La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
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Voltaire et les gens de lettres d’après quelques autographes inédits ou peu connus (2)
par Christophe PAILLARD

Nous présentons aujourd’hui la seconde partie de l’article de Christophe Paillard sur quelques autographes inédits, la première partie pouvant être consultée dans la Gazette des Délices n°25. Les textes originaux non modernisés sur lesquels se base l’article figurent,comme d’habitude et pour plus de commodité, dans notre rubrique « Voltaire nous écrit ».

B/ Voltaire et ses amis de plume : le culte des gens de lettres

Le second groupe de lettres est l’œuvre d’alliés, disciples ou amis de Voltaire ; elles traduisent l’admiration, sinon la vénération de la République des Lettres pour celui qui passait pour être leur monarque absolu. Datée de 1750, la première lettre est adressée par Mme d’Argental au librettiste Leopoldo di Villati alors que Voltaire venait d’arriver à Potsdam : elle porte un jugement critique sur Voltaire, victime des charmes de Frédéric-Alcine. Écrite en 1767, la deuxième est l’œuvre de Jean-François de La Harpe lors de son troisième séjour à Ferney. Ce protégé de Voltaire communiquait à Paris des nouvelles de son « papa-grand-homme ». Datés de 1770, deux lettres de D’Alembert et deux reçus du notaire Laleu expriment à merveille le culte de l’homme de lettres : ils ont trait à la statue érigée en son honneur par Pigalle à l’instigation des cercles parisiens. En 1772, une lettre de la comédienne préférée de Voltaire, Melle Clairon, à Larive, jeune premier de la scène française, traduit la même vénération : elle relate la cérémonie à l’issue de laquelle l’actrice couronna un buste de Voltaire dont nous ignorons l’auteur. Au début de 1778, une lettre adressée à d’Argental par Jacques Joseph Marie Decroix, « voltairien passionné », rappelle une des modalités primordiales du culte voué à Voltaire, la création de poèmes destinés à exalter son génie. En 1782, une lettre de La Harpe évoque la représentation à la Comédie-Française des Muses rivales, la pièce de théâtre consacrée à Voltaire peu après sa mort. Datés de 1826, plusieurs documents réunis par l’éditeur Cayrol rappellent que le culte de Voltaire a persisté bien après sa mort.

1/ Mme d’Argental à Leopoldo di Villati

Datée du 13 septembre 1750, la première lettre est signée de Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d’Argental (1702-1774), dont le puissant époux, Charles Augustin Ferriol, comte d’Argental (1700-1788), avait un point commun avec le marquis d’Argenson : il connaissait Voltaire depuis le collège Louis-le-Grand. Grand seigneur et ministre influent, il n’a cessé de le protéger, s’il est vrai que cette protection avait un prix : Voltaire dut avaliser les incessantes corrections et interpolations de ses « anges gardiens » dans les pièces de théâtre qu’il souhaitait voir représentées à Paris. De gré ou de force, d’Argental s’imposa comme son « bras droit dramatique » (1). Il reste que « plus de mille lettres de Voltaire à d’Argental disent la qualité du sentiment qui le lia à cet ami d’élection pendant près de soixante ans » : ce fut son « plus intime » confident (2). Le destinataire de la lettre est identifié par un marchand d’autographes : il s’agit de Leopoldo di Villati, poète et librettiste « à quatre cents écus de gages (3) » qui s’était implanté à la cour de Frédéric II de Prusse. Assisté par Algarotti (4), il venait d’adapter en italien le Phaéton de Quinault pour le compositeur baroque Carl Heinrich Graun. Cet opéra est l’objet de la présente missive. Quoique signée par une amie de Voltaire, cette lettre est ambiguë : elle tient sur son compte des propos critiques à l’égard de sa récente transplantation prussienne, ressentie comme une trahison par ses amis.

[Description] Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d’Argental, à Leopoldo di Villati, Neuilly, 13 septembre 1750. L.a.s., in-4°, 4 p., p. 4 bl. IMV, MC CC-21.

