La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
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Le portrait de Charles Gravier de Vergennes au Musée Voltaire : réflexions sur l'économie du don en diplomatie
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par Fabrice Brandli

Nous publions aujourd’hui un important article de M. Fabrice Brandli, assistant d’histoire moderne à l’Université de Genève et auteur, entre autres, de Une Résidence en République. Le résident de France à Genève et son rôle face aux troubles politiques de 1734 à 1768, Genève, Société d'histoire et d'archéologie de Genève (SHAG), 2007.

Depuis peu, le Musée Voltaire abrite un hôte de marque, auparavant conservé à la Bibliothèque de Genève, sous la forme du portrait de Charles Gravier de Vergennes (1). Ministre des Affaires étrangères de Louis XVI jusqu’à sa mort, en 1787, Vergennes a marqué l’histoire de Genève qui lui doit avec le concours des troupes sardes et bernoises, en juillet 1782, le rétablissement du gouvernement oligarchique de la République, destitué par la bourgeoisie « représentante » trois mois plus tôt (2). À cette occasion, Vergennes ne se contente pas d’ordonner l’occupation militaire de la ville, mais avec l’aide de son Premier commis, Pierre Michel Hennin (3), ancien résident de France à Genève, il couvre de son autorité le travail législatif qui aboutit à l’adoption de l’Édit de pacification de novembre 1782 – le « Code noir » pour ses détracteurs –, réduisant considérablement les droits politiques de la bourgeoisie genevoise. Le don du portrait du ministre de Louis XVI au gouvernement de la République, en décembre 1785, couronne donc l’entreprise de restauration politique, méditée de longue date dans les bureaux des Affaires étrangères de Versailles et rendu enfin possible par le coup de force armé de la bourgeoisie. Ce portrait n’est toutefois pas isolé, mais il s’inscrit au contraire dans une série de représentations picturales qui déclinent, depuis Louis XVI et Victor Amédée III jusqu’aux ministres plénipotentiaires, l’identité des acteurs impliqués dans la restauration politique de l’été et de l’automne 1782. Les contraintes protocolaires structurent le mode d’acquisition des portraits qui composent le panthéon des Constitutionnaires (4), support iconographique de discours identitaires croisés où s’énonce la place des uns et des autres dans l’équilibre régional aussi bien qu’au sein de l’ordre européen. À partir du portrait de Vergennes, selon les conditions de sa réception à Genève, c’est la question plus générale de la fonction du don en diplomatie qui retiendra ici l’attention.


Fonctions et modalités du don diplomatique

Le don s’inscrit dans les pratiques cérémonielles de la diplomatie. Pièces précieuses d’orfèvrerie et d’horlogerie, portraits, drapeaux, argent, produits comestibles sont autant d’objets offerts et reçus, de dons et de contre-dons qui rythment les relations diplomatiques franco-genevoises (5). Leur circulation délimite l’espace singulier réservé à l’économie du don au sein d’un système social caractérisé par l’économie de marché (6).
En répondant à l’invitation de Marcel Mauss adressée aux historiens, qu’ils avaient en partie précédée (7), il s’agit d’articuler les fonctions et les modalités du don afin de préciser la définition du cérémonial diplomatique comme l’exercice de construction réciproque de la dignité des États souverains (8).
Cette définition rompt avec la perspective téléologique qui ne discerne dans les relations politiques entre la France et la République de Genève qu’un processus de sujétion conduisant inexorablement le fort à annexer le faible. Elle ne dit toutefois pas encore grand-chose des différents moyens de la préservation de la dignité – ou, au contraire, de son altération –, ni de leur variabilité en fonction de critères qui tiennent en grande partie à l’évolution de la culture politique des protagonistes.
Le « paradigme du don » (9), comme triple obligation de donner, de recevoir et de rendre, où se mêlent la contrainte et la liberté, dynamise l’interprétation des modes de construction réciproque de la dignité des États en tant qu’enjeu du cérémonial diplomatique. Il rend compte de la façon dont les agents publics jouent avec habileté sur les différents registres, du don amical et réciproque, le « don partage », jusqu’au « don agonistique » marqué au coin de la rivalité, du défi, qui fonde l’inégalité dans la relation entre le donateur et le récipiendaire. Ce dernier est voué à transformer en obligé, d’une manière ou d’une autre, mais jamais n’importe comment, celui qui l’a auparavant obligé. Ce rapport de forces engage la dignité puisqu’il fait courir au donataire le danger d’être maintenu dans une position de subordination excessive, contraire aux conditions du juste commerce entre les États souverains tel qu’il est conceptualisé dans la plupart des traités du droit des gens.
En ce sens, le don diplomatique renvoie à la tension fondamentale à l’œuvre dans les relations entre deux États que distingue la différence de puissance, de gouvernement, d’identité confessionnelle et de culture politique. En tant qu’États souverains, ils sont égaux du point de vue juridique, selon la métaphore vattelienne du nain et du géant (10). Comme États pourvus de qualités relatives – le type de gouvernement et son ancienneté, l’étendue territoriale, la puissance militaire, le poids démographique, etc. –, l’usage, que le droit reconnaît, leur assigne des places distinctes dans l’ordre européen. À la Couronne de France revient la préséance sur les autres princes, à l’exception de l’empereur, tandis que la République de Genève occupe les échelons les plus bas de la hiérarchie des souverains, précédant à peine des États à la souveraineté mal assurée ou contestée comme certaines villes libres d’Allemagne. Cette tension entre l’égalité juridique des souverains et leur distinction hiérarchique trouve écho dans l’économie symbolique du don diplomatique. C’est pourquoi « il y a toujours de l’agôn et du défi au sein même du simple partage » (11) ; le don éprouve en permanence le rang et le statut des acteurs dans un équilibre précaire entre mise à distance et rapprochement, entre altérité et identité.
Autrement dit, le caractère obligatoire du don provient du constat que sa première fonction est de « créer, d’entretenir ou d’avaliser une hiérarchie entre le donateur et le récipiendaire, de telle sorte que celui-ci est mis, par la donation même, en situation d’infériorité par rapport au donateur » (12). La troisième obligation, celle de rendre, a donc pour valeur de rectifier l’effet de subordination, d’endettement que le don initial produit chez le donataire.
Dans ces conditions, le don s’insère dans le cérémonial politique qui se présente comme l’interface civilisée de la guerre, soit qu’il l’épuise dans l’amitié et l’exacte réciprocité, soit qu’il la poursuive dans le registre du contentieux, de la domination, de l’humiliation. Il s’agit toujours d’évaluer le don en diplomatie d’après son oscillation, dans la durée et selon les circonstances, sur l’échelle à partir de laquelle se mesurent à la fois les comportements de l’alliance et ceux de l’hostilité (13).


