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Rousseau et la pensée de l'indépendance latino-américaine

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Le Contrat social de Rousseau et l’art militaire du Mont Cuculi

Résumé de la conférence du professeur Luis Britto Garcia

Nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs le résumé de la conférence prononcée aux Délices le 3 décembre dernier par le professeur Luis Britto Garcia. Cette conférence, organisée sous l’égide de l’ambassade de la République Bolivarienne du Venezuela auprès de la Confédération suisse, s’est tenue devant une cinquantaine de personnes et en présence de S.E. M. l’Ambassadeur de la République du Venezuela. Elle a traité de l’influence de l’œuvre de Rousseau sur le parcours de Simon Bolivar mais s’est également longuement attardée, notamment au moment de la discussion avec le public, sur les relations complexes de Rousseau et Voltaire et sur les aspects qui, loin de rendre antagonistes les pensées des deux philosophes, pouvaient au contraire faire apparaître des points de convergence.

 

L’influence de la pensée de Jean-Jacques Rousseau sur les idées et les actions de Simon Bolivar a été considérable. Il lui portait une admiration qui s’est maintenue tout au long de sa vie et qui influença ses aspects de politicien et d’homme d’État. Une anecdote illustre bien cette admiration et cette importance que Bolivar a attribuées à Rousseau. Sur le chemin de l’exil, peu avant sa mort, il conserva uniquement deux livres : l’un d’eux était le Contrat social dont il fit don par testament à l’université de Caracas.

Il est à présumer que Bolivar a eu ses premiers contacts avec la pensée de Rousseau par l’intermédiaire de son maître Simon Rodriguez qui avait accès aux livres interdits par le pouvoir colonial espagnol. Parmi les livres censurés se trouvaient Du Contrat social et Émile. Il n’est pas difficile d’imaginer que Simon Rodriguez ait enseigné à son élève les idées et points de vue « rousseauistes ». Il est à noter que l’un des endroits visités par Bolivar durant son séjour en Europe, accompagné de Simon Rodriguez, fut précisément les Charmettes. C’est à la fin de ce voyage, sur les hauteurs du Mont Aventin à Rome, que Bolivar prête son fameux serment de « ne pas reposer son bras que sa patrie ne soit libérée de la domination espagnole ». Au cours des deux décennies qui ont suivi ce serment, on trouve de nombreuses références textuelles relatives à Rousseau. Par exemple, dans son allocution au congrès de Angostura, le 19 février 1819, où il cite Rousseau : « La liberté est une nourriture succulente, mais difficile à digérer. » Encore ne faut-il pas se contenter de répéter ses idées, mais de les mettre en pratique. Ce fut le cas le 13 juin 1821, quand il écrit au vice-président de la Grande Colombie, Francisco de Paula Santander, à propos de la volonté du peuple. Il prend également un peu de distance lorsque dans son discours au Congrès de Angostura, en 1819, il accueille le principe de la représentation de la volonté générale.

Dans plusieurs proclamations décisives et allocutions de Bolivar on peut trouver des concordances avec des idées essentielles de Rousseau. Commençons par l’affirmation contenue dans Du Contrat social, selon laquelle la souveraineté appartient uniquement et exclusivement au peuple, et que l’exercice de la volonté générale n’est pas aliénable, car le peuple reste le seul souverain. Bolivar croit à cette idée et, pour cela, en libérant Caracas de la domination espagnole en 1814, l’Assemblée des citoyens, réunie dans l’église San Francisco, le proclama « Libérateur » et lui demanda de continuer d’exercer des pouvoirs extraordinaires. Or Bolivar fait valoir à cette occasion qu’il ne peut accepter cette offre, car ce serait usurper la souveraineté qui appartient uniquement au peuple. Il soutient en même temps qu’un pays dans lequel une seule personne exerce tous les pouvoirs est un pays d’esclaves et que celui qui exerce le pouvoir ne peut le faire qu’à la suite d’un acte violent et illégitime. Ces principes selon lesquels le fondement du gouvernement réside dans la souveraineté populaire ont été inclus dans les systèmes constitutionnels du Venezuela et du reste des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Une autre idée de Rousseau, partagée par Bolivar, consiste à dire qu’une force qui dirige ou tente de gouverner un peuple usurpe la volonté générale, puisque la force n’est pas la loi et que le peuple est seulement tenu d’obéir aux pouvoirs légitimes. Bolivar était par conséquent disposé à assumer des responsabilités extraordinaires suite à la situation exceptionnelle qu’avait imposée la guerre, mais, une fois surmontées les épreuves, il n’aspirait qu’à sa condition de citoyen soumis aux lois.

Deux aspects sont essentiels pour l’application des théories postulées par Rousseau dans le soi-disant Nouveau Monde, terme qui se réfère à l’Amérique latine et aux Caraïbes. Ces aspects sont le droit des américains à l’émancipation et le droit des esclaves à leur liberté. Rousseau fait valoir qu’un peuple sous la contrainte obéira, mais retrouvera dès que possible sa liberté contre le tyran ou l’envahisseur. Bolivar va plus loin et pose le droit d’émancipation et d’indépendance pour des peuples conquis. C’est l’argument central développé dans sa fameuse lettre de la Jamaïque, écrite le 6 septembre 1815.

En Amérique, la similitude entre les peuples et les hommes soumis à l’esclavage a été la clef de l’indépendance. La classe des blancs créoles, propriétaires des terres et des esclaves, voulait l’indépendance sans la révolution. Dans le cadre de la lutte il était évident que pour mobiliser la masse des travailleurs et des esclaves en faveur de l’indépendance, il était nécessaire de reconnaître la nature de la guerre sociale. Par conséquent, Bolivar, étant propriétaire, a d’abord libéré ses propres esclaves avant de les incorporer aux forces indépendantistes.

Plus tard, en 1816, il promet au président d’Haïti, Alexandre Pétion, la libération des esclaves. Le 2 juin de cette même année, il promulgue un décret libérant les esclaves qui ont rejoint les rangs patriotiques. Même si le processus est lent dans toute l’Amérique latine, l’institution de l’esclavage finit néanmoins par disparaître au milieu du XIXe siècle, bien avant son abolition aux États-Unis.

Simon Bolivar s’est donc inspiré de Rousseau et notamment des théories du Contrat social : mais, refusant de se limiter à l’abstraction, il a su traduire, dans son œuvre constitutionnelle et politique, l’empreinte du citoyen de Genève.

 


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© IMV Genève | 28.01.2010