***

À Neuilly (5) ce 13 septembre 1750

Je ne comprends pas, Monsieur, par quelle fatalité mes réponses aux lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire ne vous sont point parvenues, car je suis très sûre d’y avoir répondu exactement, si ce n’est à une que je reçus dans un temps ou j’étais si malade que cela me fut absolument impossible. Si Monsieur de Voltaire dans l’enivrement des honneurs, des plaisirs, et surtout des caresses d’un grand Roi, avait pu trouver le temps de vous parler de moi, il vous aurait dit que je suis depuis cinq ans dans un état si déplorable qu’il doit m’obtenir toute sorte d’indulgence et le pardon des fautes qu’il m’a fait commettre malgré moi. J’ai toujours été trop flattée, Monsieur, des marques que vous avez continué à me donner de votre souvenir pour avoir pu manquer à vous en témoigner toute ma reconnaissance quand j’ai eu la force de tenir une plume. J’y suis plus sensible que jamais depuis que je vois qu’il ne faut pas huit jours au Roi de Prusse pour tourner les têtes au point de faire abandonner et sacrifier tout ce [p.2] qui paraissait, et je puis dire, ce qui devait être effectivement le plus cher. Par conséquent quand on a passé plusieurs années auprès de lui on pourrait fort bien avoir oublié jusqu’au nom des gens qu’on a connus (6). Vous m’avez fait plus d’honneur que je ne mérite en m’envoyant votre livre. Vous savez bien que je n’en ai jamais été tout à fait digne, et le malheureux état de ma santé m’a empêché de le devenir davantage, j’ai négligé par force l’italien, la musique, et tout (7). Cependant je ne sais si l’envie de vous entendre m’a donné plus de facilité que je n’en aurais eue pour autre  chose. Mais je l’ai tenté dans des moments où ma tête me permettait quelque application, et j’ai trouvé, avec grand plaisir, que je n’y avais pas autant de peine que je l’aurais cru. Je vous dirais que j’en suis infiniment contente si le suffrage d’une personne qui a aussi peu d’habitude de la langue, et une connaissance aussi imparfaite de la matière pouvoir être compté pour quelque chose ; mais il ne m’appartient pas de vous louer, et je dois me contenter de vous remercier comme je le fais de tout mon cœur.

J’ai donné à M. de Voltaire l’exemplaire (8) qui était pour lui, et j’ai remis à Mme Denis le sien et celui de[p. 3] Mme du Boccage qui est son amie (9). À l’égard de votre dernière commission j’ai un peu tardé à m’en acquitter parce que je voulais donner moi-même le livre dans la crainte que celui que j’en chargerais ne se trompât. Et quoiqu’il n’y ait pas loin d’ici à Paris j’ai été quelque temps hors d’état d’y aller. Il partira samedi prochain. Celui qui l’a porté m’a rapporté une lettre de vous, Monsieur, qu’on lui a dit qu’on était sur le point de renvoyer en Prusse ne pouvant pas me déterrer dans Paris où je ne devrais pourtant point être si difficile à trouver. Voila ce qui sera arrivé à la plupart de celles que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, et la raison pour laquelle vous n’y avez point reçu de réponse. Ma santé à laquelle vous avez la bonté de vous intéresser, est beaucoup meilleure quant au fond, mais sans compter les incommodités journalières, elle est encore sujette à de rudes secousses, je viens d’en éprouver une, j’ai été près d’un mois quasi percluse, j’ai eu la fièvre ensuite. C’est un orage qui est passé, je dois m’attendre à en avoir d’autres, mais j’espère qu’ils seront moins fréquents, et moins forts, et que dans quelques mois je pourrai être a peu près comme un autre. Monsieur d’Argental est infiniment sensible aux assurances que vous lui donnez de votre souvenir et de votre amitié, il me charge de vous en faire tous les remerciements et vous prie[p. 3] d’être bien persuadé qu’il a conservé les mêmes sentiments pour vous. Vous connaissez depuis longtemps ceux avec lesquels j’ai l’honneur d’être plus que personne du monde, Monsieur, votre très humble et très obéissante servante,

Du Bouchet D’Argental

Comme le Roi de Prusse n’est pas à Berlin Monsieur de Voltaire aura peut-être le loisir de recevoir mes compliments, et je vous serai fort obligée, Monsieur, de vouloir bien lui en faire de ma part.