Le roi en République : le don insolvable des portraits royaux

Dans le contexte des relations diplomatiques entre la France et Genève, les portraits royaux se rangent parmi les dons qui abolissent toute forme de restitution parce qu’ils distinguent le souverain qui peut donner de celui qui est incapable de rendre sur le même registre de l’incarnation iconographique (14). Là où le nom et l’image du roi concentrent le pouvoir souverain, la représentation de la République se fragmente dans la multiplicité des noms et des images des magistrats. Dans sa version républicaine, la galerie de portraits publics, telle qu’elle était exposée notamment à la Bibliothèque de Genève, sert avant tout le projet pédagogique interne d’identification de l’oligarchie (15). Chaque portrait expose un individu dont le patronyme recouvre aussitôt la spécificité personnelle en l’associant au régime endogame des familles dirigeantes comme l’une des parties à jamais visibles de la République réformée. Il s’agit d’un mode de figuration qui perd sa puissance évocatrice dès lors qu’il est confronté au portrait unique du roi absolu. Partie incapable d’exprimer le tout, impossible synecdoque, le portrait du magistrat dévoile tout son sens une fois imbriqué dans la série-galerie des portraits de ses pairs.
Image de propagande, image politique, le portrait du roi produit de la surreprésentation lorsqu’il est adressé au gouvernement de la République pour être accroché entre les murs de l’Hôtel de ville (16). Représentation iconographique du monarque, le portrait double la représentation diplomatique qu’assume d’ordinaire le résident de France à Genève ; logique d’amplification, d’intensification à laquelle se soumet la République. Dans les deux sens du terme – iconographique et diplomatique –, cette dernière est dépourvue d’une telle puissance de représentation. C’est pourquoi les conseillers genevois se soucient beaucoup des modalités d’acquisition des portraits royaux, mince marge de manœuvre à leur disposition pour préserver la dignité de la République. Il s’agit toujours de les présenter comme des dons gratuits, des fruits de la volonté totalement libre du roi, d’honorables gages de sa bienveillance, des signes prestigieux de l’entière reconnaissance de l’État, mais surtout pas l’effet de la sollicitation, le produit d’une grâce conditionnée qui aurait pu être refusée. Comment ne pas comprendre dès lors la relative rareté des portraits royaux destinés au gouvernement genevois ? À l’exception de ceux qui reviennent à des particuliers, comme Isaac Thellusson lorsqu’il est ministre public à Versailles, Genève reçoit officiellement à deux reprises les portraits du roi de France. En mars 1730, à la suite du mariage de Louis XV, et en 1785, pour consacrer l’intervention française de 1782 (17). Dans cette dernière situation, le don du portrait de Louis XVI sanctionne la minorisation de la République au sein de l’ordre européen. Dans la mesure où il coexiste avec les représentations du roi de Sardaigne et des plénipotentiaires bernois, il figure – à travers le mode de réception et d’accrochage – le système international dans lequel ces gestes sont accomplis.

