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La question de l’art à Genève : du cosmopolitisme des Lumières au romantisme des nationalités

Présentation de Jonathan Zufferey

M. François Jacob, conservateur de l'IMV, a, le 25 septembre dernier, dans le cadre de l’opération L’IMV vous livre ses auteurs, accueilli Mme Danielle Buyssens et introduit son dernier livre La question de l'art à Genève – du cosmopolitisme des Lumières au romantisme des nationalités, édité à La Baconnière Arts, en 2008 –ouvrage remarquable tant par son contenu que pour l'objet qui est en lui-même très bien réalisé avec de magnifiques illustrations.

Présentation de l’ouvrage

Danielle Buyssens revient tout d'abord sur la vision teintée de calvinisme qui caractérise l'histoire de l'art genevois et raconte qu'elle entendait dans un premier temps étudier de quelle manière il était possible de dépasser les interdits dans l'art. Or ses recherches permirent de montrer que le XVIIIe siècle n'allait pas, comme on avait tendance à se le représenter, à l'encontre des arts et que les citations négatives qu'on retrouve dans l'historiographie de l'art genevoise ne sont pas issues du XVIIIe mais du XIXe siècle.

C'est en fait Jean-Jacques Rigaud qui a passablement contribué peu avant 1850 à créer cette vision erronée de l'art qui s'est ensuite imposée jusqu'à nos jours. Même les plus grandes plumes ont contribué à alimenter des légendes tenaces sur les arts. Ainsi, on a pu lire que les ordonnances somptuaires «continuaient » à interdire l’art à Genève au début du XVIIIe, en laissant supposer qu’elles avaient été édictées avant cette période, ce qui est faux.
Jean-Jacques Rigaud, homme politique et juriste de formation, passionné des arts, écrit son ouvrage en pleine crise politique. Alors que la mémoire collective l'avait oublié, il découvre qu'il y eut en effet des ordonnances somptuaires interdisant l'exposition et la mise en parade de la peinture et de la sculpture dans les maisons. Toutefois, Rigaud sait pertinemment qu'au début du XVIIIe siècle, ces ordonnances ne sont pas respectées du tout et, dans son écrit, il parvient à perdre le lecteur dans la chronologie. C'est pourquoi le mythe a pu durer 150 ans.

Les travaux de Corinne Walker ont permis de montrer que les ordonnances somptuaires et leurs objectifs étaient régulièrement modifiés et revisités. D'une vision morale et religieuse, elles ont rapidement pris une finalité sociale, visant à maîtriser l'équilibre de la société et à protéger l'oligarchie genevoise des nouveaux venus. C'est notamment avec la révocation de l'Édit de Nantes que la ville doit accueillir de nombreux réfugiés, parmi lesquels certains arrivent avec leurs biens et collections et menacent l'hégémonie de l'oligarchie en place.

Danielle Buyssens s'intéresse ensuite à l'évolution de la vision de l'art. Au XVIIIe on savait prendre de la distance par rapport aux textes et comprendre les provocations – Rousseau, par exemple, dans son Discours sur les sciences et les arts, énonce que les arts sont non seulement le signe mais aussi la cause de la décadence de la société. En revanche, on est au XIXe beaucoup plus pragmatique et on a tendance à prendre les écrits au pied-de-la-lettre.

La réunion de Genève à la France ne fait pas que des malheureux. Les Genevois ont dorénavant un accès facile à Paris et à son Académie, à ses Salons. Ceux qui profitent de cette aubaine en sortent gagnants. Il y a dorénavant de véritables possibilités de carrière. Mais dans le fond, à Genève, il n'y a pas de véritables changements. Plutôt des attentes et des opportunités.

Après la chute de l'Empire, les Genevois continuent à se tourner vers Paris où sont toujours formés les artistes et où l’on continue à exposer. L'entrée de Genève dans la Confédération reste cependant une bonne opération pour les artistes. L'histoire genevoise ne regorgeant pas de grandes batailles ou d’événements que les artistes peuvent représenter, ils se tournent vers les thématiques héroïques et pittoresques qu'on trouve dans l'histoire suisse et auxquels ils peuvent désormais légitimement s'identifier.