***

Voltaire était plus que réservé à l’égard du Phaéton – ou plutôt du Fetonte – de Villati dont il dit pis que pendre dans sa lettre à Mme Denis du 22 août 1750 :

Je reçois votre lettre du huit, en sortant de Phaéton. C'est un peu Phaéton travesti. Le roi a un poète italien nommé Villati à quatre cents écus de gages. Il lui donne des vers pour son argent, qui ne coûtent pas grand-chose ni au poète, ni au roi. Cet Orphée prend le matin un flacon d'eau de vie au lieu d'eau d'Hippocrène, et dès qu'il est un peu ivre les mauvais vers coulent de source. Je n'ai jamais vu rien de si plat dans une si belle salle. Cela ressemble à un temple de la Grèce et on y joue des ouvrages tartares. Pour la musique on dit qu'elle est bonne. Je ne m'y connais guère ; je n'ai jamais trop senti l'extrême mérite des doubles croches (10).

Mme d’Argental n’était sans doute pas consciente de ce jugement hypercritique dans la mesure où Voltaire, averti des relations de ses « anges gardiens » avec Villati, prit soin de ne pas le critiquer dans les lettres qu’il leur adressa en 1750 (11).

L’intérêt de cette étonnante lettre réside moins dans la révélation des rapports des d’Argental avec Villati – dont nous ignorions apparemment tout – que dans le fait que la comtesse désavoue la récente transmigration prussienne de Voltaire. Celui-ci était arrivé à la cour de Potsdam le 21 juillet 1750 (12). On savait que son entrée au service de Frédéric II avait été perçue comme une trahison par Louis XV, qui l’avait sur-le-champ condamné à se démettre de ses fonctions d’historiographe (13), mais on ignorait que les d’Argental lui en avaient tenu rigueur. On est également surpris de voir Mme d’Argental préfigurer un thème cher à l’autobiographie voltairienne, celui de Frédéric-Alcine. La comtesse représente le roi de Prusse comme un enchanteur dont les philtres et les charmes font oublier « jusqu’au nom des gens qu’on a connus » et tournent « les têtes au point de faire abandonner et sacrifier tout ce qui paraissait, et je puis dire, ce qui devait être effectivement le plus cher ». De toutes les lettres des amis de Voltaire ici éditées, elle est la seule à le critiquer : il est vrai que l’amitié n’exclut pas la franchise ni la lucidité. Sans doute mieux avertie que Voltaire des usages des cours européennes, elle semble deviner l’issue dramatique de son séjour prussien. On a presque l’impression que Voltaire est le destinataire indirect de cette lettre : Mme d’Argental ne lui conseille-t-elle pas de garder le contact avec ses amis restés en France dans la mesure où son avenir à Potsdam serait des plus incertains ?

2/ La Harpe à Suard (1767)

Le destinateur et le destinataire de cette lettre écrite de « Ferney » sont anonymes. La main est familière : c’est celle de Jean-François de La Harpe (1739-1803) comme le confirment diverses allusions à ses œuvres ainsi que l’expression de « papa-grand-homme » dont ce jeune homme de lettres usait familièrement pour désigner Voltaire. Cette lettre a été intégralement éditée en 1858 par Charles Nisard (14) avec cependant diverses erreurs et modifications. Besterman ne semble pas en avoir pris connaissance ni fait usage, alors qu’il a intégré dans son édition de la Correspondance d’autres documents édités par Nisard. Cette lettre ne figure pas dans l’édition de la Correspondance de Jean-François de La Harpe par Alexandre Jovicevich ni dans ses suppléments (15). En l’éditant, C. Nisard a identifié le destinataire comme étant Jean-Baptiste Antoine Suard, ce qui semble plausible : nous connaissons en effet une autre lettre de La Harpe à Suard écrite de Ferney le 5 juillet [1767] (D14257). Une autre identification hypothétique peut cependant être suggérée. Dans la formule de politesse, La Harpe prie son correspondant d’offrir ses respects à « me saurin ». Ne tenant aucun compte de la lettre « e », Nisard a transcrit « M[onsieur] Saurin ». Il nous semble au contraire que la formule « me » est l’abréviation de « Mme », ce qui ferait de l’académicien et ami de Voltaire Bernard Joseph Saurin le destinataire de cette lettre. L’hésitation sur la personne du destinataire ne change rien à l’interprétation du document dans la mesure où Suard et Saurin étaient proches et s’adressaient de concert à La Harpe comme l’établit sa lettre du 5 juillet [1767] où il écrit : « J'accepte avec grand plaisir la commission que M. Saurin et vous me donnez ». Le fait que La Harpe prenne soin d’affirmer à son correspondant que Voltaire a apprécié ce qui était écrit de lui dans une de ses lettres fait cependant pencher la balance du côté de Suard plutôt que de Saurin, ami et correspondant assidu de Voltaire.