Le 11 octobre 1785, la veuve Rameau et ses fils (18), transporteurs de leur état, informent le Petit Conseil depuis leur officine de Dijon que « le sieur Ronceray, leur commissionnaire à Paris, a pris pour la voiture du portrait de Sa Majesté Très Chrétienne à Genève des engagements qu’il leur est physiquement impossible de remplir par la route de Poligny, où l’on ne se sert que des chariots attelés d’un seul cheval sur lesquels il est impossible de placer des charges d’un aussi grand volume ; qu’ils sont obligés par conséquent d’adresser les deux caisses qui contiennent le portrait et la bordure à Mâcon ou à Lyon » (19). Ce détour inhabituel, loin de la route jurassienne qui relie Paris à Genève en passant entre Dole et Lons-le-Saunier, « occasionnera une augmentation de frais dont ils savent qu’à la rigueur ils sont tenus de supporter la charge », mais pour laquelle ils sollicitent avec succès la participation financière de la République.
Expédié de Versailles, le 24 septembre, le portrait de Louis XVI parvient à sa destination le mercredi 2 novembre, « en pied et du meilleur peintre [avec] une espèce de médaillon à la partie supérieure du cadre » dans lequel est inscrit : « Donné à la République de Genève en 1785 » (20). C’est le copiste Hubert qui l’a exécuté à partir de l’original d’Antoine François Callet, peint en 1779 (21). Le portrait du roi en costume de sacre vaut 2'900 livres, dont 1'100 livres pour la seule bordure (22). Il est précédé des estampes du ministre Vergennes, l’« ange tutélaire » (23) de la République, que les Genevois francophiles ont financées par souscription. L’arrivée du portrait du roi à Genève – suivi peu après de celui de son principal ministre – n’est pas le fruit du hasard, mais l’effet de la négociation qui se déroule peu de mois auparavant dans les couloirs de Versailles.
Au début de l’été 1785, les conseillers Joseph Des Arts et Alexandre Marcet, joints à Jacob Tronchin, frère de l’ancien Procureur général Jean Robert Tronchin et porte-parole des Constitutionnaires à Paris, assument désormais à la cour la plus grande part de la charge de négociateurs de la République. Perrinet des Franches, ministre titulaire de Genève en France, quoique sans caractère, n’est plus à même d’honorer sa fonction. Il est « ruiné de dettes et de trafics douteux » (24) à cause d’un fils incorrigiblement joueur, colonel des gardes suisses avant d’en être radié pour être incarcéré un temps à Vincennes et d’une gratitude d’ailleurs bornée à l’égard des efforts de son père pour le sauver de ses créanciers (25). Sa quasi faillite personnelle le met au ban du corps diplomatique, persona non grata de la bonne société parisienne et versaillaise.
Interlocuteurs informels auprès des bureaux des Affaires étrangères, Des Arts, Tronchin et Marcet s’entretiennent régulièrement avec le Premier commis Pierre Michel Hennin, l’un des meilleurs soutiens du « parti » gouvernemental. À la fin du mois de juillet, c’est justement à l’occasion de l’un de ces entretiens avec Hennin que Des Arts « a dit un mot qu’il n’imaginait pas avoir de suites » (26). Évoquant les portraits des rois de France et de leurs principaux ministres, il mentionne le portrait que Louis XV avait offert à la République à l’occasion de son mariage. Il poursuit en insinuant que celui de son successeur serait un « présent bien honorable pour l’État et en particulier pour le Conseil », d’autant plus s’il accompagnait la « Garantie de l’Édit de Pacification » de novembre 1782.
Hennin conçoit avec plaisir que le roi offre à la République son portrait, à la condition toutefois que le Conseil en fasse la demande écrite au ministre des Affaires étrangères pour qu’elle soit ensuite présentée à Louis XVI. La proposition embarrasse tout autant Des Arts que les magistrats genevois. Le don du portrait royal fait l’objet de délibérations au cours desquelles, selon la formule laconique des registres, les avis sont « partagés » (27). L’essentiel des débats tourne en réalité autour de la manière de préserver la fiction du don gratuit en protestant que « divers souverains avaient honoré la République du don de leurs portraits sans qu’il parût qu’ils eussent été demandés » (28). Selon la logique jurisprudentielle selon laquelle le précédent conforme l’usage, les conseillers se réfèrent aux registres du gouvernement et se rassurent en y lisant que le représentant de la République en France, Daniel Martine, n’avait entrepris aucune démarche pour acquérir le portrait de Louis XV au lendemain de son mariage. Et pourtant, le Conseil avait déjà cédé à cette occasion au « violent désir d’obtenir ce merveilleux portrait et à la crainte de voir rejeter sa demande » (29). Ce n’est pas Martine, mais les efforts conjugués de Pierre Mussard (30) et du résident La Closure, entre 1729 et les premiers mois de 1730, qui aboutissent au don du portrait royal selon l’original de Jean Baptiste Van Loo (31). Le portrait de Louis XV, si les magistrats de 1785 s’en souviennent comme d’un don qui ne fut jamais sollicité officiellement, n’est pourtant rien d’autre que le fruit de la démarche active de leurs prédécesseurs pour en obtenir la possession et en aucune façon le présent spontané d’un monarque reconnaissant.
Pour Hennin, il n’est pas possible de « croire que c’est au roi à […] faire des avances » relatives à son portrait (32). Plus encore, il regrette la réserve du Conseil à l’égard de la cour de Turin qui pourtant « suivrait les impressions de celle de la France [et] qu’il serait singulièrement avantageux pour [Genève] dans la circonstance actuelle d’avoir les portraits des deux rois ». En un mot, Hennin paraît conditionner l’octroi du portrait de Louis XVI à la demande similaire qui en serait faite à la cour de Turin pour celui de Victor Amédée III. En contrepartie, le Premier commis concède aux Genevois qu’ils s’abstiennent de l’humiliation d’une requête officielle. Le 21 août, invités à dîner dans les appartements de Hennin à Versailles « en présence d’un grand nombre de personnes », Des Arts et Marcet soumettent à Vergennes une simple note informelle de demande du portrait de Louis XVI à laquelle le ministre répond favorablement (33).
Le Petit Conseil ne méconnaît pas le prix de la concession du ministère des Affaires étrangères dans ces circonstances. Il se tourne donc en direction de Turin comme Hennin l’y avait convié (34). Le dernier jour du mois d’août, le résident sarde à Genève, le baron d’Espine, est informé du don prochain du portrait de Louis XVI, dans l’attente qu’à son tour Victor Amédée III « honorât du don de son portrait » la République comme d’une « faveur » (35). D’Espine relaie la démarche du gouvernement genevois auprès de son ministre, le comte Perrone di San Martino, lequel confirme, au début du mois d’octobre, que le roi s’est prêté de bonne grâce à accorder son portrait auquel il a donné ordre de travailler (36). Il faudra toutefois attendre le 15 janvier 1787 pour que celui-ci arrive à Genève, accompagné de son auteur, le peintre Paul Borroni, et du sculpteur Bolgé (37).
Représentant le roi de Sardaigne en majesté, les deux parties du portrait sont réunies sous l’inspection des artistes sardes, avant qu’il ne soit placé dans la Chambre de la Reine de l’Hôtel de ville, aux côtés de celui de Louis XVI. Le peintre et le sculpteur sont gratifiés chacun d’une montre et de sa chaîne en or, défrayés de leur frais d’auberge et le valet de chambre de d’Espine reçoit pour l’occasion quatre louis prélevés sur la trésorerie genevoise (38).
Aux portraits royaux, il faut encore ajouter les « portraits de condition » (39) des ministres français et sardes, sans oublier les plénipotentiaires bernois également impliqués dans la coalition militaro-diplomatique de 1782. En octobre 1785, les portraits des représentants bernois Steiger et Watteville sont adressés non pas aux syndics de Genève, mais à Pierre André Rigaud, alors châtelain de Jussy. Chargé plus particulièrement des relations de la République avec le Corps helvétique, Rigaud avait sollicité de manière informelle les deux plénipotentiaires. C’est lui-même qui fait retirer leurs portraits à la douane pour les transporter chez le Premier syndic. Ils sont ensuite accrochés dans la salle des réquisitions de l’Hôtel de ville.
Deux mois plus tard, c’est au tour du portrait de Charles Gravier de Vergennes de gagner la même salle, portrait que le visiteur peut aujourd’hui découvrir au Musée Voltaire. Hennin offre en son nom la copie qu’il conservait dans son appartement, réservant ainsi le caractère officiel de la donation au seul portrait de Louis XVI (40). Dans la lettre jointe à la représentation picturale du ministre, Hennin puise dans le champ lexical du sentiment amical restauré. La bienveillance de l’ancien résident de France est d’autant plus remarquable qu’il s’est jugé mal récompensé par ses amis genevois. En janvier, le diplomate amateur d’art avait remercié Jacob Tronchin du don d’un tableau – de Huber, de De la Rive (41) ? – pour mieux regretter que ce ne soit pas la République qui le lui remette (42). Se défiant du « bavardage des Représentants », non seulement à Genève, mais aussi à Paris, la perspective d’apparaître trop publiquement comme le créancier politique des Constitutionnaires irrite Pierre Michel Hennin. Sans doute que le caractère particulier du présent contrarie également l’amour-propre du diplomate qui n’aurait pas boudé la reconnaissance publique d’un État qu’il estime avoir sauvé de l’anarchie. Dans ces circonstances, son implication personnelle dans le don du portrait de Vergennes se présente comme la rétribution symbolique du tableau qu’il avait reçu quelques mois plus tôt des conservateurs genevois, gage particulier de paix mettant un terme au contentieux initial.
Le tableau figurant le comte de Perron est d’une acquisition plus tardive encore. François Fatio, officier au service du Piémont, en fait avec succès la demande en 1788, selon la même logique de sollicitation indirecte qui a prévalu pour ceux de Vergennes, Steiger et Watteville (43).
L’accrochage des tableaux dans la salle des réquisitions n’est pas laissé au hasard. Vergennes – le « Patron » comme l’appellent les chefs constitutionnaires – occupe le centre du mur principal, au-dessus de la cheminée. Il est entouré du comte de Perron, des plénipotentiaires bernois, de Jaucourt et de La Marmora (44). Cette représentation systémique signifie à quel point le cabinet de Versailles préside dorénavant à la conservation de la République : maître de l’équilibre politique régional de la même manière qu’il aime se donner à voir comme le maître de l’équilibre européen dans son ensemble. L’effet discursif que produit le don du portrait du ministre des Affaires étrangères de la France n’échappe pas aux Genevois ; il laisse une impression suffisamment durable sur leurs esprits pour être l’objet, dans la nuit du 4 au 5 février 1793, de mutilations alors qu’il se trouvait entreposé dans la salle des délibérations de la Chambre des blés (45).