Le thème étant de circonstance, Danielle Buyssens s'arrête un instant sur Rousseau et en particulier sur l'érection d'un monument lui rendant hommage. Avant la mort de l'auteur des Confessions, un premier monument est réalisé sous l'impulsion d'un horloger qui souhaitait le faire siéger dans la bibliothèque en réparation des torts que la République de Genève avait à l'encontre de Rousseau. Evidemment, l'oligarchie en place ne peut accepter un tel acte et le monument s’achève dans le privé. Une gravure circule cependant, qui laisse croire à l'Europe entière que Genève a eu un geste précurseur envers son philosophe. Il est important de noter que l’érection monuments en l'honneur de personnages qui ne sont ni des rois ni des saints était restée exceptionnelle au XVIIIe siècle.

C'est avec la Révolution que la thématique redevient d'actualité et que Genève réclame de toute urgence un hommage à Rousseau. La ville craint en effet que la France érige un monument avant elle. Le monument est finalement réalisé mais il sera démoli à la Restauration. Si certains en sont satisfaits, d'autres attendent qu'on fasse quelque chose pour la mémoire du grand homme. Un buste est installé au jardin botanique mais ne répond pas à la revendication démocratique d'un hommage à Rousseau qui prend de l'ampleur dans les années 1820. Les politiques craignent par ailleurs que si on réalise un monument pour Rousseau, affluent des revendications similaires pour d'autres personnalités. Afin d'éviter toute polémique, les politiques font trainer les démarches.

Pourtant, James Pradier se voit finalement confier la réalisation d'une statue qui trouve place sur l'Ile des Barques. Le monument est inauguré en 1835 et James Fazy profite de l'occasion pour faire un discours révolutionnaire en faveur d'un changement de régime.


Discussion

Une auditrice s’interroge sur le tout premier monument en l'honneur de Rousseau : avait-il également pris la forme d'une gravure ?
Une gravure française parue dans le Mercure de France laissait en effet croire qu'un monument Rousseau ornait un lieu public genevois. En fait, ce monument, exécuté par un potier d’origine allemande, selon toute apparence en terre cuite et presque grandeur nature, a été installé dans un jardin privé, chez les Constant, à proximité de l’IMV. Constant déménagea par la suite à Lausanne en emportant le monument Rousseau avec lui. Ce dernier a depuis été probablement cassé ou perdu. De nombreuses répliques en ont été réalisées - on peut notamment en trouver une au musée de l'Ariana.

Un jeune auditeur revient sur les ordonnances somptuaires. Il voudrait savoir comment les artistes étaient à cette époque vus par la société.
Danielle Buyssens rappelle qu'il était initialement interdit de faire des peintures sur les murs et les plafonds ou d'orner l'architecture avec de la sculpture. Très rapidement, cette interdiction est prise dans un débat sur l'architecture : doit-on faire respecter les interdits dans un esprit de modestie ou au contraire accepter que certains se construisent de belles maisons qui donnent du relief à la ville ? L'article touchant la peinture et la sculpture est alors abrogé. Un nouvel interdit apparaît peu après et concerne cette fois la peinture, la sculpture et la porcelaine, dont l’association correspond aux recommandations françaises en matière de collection.
Comme l'oligarchie peut se permettre et se permet de franchir les interdits, les ordonnances apparaissent en définitive comme un moyen de se distinguer. Seule l'élite a les moyens de braver l'interdit, elle peut ainsi se situer comme une élite. En revanche, si les servantes ont l'interdiction de porter de la dentelle, cette interdiction est réelle et il en coûte cher à celles qui l'outrepassent.

Herbert Bohlhalter, conservateur honoraire à la Bibliothèque de Genève, rappelle qu'une industrie du luxe s'est développée à Genève, et s'étonne qu'il n'y ait pas eu plus de résistance des riches face aux interdits.
Danielle Buyssens assure que les ordonnances sont appliquées dépendamment de la qualité. Les riches sont au-dessus alors que les autres classes se doivent de respecter les interdits. La mémoire des ordonnances somptuaires permettra d'autre part à Genève de se refaire une image de pureté au moment de son entrée dans la Confédération. L'austérité genevoise, si l’on y songe bien, est en quelque sorte sa seule épopée historique, son seul trait d’héroïsme - mis à part, bien sûr, certaine nuit de décembre 1602.



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© IMV Genève | 28.10.2008