Il reste à dater cette lettre qui est du « 19 » sans précision de mois ni de millésime. Celui-ci n’est pas difficile à restituer. Comme l’a bien compris Nisard, les allusions à l’actualité littéraire voltairienne désignent sans équivoque l’année 1767 qui virent la parution des Homélies prononcées à Londres et du très polémique À Warburton. Le mois est plus difficile à préciser. Le terminus a quo de cette lettre est le mois de juillet, date de publication d’À Warburton (16). Son terminus ad quem est le mois d’octobre ou de novembre 1767, date à laquelle La Harpe quitta Ferney (17). Le mois ne peut donc être que celui de juillet, d’août, de septembre ou d’octobre. Or il est question dans cette lettre du fait que Voltaire avait retiré son À Warburton comme une pièce « trop forte », ce qu’il semble n’avoir fait qu’en août, suite aux critiques formulées par D’Alembert dans sa lettre du 4 du même mois (D14333). Il y est également question de l’Éloge de Charles V par La Harpe qui avait remporté le prix d’éloquence de l’Académie française comme D’Alembert l’avait mandé à Voltaire le 21 juillet (18). Dans la lettre ici éditée, La Harpe tient tête avec aplomb aux critiques de ce Discours formulées par son correspondant, ce qui s’expliquerait aisément de la part d’un jeune auteur couronné de succès. Cette lettre pourrait dater du 19 août 1767.

[Description] Jean-François de La Harpe à [Jean-Baptiste Antoine Suard ou Bernard Joseph Saurin], Ferney, 19 [août ? 1767]. L.a. paraphée, 4 pages in-8°, traces de cachet de cire rouge. IMV : CC-15. Lettre éditée par C. Nisard, Mémoires et correspondances historiques et littéraires inédits, p. 345-346.

***

Au château de Ferney ce 19.

J’ai fait voir au papa-grand-homme (19) l’endroit de votre lettre qui le regardait, Monsieur, et il m’a paru très sensible au suffrage d’un aussi bon juge. Vous recevrez bientôt de sa part les bagatelles dont vous semblez curieux. Il faut envoyer des agnus et des chapelets aux dévots, et il recommande à votre zèle la propagation de la foi (20).

La lettre contre Warburton (21) a été supprimée par l’auteur comme trop forte, et il n’y en a pas un exemplaire dans la maison. Nous attendons des Homélies (22). Vous en aurez incessamment, et vous serez content de ce Chrysostome.

Voulez-vous bien faire tenir à Mme la Comtesse du Rumain (23) en son hôtel rue des Saints-Pères, faubourg Saint-Germain (24) un paquet que vous recevrez en même temps que cette lettre adressée à MM. les directeurs de la Gazette. Vous m’obligerez infiniment. Je suis très flatté des éloges que vous donnez à mon Discours (25), et je voudrais bien pouvoir me persuader qu’il n’y entre pas beaucoup d’indulgence. À l’égard de ce degré de chaleur que vous y désireriez, oserais-je vous faire observer que c’est Charles V, un sage, un législateur, un homme de cabinet dont il est question, et qu’une raison supérieure, de grandes vues sur ce siècle rapproché du nôtre, étaient peut-être ce que j’ai dû chercher. Je vais refaire l’éloge de Charles V, comme je ferais celui d’Henri IV (26), et vouloir mettre de la chaleur à tout propos n’est-ce pas tomber dans cette déclamation, défaut de presque tous nos écrivains modernes ? Vous me dites que la multitude veut être étonnée. Mais malheur à qui étonne. Car on n’étonne pas deux fois, et je remarque que tous ces écrivains qui veulent jeter feu et flamme ne sont jamais relus.