Le cycle des dons, commencé après l’occupation militaire de 1782 et que viennent clore les portraits royaux, exprime la minorisation de la République au cœur de la « société des princes ». Les portraits interrompent la circulation des dons qui s’était jusqu’alors déployée depuis le Petit Conseil restauré en direction des puissances garantes. Médailles d’or dédiées aux plénipotentiaires, pièces de canons remises à Jaucourt et La Marmora succèdent aux présents, sous forme d’objets ou d’argent, destinés aux membres de la suite des ministres publics et des officiers, amplifiant ce qui s’était pratiqué lors de la médiation de 1738. L’excès de générosité du gouvernement genevois n’est d’ailleurs pas sans susciter de l’agacement jusque dans les rangs de ses partisans les plus convaincus, tel Jacob Tronchin selon lequel « il ne faut pas […] accoutumer à ne savoir pas nous quitter les mains nettes » (46).
Don sans retour, insolvables, objets d’abolition de la réciprocité, les portraits royaux affirment sur le registre iconographique l’identité monarchique de l’ordre européen auquel la République doit à la fois son existence et sa déférence. Les portraits des rois de France et de Sardaigne figurent les conditions de l’inclusion de Genève dans le système interétatique. Son organisation républicaine la marginalise dans le même temps au sein de la « famille » des souverains, marquée au coin de l’endogamie et à laquelle elle échappe selon la nature même de son régime. Inclusion périphérique et subordination sont les deux pans du même discours construit par et autour des portraits de Louis XVI et de Victor Amédée III (47). Incapables de produire la représentation incarnée du pouvoir souverain, les magistrats genevois se confrontent aux limites de la dynamique du don, lorsque la réversion est impossible.
Le don des portraits évoque également la coalition de l’ordre monarchique contre les désordres politiques des « démagogues » républicains. À Versailles, les motifs de l’antirépublicanisme et de la sécurité collective s’associent pour justifier l’intervention de 1782. Hennin en loue les bienfaits à François Tronchin pour conclure néanmoins : « J’ai vécu vingt-cinq ans chez des peuples libres et je suis encore pour la monarchie » (48). Il ne faut pas imaginer que la nouvelle constitution de l’État issue de l’Édit de pacification soit le gage d’une « paix parfaite » à Genève, parmi des « hommes républicains et volontaires » (49). Mais l’œuvre des puissances garantes bornera autant qu’il se peut l’agitation politique naturelle du régime républicain. Pour Vergennes, « il est essentiel de ne rien laisser d’incertain dans tout ce qui tient au bon voisinage » (50). Si le ministre soutient les insurgés américains au nom d’une conception traditionnelle de l’ordre européen, c’est-à-dire anglophobe et sceptique à l’égard de l’allié autrichien, ce n’est pas pour tolérer aux frontières du royaume un foyer de tumultes politiques susceptibles d’essaimer. À travers la pacification de Genève, c’est la pacification préventive du système politique de l’Europe en son entier qui est l’horizon d’attente des puissances garantes de la constitution oligarchique de la République. Les portraits de Louis XVI et de Victor Amédée III en sont la consécration. Ce dernier point renvoie à la fonction et aux modes d’usage du portrait public à la fin de l’Ancien Régime (51), « support essentiel du discours politique » (52).
À bien observer le processus d’acquisition du portrait du roi de France, il est frappant à quel point le résident en poste à Genève, le baron de Castelnau, n’intervient pratiquement pas (53). Le Conseil juge seulement convenable de l’informer du don royal après son arrivée et de la nomination de Jean Armand Tronchin en remplacement de Perrinet des Franches (54). Revêtu d’un caractère représentatif complet, en vertu de la position monopolistique de la légation française à Genève, le résident n’est pas engagé activement dans le processus de don du portrait royal dans la mesure où c’est ce dernier qui concentre alors la fonction substitutive de représentation. En référence au corps du monarque, dans sa double dimension individuelle et politique, la représentation picturale du roi supplante la forme ordinaire de la représentation diplomatique. Au moment où le portrait arrive solennellement à Genève, la fonction représentative du résident s’amoindrit en conséquence du doublement de l’« effet de présence » (55) du roi, présent en son portrait avant de l’être à travers son ministre en République.
Représentation de Louis XVI, représentation du roi en tant qu’incarnation du principal État garant de la République, le portrait opère comme objet substitutif du corps royal absent dont il rend néanmoins la présence sur le modèle eucharistique, le modèle de la présence multipliée, partout multipliable et gagnée à l’éternité dans les espèces picturales (56). Tous les acteurs – les conseillers genevois, les ministres, le roi lui-même – expriment la présence du roi particulier comme le signifiant iconographique de la longue chaîne reliant passé, présent et futur, présence ininterrompue des rois de France au chevet de la République. « Portrait-sacrement » et « mémorial d’histoire », « corps politique du royaume » et « corps historique » (57) du prince, le portrait de Louis XVI donné à Genève, c’est à la fois la figuration du seul Louis XVI et la représentation du roi de France au-delà de toute incarnation singulière, comme principe anhistorique. Image de propagande, portrait politique, portrait de l’homme et du monarque absolu, portrait en pied qui donne l’« illusion parfaite d’une véritable présence » (58), la représentation picturale du roi de France dans les murs de l’Hôtel de ville est la quittance symbolique de la dette que la République a contractée. Mais la dette est insolvable, obligation impossible à solder, puisqu’elle est au principe même de la survie politique du petit État. « Don pervers », le portrait royal pèche par l’excès de largesse laissant le donataire sans recours pour alléger la contrainte extérieure qui devient la condition de sa propre existence (59). La conjonction du don des portraits de Louis XVI et de Victor Amédée III manifeste enfin l’extension du modèle du portrait royal dans sa version absolutiste au-delà des frontières du royaume.
Le don des portraits évoque également la coalition de l’ordre monarchique contre les désordres politiques des « démagogues » républicains. À Versailles, les motifs de l’antirépublicanisme et de la sécurité collective s’associent pour justifier l’intervention de 1782. Hennin en loue les bienfaits à François Tronchin pour conclure néanmoins : « J’ai vécu vingt-cinq ans chez des peuples libres et je suis encore pour la monarchie » (60). Il ne faut pas imaginer que la nouvelle constitution de l’État issue de l’Édit de pacification soit le gage d’une « paix parfaite » à Genève, parmi des « hommes républicains et volontaires » (61). Mais l’œuvre des puissances garantes bornera autant qu’il se peut l’agitation politique naturelle du régime républicain. Pour Vergennes, « il est essentiel de ne rien laisser d’incertain dans tout ce qui tient au bon voisinage » (62). Si le ministre soutient les insurgés américains au nom d’une conception traditionnelle de l’ordre européen, c’est-à-dire anglophobe et sceptique à l’égard de l’allié autrichien, ce n’est pas pour tolérer aux frontières du royaume un foyer de tumultes politiques susceptibles d’essaimer. À travers la pacification de Genève, c’est la pacification préventive du système politique de l’Europe en son entier qui est l’horizon d’attente des puissances garantes de la constitution oligarchique de la République. Les portraits de Louis XVI et de Victor Amédée III en sont la consécration. Ce dernier point renvoie à la fonction et aux modes d’usage du portrait public à la fin de l’Ancien Régime (63), « support essentiel du discours politique » (64).
À bien observer le processus d’acquisition du portrait du roi de France, il est frappant à quel point le résident en poste à Genève, le baron de Castelnau, n’intervient pratiquement pas (65). Le Conseil juge seulement convenable de l’informer du don royal après son arrivée et de la nomination de Jean Armand Tronchin en remplacement de Perrinet des Franches (66). Revêtu d’un caractère représentatif complet, en vertu de la position monopolistique de la légation française à Genève, le résident n’est pas engagé activement dans le processus de don du portrait royal dans la mesure où c’est ce dernier qui concentre alors la fonction substitutive de représentation. En référence au corps du monarque, dans sa double dimension individuelle et politique, la représentation picturale du roi supplante la forme ordinaire de la représentation diplomatique. Au moment où le portrait arrive solennellement à Genève, la fonction représentative du résident s’amoindrit en conséquence du doublement de l’« effet de présence » (67) du roi, présent en son portrait avant de l’être à travers son ministre en République.
Représentation de Louis XVI, représentation du roi en tant qu’incarnation du principal État garant de la République, le portrait opère comme objet substitutif du corps royal absent dont il rend néanmoins la présence sur le modèle eucharistique, le modèle de la présence multipliée, partout multipliable et gagnée à l’éternité dans les espèces picturales (68). Tous les acteurs – les conseillers genevois, les ministres, le roi lui-même – expriment la présence du roi particulier comme le signifiant iconographique de la longue chaîne reliant passé, présent et futur, présence ininterrompue des rois de France au chevet de la République. « Portrait-sacrement » et « mémorial d’histoire », « corps politique du royaume » et « corps historique » (69) du prince, le portrait de Louis XVI donné à Genève, c’est à la fois la figuration du seul Louis XVI et la représentation du roi de France au-delà de toute incarnation singulière, comme principe anhistorique. Image de propagande, portrait politique, portrait de l’homme et du monarque absolu, portrait en pied qui donne l’« illusion parfaite d’une véritable présence » (70), la représentation picturale du roi de France dans les murs de l’Hôtel de ville est la quittance symbolique de la dette que la République a contractée. Mais la dette est insolvable, obligation impossible à solder, puisqu’elle est au principe même de la survie politique du petit État. « Don pervers », le portrait royal pèche par l’excès de largesse laissant le donataire sans recours pour alléger la contrainte extérieure qui devient la condition de sa propre existence (71). La conjonction du don des portraits de Louis XVI et de Victor Amédée III manifeste enfin l’extension du modèle du portrait royal dans sa version absolutiste au-delà des frontières du royaume.
Le don des représentations picturales des rois de France et de Sardaigne prend place dans une économie plus vaste du don honorifique du portrait, en partie privatisée et adaptée à la culture iconographique républicaine. C’est ainsi qu’en 1785, les Natifs « cornualistes », associés aux Constitutionnaires lors des événements révolutionnaires de 1782, travaillent à l’« établissement d’une montre à répétition » pour l’offrir à leur chef Isaac Cornuaud, fraîchement embourgeoisé, lequel en décrit le détail dans ses Mémoires :

