La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
   
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Une question de patrimoine... (2)
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Gazette des Délices

 

Par François Jacob

Si le travail de James White, jeune architecte franco-américain dont nous avons, fût-ce à grands traits, présenté la recherche dans le précédent numéro de la Gazette des Délices, concernait l’évolution d’une ville entière, la réflexion qu’il sous-tend s’adapte tout à fait  à des unités patrimoniales plus réduites, à commencer par les Délices.

Nous allons bientôt présenter, dans le cadre du réaménagement du rez-de-chaussée du musée, les trois gravures de Geissler présentant la « terrasse de M. Tronchin » en 1774, soit quelques années seulement après le départ de Voltaire et la revente du domaine. Le visiteur ne pourra qu’être amusé du contraste saisissant qui s’opère, dès lors qu’on observe d’un peu près lesdites gravures et qu’on tente, dans le même temps, d’observer le paysage actuel…

Cette petite anecdote suggère assez quelles sont les trois directions dans lesquelles il convient, s’agissant des Délices, de penser la question patrimoniale : le cadre extérieur (modification du paysage, règles urbanistiques, évolution du quartier), l’aménagement intérieur (restaurations successives, distribution des volumes, transformation de la maison) et enfin la destination de la maison (activités culturelles, rappel du passage de Voltaire). C’est de l’examen simultané de ces trois « dominantes » que naîtra la sensation du respect ou non de certaines valeurs patrimoniales.


1. Le cadre extérieur : une horreur absolue

Est-ce une spécificité genevoise ? Il semble que les bâtiments patrimoniaux soient soumis, dans la cité de Calvin, à rude épreuve. La maison de Rousseau à Saint-Gervais avait ainsi été démolie sans scrupule pour construire la Placette (nous attendons à ce sujet avec grande impatience la publication du travail de Manuela Canabal à la Société d’Histoire et d’Archéologie), les rues basses ont été, à plusieurs endroits, réellement défigurées, et une profonde anarchie semble avoir dicté, plusieurs décennies durant, ses lois à l’évolution urbanistique de la Ville.

Comment la maison de Voltaire pouvait-elle échapper à ce marasme ? Qu’elle fût située sur les hauteurs de Saint-Jean ne la dispensait malheureusement pas de pâtir de cette incurie générale, bien au contraire ! Moins exposé aux regards, le quartier des Délices était un terrain de choix pour les promoteurs et profiteurs de tous ordres. Car comment pourra t-on jamais justifier, à quelques dizaines de mètres seulement d’un complexe patrimonial comprenant une maison de maître du dix-huitième siècle et ses dépendances, l’érection de bâtiments dont tout montre qu’ils ont été pensés (et encore ce terme est-il trop généreux) en-dehors de tout rapport au contexte géographique et culturel de leur implantation ?


2. L’aménagement intérieur : on respire enfin !

C’est entre 1989 et 1994, date du tricentenaire de la naissance de l’auteur de Candide, que la maison de maître, devenue Institut et Musée Voltaire depuis 1954, a fait l’objet d’une complète restauration. Celle-ci s’est faite, autant que faire se pouvait, dans le « strict respect du peu de substance originelle conservée ». Et Martine Koelliker d’ajouter qu’il faut souhaiter que « sa valeur culturelle intrinsèque de témoignage architectural » soit désormais pleinement acquise au bâtiment.

Au dessin des volumes s’est ajoutée, voici vingt ans, la reconstitution d’une atmosphère intérieure où les époques, pour s’être succédé, n’en dialoguent pas moins de manière harmonieuse. La pose des bois sculptés de Jean Jaquet, la création de la bibliothèque et l’agencement du mobilier témoignent, pour prendre ces seuls exemples, d’un réel souci de cohérence. Il faut à ce propos saluer le travail de René Born et Thierry Sauvin, architectes mandataires, ainsi que la vigilance des autorités de la Ville et de l’ancien conservateur du lieu, Charles–Ferdinand Wirz.


3. Une option culturelle

 L’option culturelle était, compte tenu de l’impossibilité d’une re-création du cadre d’origine, lui-même d’ailleurs sans objet, la seule voie possible pour la maison de maître des Délices. C’est ici que nous pouvons revenir, un court instant, sur l’introduction du travail de James White : si le bateau de Thésée, rentrant au port, ne ressemble plus, du fait des nombreux travaux subis au cours de sa longue équipée, à ce qu’il était au départ, il a du moins permis aux marins de vivre une histoire qu’ils peuvent désormais raconter et qui est devenue, fût-ce à son corps défendant, la nouvelle substance du navire.

Le musée Voltaire se doit de même de raconter l’histoire de Voltaire comme celle des Délices : c’est peut-être là, dans cette vocation avant tout culturelle, que se concentre aujourd’hui son identité patrimoniale. Le développement de la bibliothèque d’études voltairiennes allait déjà, lors de la création de l’Institut, dans ce sens. Les activités destinées à fédérer la recherche dix-huitièmiste à Genève et à créer, au sein de l’institution, un véritable « pôle des Lumières » militent de même, aujourd’hui, pour une narration du patrimoine.

Plusieurs questions toutefois demeurent : les conditions sont-elles vraiment réunies pour, dans le cadre des activités de l’Institut et Musée Voltaire, permettre à la maison de Voltaire et à l’ensemble du quartier de profiter de cette nouvelle dynamique ? Quels sont les problèmes qui se posent aujourd’hui ? Quelle place accorder à des phénomènes conjoncturels qui viennent grever les chances d’un développement harmonieux du parc Voltaire ? C’est à ces quelques questions que nous tenterons d’apporter, dans le prochain numéro de la Gazette des Délices, quelques éléments de réponse.


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© IMV Genève | 28.01.2010