as being incompatible with the dignity of the personages concerned ». Mais pourquoi alors Decroix apporte-t-il (p. 153) des précisions financières absentes du texte de Wagnière ?

(57) Page 148.

(58) Favorable à Mme Denis en certaines occasions (voir ses interpolations des p. 123-4 et p. 132, p.168), il l’accable en d’autres (p.147, 160, 176, 177…).

(59) Pages 120, 143 et 132. Par ce legs, Voltaire cherchait à garantir son enterrement à Paris. Telle est du moins l’interprétation de D’Alembert. Voir le post-scriptum du 3 juillet 1778 de sa lettre à Frédéric II du 1er : « J’oubliais de dire à Votre Majesté que M. de Voltaire, dans une des visites que lui fit son curé, lui fit donner 600 livres pour les pauvres de sa paroisse ; le curé les prit, comme on dit, à belles-baises-mains, et n’en a pas moins refusé de l’enterrer. On pourrait lui dire comme Chicaneau au portier de son juge, qui reçoit la bourse du plaideur et lui ferme la porte : Hé, rendez donc l’argent ! Mais l’Église est comme l’antre du lion de la fable, tout y entre et rien n’en sort… » (D’Alembert, Œuvres complètes, Paris, 1821, t. 5, p. 421).

(60) G. Desnoiresterres, Voltaire et la société française au XVIIIe siècle, 8 vol., Paris, 1867-1876, t. 8, p. 370-385. Cf. R. Pomeau, « La confession et la mort de Voltaire d’après des documents inédits », RHLF 55 (juillet-septembre 1955), p. 298-318 et La religion de Voltaire, p. 455 et n. 144 et On a voulu l’enterrer, p. 336-342.

(61) Voltaire, recueil des particularités de sa vie et de sa mort, note a, p. 126-127 (n. 63, p. 155 dans l’édition de 1782).

(62) L’abbé Maynard n’hésite pas à la reprendre (Voltaire, sa vie et ses œuvres, Paris, 1867, 2 vol., t. 2, p. 618).

(63) Gustave Flaubert, Mme Bovary, III, c 11.

(64) R. Pomeau, « La confession et la mort de Voltaire d’après des documents inédits », p. 300 et La religion de Voltaire, p. 455.

(65) L. Choudin, « Ils ne voulaient pas l’enterrer… Grands émois à Ferney en juin 1778 », Cahiers Voltaire, 6, 2007, p. 97-112 (ici, p. 103).

(66) Voir par exemple D’Alembert à Frédéric II, Œuvres complètes, t. 5, p. 416 (il « fit un geste de la main comme pour renvoyer le curé ») ; La Harpe, Correspondance littéraire, Paris 1804, t. 2, p. 243 (« étendant sa main et repoussant le curé ») ou la dépêche du prince Bariatinsky à Catherine II, Journal des débats, 30 janvier 1869 (M, t. 1, p. 417 : « se servant du même bras, qu’il avait jeté autour du col du curé, il fit un geste de colère et d’indignation, et paraissant repousser ce prêtre fanatique… »).

(67) Il ne désavoue Voltaire que quand celui-ci s’apprête à se confesser ou à communier : voir les variantes de la page 131.

(68) Voir l’Examen des Mémoires pour servir à l’histoire de Voltaire composé par Wagnière en 1787 : Longchamp-Wagnière, t. 2, p. 77-104.

(69) Nous n’avons pas cité ce texte dans la mesure où les variantes sont peu significatives (« imposture » et « de douleur et d’horreur » dans le texte imprimé par Decroix, p. 159). Dans le manuscrit de Wagnière, tout ce passage figure en note en bas de page.

(70) William H. Barber, p. 21 : « Longchamp’s bald, clumsy and sometimes bareley literate prose ».

(71) Longchamp-Wagnière, t. 1, p. Voltaire : « C’est une particularité assez étonnante qu’il [Wagnière] n’ait jamais pu se défaire totalement de certains idiotismes, après avoir écrit si longtemps le plus pur français sous la dictée de Voltaire ». Voir cependant supra n. 32 : Voltaire ne dédaignait pas certaines tournures helvétiques...


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© IMV Genève | 08.01.2008