Ils peignirent ma figure sur la boîte, d’après mon buste que le sculpteur Jaquet avait fait pour l’envoyer à M. Hennin son protecteur. Consultant beaucoup plus leur amitié que mon talent et mon mérite, ils firent couronner mon buste par une muse dont une des sœurs, assise, lisait un écrit intitulé : Neuvième Adresse aux chefs des Représentants (72). Trois soldats représentaient les trois armées des puissances voisines : l’un d’eux chassait la Discorde dont le pâle flambeau était prêt à s’éteindre. On lisait au bas : à Isaac Cornuaud, par ses amis, et sur le cadran de la montre : offerte par les natifs cornualistes. Une fête charmante, ingénieuse, des couplets accompagnaient ce gage de la reconnaissance des Natifs, et je n’ai pas besoin de dire que j’y fus très sensible (73).

Banalisé, le portrait dans sa version cornualiste s’offre au regard à la façon d’un objet chargé de références allégoriques et comme monument historique de la geste républicaine selon des critères esthétiques débarrassés de la dimension majestueuse, dans tous les sens du terme, propre aux portraits royaux. Il prend place dans la logique représentative des « grands hommes » méritant de leur patrie que la Révolution française saura réinventer en multipliant les bustes de ses héros panthéonisés.


Conclusion

Comme exercice de figuration, dans le sens que lui donne Erving Goffman d’une action qui vise à ne pas perdre la « face », que ce soit sur le mode de la coopération ou de l’agression, le cérémonial diplomatique engage la préservation réciproque de la dignité des États souverains à travers un ensemble sans cesse négocié de gestes, de discours, d’objets donnés et reçus (74).
La fonction cérémonielle du don diplomatique s’inscrit dans une logique d’échange et de communication symbolique où se marque l’alliance, le commerce civilisé entre des acteurs qui reconnaissent réciproquement l’identité de leur nature d’État souverain (75). En tant que tels, ils sont à la fois acteurs absolus, c’est-à-dire déliés de toute contrainte extérieure ou supérieure à leur propre souveraineté, et acteurs relatifs dans la mesure où ils sont reliés entre eux au sein d’un système international structuré hiérarchiquement en fonction de variables comme la puissance militaire, l’étendue territoriale, la force démographique ou encore, et surtout, la nature du gouvernement définie selon les catégories de la philosophie politique d’origine aristotélicienne (monarchie, aristocratie, démocratie, république).
Le caractère relatif des États souverains insérés dans le système international suppose qu’ils revêtent un statut différencié que le cérémonial, et l’économie du don qui l’accompagne, restituent sur le mode de la représentation. Dans le cadre des relations entre la France et la République de Genève, cette différenciation se manifeste par la dimension plus ou moins agonistique du don diplomatique. On oscille, selon les circonstances, entre la condescendance bienveillante du fort à l’égard du faible sur le registre du « bon voisinage », du commerce honnête entre États civilisés, laissant une large amplitude au motif de la protection et de l’incommensurabilité, et l’hostilité déclarée à travers le don différé ou refusé.
Par ailleurs, le don diplomatique éprouve la différence des cultures politiques entre la France et Genève jusque dans la matérialité de ce qui fait l’objet du don. Médailles, portraits, montres, boîtes d’orfèvrerie, drapeaux sont autant de supports d’un discours sur soi qui est à la fois un dialogue avec l’autre dans un processus croisé de reconstruction continue des identités politiques. Si l’on admet le cérémonial comme un système de signes, un réseau de modes de perception, d’interprétation et de comportements ou encore comme un contexte de communication spécifiquement structuré (76), le don diplomatique participe de ce système qui fixe les modalités par lesquelles on donne, on reçoit et on rend. Un système, enfin, dont le portrait de Vergennes offert au gouvernement genevois est un vestige aujourd’hui précieusement conservé au Musée Voltaire.

(1) John Hardman, Munro Price, Louis XVI and the Comte de Vergennes : Correspondence 1774-1787, Oxford, Voltaire Foundation, 1998 ; Munro Price, Preserving the Monarchy. The Comte de Vergennes, 1774-1787, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Jean-François Labourdette, Vergennes. Ministre principal de Louis XVI, Paris, Éditions Desjonquères, 1990, pour les ouvrages les plus récents.

(2) Sur les événements de 1781-1782, nous renvoyons à l’article de bibliographie critique de Jean-Daniel Candaux, « La révolution genevoise de 1782 : un état de la question », in Roland Mortier, Hervé Hasquin (dir.), L’Europe et les révolutions (1770-1800), vol. VII des Études sur le XVIIIe siècle, Bruxelles, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 1980, p. 77-93, en y ajoutant Franco Venturi, « “Ubi libertas, ibi patria” : la rivoluzione ginevrina del 1782 », in Manuela Albertone (a cura di), Pagine repubblicane, Torino, Einaudi, 2004, p. 111-128.
Le terme de « Représentants » désigne les bourgeois qui contestent depuis le début du XVIIIe siècle l’autorité des Conseils restreints de la République (Petit Conseil, Conseil du Deux-Cents et Conseil du Soixante) en vertu des prérogatives du Conseil général, selon eux détenteur exclusif de la souveraineté. Il s’agit d’un dérivé lexical du droit de représentation, soit de remontrance, auprès du Petit Conseil.

(3) Sur Hennin, lire notamment Fabrice Brandli, Une résidence en République. Les résidents de France face aux troubles politiques de 1734 à 1768, Genève, Société d’histoire et d’archéologie de Genève, Les Cahiers n° 10, 2006, p. 141-166 ; Michael L. Berkvam, Pierre Michel Hennin : ses voyages, sa correspondance 1757-1765, Madison, University of Wisconsin, 1973 ; Peter L. Smith, La correspondance de Pierre Michel Hennin 1745-1752, Madison, University of Wisconsin.

(4) C’est le nom que se donnent les partisans du régime oligarchique déposé en avril 1782. Les bourgeois les appellent également les Négatifs, d’après le droit dit « négatif » du Petit Conseil de ne pas prendre en considération les représentations qui lui sont soumises.

(5) La pratique du don diplomatique est soigneusement enregistrée dans les archives du ministère des Affaires étrangères comme en témoignent les soixante-quatre registres reliés comprenant l’état des objets donnés par le roi. MAE, Mémoires et documents, France, vol. 2034 à 2098.

(6) Julie Mayade-Claustre, « Le don. Que faire de l’anthropologie ? », Hypothèses, Publications de la Sorbonne, 2001/1, p. 236. Sur le don comme « échange », « communication », lire Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie [1950], Paris, PUF, 2003, p. XXV-XXVII.

(7) À propos de l’origine des réflexions de Mauss sur le don, issues du corpus des historiens du droit germanique du XIXe siècle, lire Eliana Magnani, « Les médiévistes et le don. Avant et après la théorie maussienne », Revue du Mauss, 2008/1, n° 31, p. 525-544.

(8) Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques [1925], Paris, PUF/Quadrige, 2007, p. 240-241. L’invitation a été entendue, entre autres et assez récemment, par Natalie Zemon Davis, Essai sur le don dans la France du XVIe siècle [2000], trad. franç., Paris, Seuil, 2003 ; Robert Descimon, « Don de transmission, indisponibilité et constitution des lignages au sein de la bourgeoisie parisienne du XVIIe siècle », Hypothèses, Publications de la Sorbonne, 2006/1, p. 413-422, exposé qui repose sur l’équation de Mauss et de Durkheim entre l’objet possédé par la personne et la personne possédée par l’objet  ; ou, plus proche de notre objet de réflexion, par Heinz Duchhardt, « Das diplomatische Abschiedsgeschenk », Archiv für Kulturgeschichte, 1975, tome 57 (2), p. 345-362, et Christian Windler, op. cit., « Tribut ou don – une question de préséance », p. 491 et passim. Par ailleurs, Alain Guéry mentionne les jalons historiographiques plus anciens autour du don – citant notamment les travaux de Marc Bloch, Moses I. Finley, Louis Gernet, Ferdinand Lot, Georges Duby – dans « Le roi dépensier. Le don, la contrainte et l’origine du système financier de la monarchie française d’Ancien Régime », Annales E.S.C., 39e années, n° 6, novembre-décembre 1984, p. 1242-1243. Les recherches des médiévistes sur le sujet sont discutées par Eliana Magnani, « Le don au Moyen Âge : pratique sociale et représentations. Perspectives et recherche », Revue du Mauss, 2002/1, n° 19, p. 309-322. Ces quelques indications n’épuisent pas une bibliographie trop vaste pour être entièrement mobilisée ici.

(9) Nous empruntons la formule à Alain Caillé, Anthropologie du don [2000], Paris, La Découverte, 2007. Proposé comme un « tiers paradigme », le don dépasse les paradigmes concurrents de l’utilitarisme et du holisme.

(10) Emer de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains, t. I, Préliminaires, § 18, À Londres, 1758, p. 11 : « Un nain est aussi bien un homme qu’un géant ; une petite république n’est pas moins un État souverain que le plus puissant royaume ».

(11) Alain Caillé, op. cit., p. 80. À propos de l’antagonisme qu’impose le don au donataire, Mauss précise : « On reçoit un don “sur le dos”. On fait plus que de bénéficier d’une chose ou d’une fête, on a accepté un défi ; et on a pu l’accepter parce qu’on a la certitude de rendre, de prouver qu’on n’est pas inégal », op. cit., p. 155.

(12) Julie Mayade-Claustre, loc. cit., p. 232.

(13) Ce dernier point évoque les différentes modalités de la figuration – entre coopération et agression – exposée dans Erwing Goffman, Les rites de l’interaction, trad. franç., Paris, Minuit, 1974.

(14) D’où la différence essentielle entre les médailles républicaine et royale. La première porte sur le côté face la gravure de la ville elle-même alors que la médaille française représente en toute logique le portrait du roi. Pour la période qui nous intéresse ici, nous ne connaissons qu’une seule représentation allégorique de la République, celle qu’a peinte Saint-Ours, en 1794, aujourd’hui conservée au Musée Tavel.

(15) Danielle Buyssens, avec Sabina Engel et Christine Falcombello, « Galeries de portraits et collections iconographiques », in Patrimoines de la Bibliothèque de Genève. Un état des lieux au début du XXIe siècle, Genève, Slatkine, 2006, p. 146-167. Les auteures assimilent la galerie de portraits de la Bibliothèque du Collège à un panthéon réunissant « les hommes célèbres chers à l’historia magistra » ; voir aussi Karine Tissot, Bruno Racalbuto, Portraits de la Bibliothèque publique et universitaire : étude d’une collection, Genève, Faculté des Lettres, Département d’histoire de l’art, 2000.

(16) David Beaurain, « La fabrique du portrait royal », in Thomas W. Gaehtgens, Christian Michel, Daniel Rabreau et Martin Schieder (éd.), L’art et les normes sociales au XVIIIe siècle, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 241-260.

(17) La République reçoit également un portrait de Marie Leszczynska en 1747. Roger-Armand Weigert, « Les portraits des souverains français conservés à l’Hôtel de ville de Genève », Geneva, XII, 1934, p. 3-10.

(18) On retrouve la veuve Rameau en janvier 1795. Elle facture au nouveau gouvernement de la République le transport d’une pierre de la Bastille sur laquelle est gravée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pierre François Palloy, l’entrepreneur en charge de la destruction de la Bastille, l’avait offerte, en octobre 1794, « aux citoyens du Sénat de Genève » pour célébrer la réception officielle de Reybaz à la Convention. Il s’agit d’un faux présent puisque la facture couvre à la fois le transport et le prix de la pierre elle-même. AEG PH 5398, Palloy « aux citoyens du Sénat de Genève », Paris, 24 vendémiaire an III (15 octobre 1794). La facture est annexée à la lettre de Palloy.

(19) AEG RC 289, 17 octobre 1785, p. 1108-1109, y compris la citation suivante. La réponse du secrétaire d’État Marc Alexandre Puérari est conservée sous la cote AEG CL 96, 17 octobre 1785, p. 158. Nous ignorons en revanche, malgré des recherches multipliées, le montant exact que la trésorerie de la République verse pour ce transport exceptionnel.

(20) AEG RC 289, 10 septembre 1785, p. 981. Voir également 30 septembre et 5 novembre 1785, p. 1055-1056 et 1157.

(21) Sur l’exécution des copies des portraits royaux et l’organisation du service des copistes, se reporter à David Beaurain, loc. cit., p. 251-255. Sur le portrait de Louis XVI par Callet, voir également le commentaire de Sébastien Allard sur la version présentée au Salon de 1789 dans Sébastien Allard et al. (dir.), Portraits publics, portraits privés 1770-1830, catalogue de l’exposition aux Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 4 octobre 2006-9 janvier 2007, à la Royal Academy of Arts, Londres, 3 février-20 avril 2007, et au Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 18 mai-10 septembre 2007, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2006, p. 68.

(22) Roger-Armand Weigert, loc. cit., p. 7-9 et Waldemar Deonna, « Portraits de souverains », Geneva, XV, 1937, p. 182-183.

(23) Mémoires de Isaac Cornuaud sur Genève et la Révolution, de 1770 à 1795, Émilie Cherbuliez (éd.), Genève, A. Jullien, 1912, p. 443.

(24) Herbert Lüthy, La banque protestante en France. De la Révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution [1959], vol. 3, Paris, EHESS-Les Réimpressions, 1998, p. 744.

(25) Le fils de Perrinet des Franches est conduit à Vincennes le 15 septembre 1783. Perrinet des Franches à Vergennes, Paris, 16 septembre 1783. MAE CPG, vol. 94, f° 265.

(26) AEG RC 289, 29 juillet 1785, p. 796, y compris les citations suivantes.

(27) Ibid., 29 juillet et 5 août 1785, p. 798-799 et 818.

(28) Ibid., 29 juillet 1785, p. 798.

(29) Roger-Armand Weigert, loc. cit., p. 4. Les magistrats espéraient recevoir le portrait de Louis XV en costume de sacre peint par Rigaud et achevé en 1730.

(30) Pierre Mussard est alors à Versailles pour y mener au nom de la République les négociations qui aboutiront au traité des limites de 1749. Voir Salomon Rizzo, « Un petit État désire de se bien limiter avec ses voisins, surtout quand ce sont des grands princes » : contexte et acteurs du traité des limites de 1749. Les travaux d’approches genevois (1719-1725), mémoire de licence sous la direction du prof. Olivier Fatio et de Marc Neuenschwander, Université de Genève, Faculté des Lettres, Département d’histoire générale, 2003.

(31) Roger-Armand Weigert, loc. cit., p. 4. Louis XV pose en cuirasse, vêtu d’un habit jaune assorti de velours rouge, tandis que la couronne royale, le sceptre et le manteau bleu aux fleurs de lys d’or sont disposés sur une table à la gauche du roi.

(32) AEG RC 289, 23 août 1785, p. 884-885. Lettre de Des Arts au secrétaire d’État Puérari, datée de Paris le 18 août, y compris les citations suivantes.

(33) Ibid., 27 août 1785, p. 913-919. Lecture de la lettre de Des Arts à Puérari, datée de Paris le 22 août.

(34) Sur le portrait de Victor Amédée III dédié à la République de Genève, voir Waldemar Deonna, loc. cit., p. 183-191, et [Charles] Du Bois-Melly, Relations de la Cour de Sardaigne et de la République de Genève depuis le traité de Turin jusqu’à la fin de l’Ancien Régime 1754-1792, Genève et Bâle, H. Georg, 1891, p. 235-236.

(35) AEG Mss Hist. 113, Affaires étrangères II, 1777-1782, « Papiers Ami de Rochemont », f° 82-93. Voir aussi AEG RC 289, 31 août 1785, p. 933.

(36) AEG RC 289, 14 septembre 1785, p. 986-987 et Mss Hist. 113, Affaires étrangères II, 1777-1792, « Papiers Ami de Rochemont », 7 octobre 1785.

(37) Waldemar Deonna, loc. cit., p. 183.

(38) AEG Mss Hist. 113, Affaires étrangères II, 1777-1792, « Papiers Ami de Rochemont », 16 janvier 1787 : « Ils ont été très reconnaissants. Monsieur d’Espine les a conduits lui-même chez le Premier syndic pour le remercier. Le roi leur ayant ordonné de lui rendre compte de leur voyage à leur retour, ils témoigneront leur reconnaissance des honnêtetés qu’ils ont reçues ici ».

(39) Sébastien Allard, « Portraits de condition », Portraits publics, portraits privés, op. cit., p. 90, rappelle que c’est Diderot qui utilise cette catégorie dans ses Entretiens sur le fils naturel [1757].

(40) AEG PH 5178, Hennin aux syndics et Conseil de la République de Genève, Versailles, 12 décembre 1785. Voir aussi AEG RC 289, 29 juillet 1785, p. 788. Jacob Tronchin avait alors émis l’idée de demander le portrait de Vergennes officiellement. Le Conseil avait préféré suspendre toute démarche dans ce sens, de manière à faciliter l’acquisition du portrait du roi.

(41) Les peintres genevois Jean Huber et Pierre Louis De la Rive, tout comme la collection Burlamaqui, forment un sujet récurrent dans la correspondance entre Hennin et François Tronchin. Voir BGE Archives Tronchin 186 et Louis Gielly, L’école genevoise de peinture, Genève, Sonor, 1935.

(42) BGE Archives Tronchin 186, Pierre Michel Hennin à Jacob Tronchin, Versailles, 7 janvier 1785 : « J’avais annoncé que la République me donnait un tableau. Il faut aujourd’hui dire que ce sont les Constitutionnaires ». Sur l’identité d’amateurs et de collectionneurs d’art des Tronchin et de Hennin, lire Charlotte Guichard, Les amateurs d’art à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Champ Vallon, 2008, p. 171-173, 289-290 et 335.

(43) AEG Mss Hist. 113, Affaires étrangères II, 1777-1792, « Papiers Ami de Rochemont », 29 février 1788.

(44) Les portraits des deux officiers avaient été offerts à leur départ de Genève, en 1782. À ce sujet, voir Édouard Chapuisat, La prise d’armes de 1782 à Genève, Genève, A. Jullien, 1932, p. 167.

(45) Waldemar Deonna, loc. cit., p. 148-149. Le tableau se retrouve ensuite à la Bibliothèque de Genève. Peu avant l’annexion de 1798, des particuliers achètent les portraits de Louis XVI et de Victor Amédée III, puis les remettent entre les mains du gouvernement à la Restauration.

(46) Cité par Édouard Chapuisat, op. cit., p. 164. Si Jaucourt renonce aux canons, La Marmora en revanche quitte la ville avec des pièces aux armes de Savoie, prises de guerre du XVIe siècle. Voir aussi Du Bois-Melly, op. cit., p 204-205.

(47) Lucien Bély, La société des princes XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1999, p. 397 et passim.

(48) BGE Archives Tronchin 186, Pierre Michel Hennin à François Tronchin,Versailles, 29 mai 1783.

(49) Ibid., Pierre Michel Hennin à Jacob Tronchin, Versailles, 23 mai 1784.

(50) Vergennes à Maligny, Versailles, 27 juin 1783, minute. MAE CPG, vol. 94, f° 202.

(51) Stéphane Allard et al. (dir.), Portraits publics, portraits privés, op. cit. Voir également René Démoris, « “Le portrait du Roy” par Félibien », Revue des sciences humaines, t. XLIV, n° 172, décembre 1978, p. 9-30 et du même auteur, « La hiérarchie des genres en peinture de Félibien aux Lumières », in Georges Roques (dir.), Majeur ou mineur ? Les hiérarchies en art, Paris, Jacqueline Chambon, 2000, p. 53-66.

(52) David Beaurain, loc. cit., p. 242.

(53) Les réflexions qui suivent renvoient à Louis Marin, op. cit., notamment p. 7-46 et 251-260.

(54) AEG RC 289, 7 novembre 1785, p. 1157. Castelnau en rend compte à Vergennes le 13 novembre. MAE CPG, vol. 95, f° 318.

(55) Louis Marin, op. cit., p. 9.

(56) La nature eucharistique du portrait royal se vérifie à travers les contraintes d’étiquettes puisque « personne, à l’exception des ambassadeurs, n’a le droit de paraître la tête couverte dans une salle où il y a le portrait du souverain », David Beaurain, loc. cit., p. 246.

(57) Louis Marin, op. cit., p. 255.

(58) David Beaurain, loc. cit., p. 242 et 244.

(59) Nous pensons aux réflexions stimulantes de Jean Starobinski, quoique dans un contexte différent, autour du don chez Rousseau, « Don fastueux et don pervers. Commentaire historique d’une Rêverie de Rousseau », Annales E.S.C., 41e année, n° 1, janvier-février 1986, p. 7-25. Du même auteur, Largesse, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1994.

(60) BGE Archives Tronchin 186, Pierre Michel Hennin à François Tronchin,Versailles, 29 mai 1783.

(61) Ibid., Pierre Michel Hennin à Jacob Tronchin, Versailles, 23 mai 1784.

(62) Vergennes à Maligny, Versailles, 27 juin 1783, minute. MAE CPG, vol. 94, f° 202.

(63) Stéphane Allard et al. (dir.), Portraits publics, portraits privés, op. cit. Voir également René Démoris, « “Le portrait du Roy” par Félibien », Revue des sciences humaines, t. XLIV, n° 172, décembre 1978, p. 9-30 et du même auteur, « La hiérarchie des genres en peinture de Félibien aux Lumières », in Georges Roques (dir.), Majeur ou mineur ? Les hiérarchies en art, Paris, Jacqueline Chambon, 2000, p. 53-66.

(64) David Beaurain, loc. cit., p. 242.

(65) Les réflexions qui suivent renvoient à Louis Marin, op. cit., notamment p. 7-46 et 251-260.

(66) AEG RC 289, 7 novembre 1785, p. 1157. Castelnau en rend compte à Vergennes le 13 novembre. MAE CPG, vol. 95, f° 318.

(67) Louis Marin, op. cit., p. 9.

(68) La nature eucharistique du portrait royal se vérifie à travers les contraintes d’étiquettes puisque « personne, à l’exception des ambassadeurs, n’a le droit de paraître la tête couverte dans une salle où il y a le portrait du souverain », David Beaurain, loc. cit., p. 246.

(69) Louis Marin, op. cit., p. 255.

(70) David Beaurain, loc. cit., p. 242 et 244.

(71) Nous pensons aux réflexions stimulantes de Jean Starobinski, quoique dans un contexte différent, autour du don chez Rousseau, « Don fastueux et don pervers. Commentaire historique d’une Rêverie de Rousseau », Annales E.S.C., 41e année, n° 1, janvier-février 1986, p. 7-25. Du même auteur, Largesse, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1994.

(72) Isaac Cornuaud, Neuvième adresse aux membres du comité des représentants, Ferney, 25 mars 1782 (Bibliographie Rivoire I 2335). Il s’agit de la dernière des Adresses de Cornuaud aux Représentants dans laquelle il s’en prend plus particulièrement à d’Ivernois, Bérenger et Clavière.

(73) Mémoires de Isaac Cornuaud […], op. cit., p. 426-427. Sur la réappropriation bourgeoise des codes du « portrait de condition », voir Sébastien Allard, « Portraits de condition », Portraits publics, portraits privés, op. cit., p. 91-92.

(74) Erwing Goffman, op. cit., notamment p. 15 et passim.

(75) Sur les notions d’échange et de communication, nous renvoyons à Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », op. cit., p. XXXII et XXXVII.

(76) Johannes Paulmann, Pomp und Politik. Monarchenbegegnungen in Europa zwischen Ancien Régime und Erstem Weltkrieg, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2000, p. 50. Je remercie le professeur Matthias Schultz de m’avoir aimablement rendu attentif aux réflexions de Paulmann sur le cérémonial diplomatique.


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© IMV Genève | 07.07.2009