          Et franchement, tout bien considéré.
          J’aime encor mieux être lu qu’adoré.
                                                 Rousseau (27)

Je vous propose mes doutes. C’est à vous de m’éclairer. Mais soyez sûr que l’Éloge d’Henri IV proposé par l’Académie de La Rochelle et auquel je compte travailler, sera fait d’une autre manière.

Voulez-vous bien offrir mes respects à Mme Saurin (28) et me rappeler au souvenir de vos amis et me conserver votre amitié.

***

Cette lettre date du deuxième séjour à Ferney de La Harpe, entre novembre 1766 et octobre 1767. Elle confirme ce que l’on savait déjà : La Harpe servait de relais d’opinion à Voltaire. Il était notamment chargé de transmettre les lettres, nouvelles et brochures que le Patriarche souhaitait diffuser dans les cercles littéraires de Paris. Le 5 juillet 1767, La Harpe écrivait ainsi à Suard : « quoi qu'il en dise, il [Voltaire] vivra encore longtemps. Vous pouvez assurer tous ses amis qu'il jouit d'une santé parfaite, mais il vous prie de dire à tous les autres qu'il est mourant (29) »… Parmi toutes les nouvelles diffusées, il convenait de distinguer le bon grain – le vrai – de l’ivraie : le faux. On constate au demeurant que par un processus mimétique, le jeune homme de lettres reprend à son compte la parodie voltairienne du christianisme. Les renseignements qu’il fournit sont de premier plan : on ignorait jusqu’alors que Voltaire avait désavoué, ou du moins souhaité retrancher du dispositif de ses Œuvres le trop polémique À Warburton, dont D’Alembert regrettait l’absence de toute distance ironique : « La réponse à Warburton dans la petite feuille est juste ; mais je la voudrais moins amère ; il faut pincer bien fort, même jusqu’au sang, mais ne jamais écorcher, ou du moins il faut écorcher avec gaieté, et donner le knout en riant à ceux qui le méritent (30) ». L’éditeur critique de ce texte, José-Michel Moureaux, déplore également le caractère cinglant de cette pièce, œuvre d’un « homme offensé et qui a perdu le sens du rire » : « ici la fureur n’est plus feinte… et elle attriste » (31). Voltaire ne reprendra sous la forme d’une note qu’une partie de ce pamphlet dans l’édition dite « encadrée » ; même alors il en adoucit la teneur (32). La véritable surprise de cette lettre est l’élogieuse citation de Jean-Baptiste Rousseau par un disciple de Voltaire installé à demeure au château de Ferney. Faut-il voir là une marque d’indépendance ou une révolte œdipienne du jeune homme de lettres contre son « papa-grand-homme » ? Plus certainement, La Harpe était sensible au style de Rousseau qui, n’en déplaise à Voltaire, fut un grand poète.

3/ Deux lettres de D’Alembert à Laleu et deux reçus de Laleu (1770)

La correspondance d’un homme de lettres avec un notaire ne présente aucun intérêt pour les belles-lettres, sauf, bien sûr, quand elle prend pour objet un thème littéraire. Tel est le cas des quatre documents ici édités : ils se rapportent à la souscription lancée en 1770 par les cercles philosophiques parisiens pour l’érection d’une statue de Voltaire. Dans la Correspondance littéraire du 1er mai 1770, Grimm relate le dîner du 17 avril auquel Mme Necker avait invité « dix-sept vénérables philosophes », dont Diderot, D’Alembert, Helvétius, Raynal, etc. « Après le repas, il fut proposé d’ériger une statue à M. de Voltaire, et cette résolution passa unanimement à l’affirmative ». Raynal avait sollicité « plusieurs jours auparavant » l’illustre Pigalle qui avait accepté de bon gré de réaliser une esquisse en terre glaise d’un Voltaire nu, à l’antique. Ce sculpteur s’était engagé « à se rendre à Ferney » et à réaliser la statue dans un délai de deux ans. À onze voix contre six, il avait également été décidé que la souscription ne serait pas réservée aux hommes de lettres, mais ouverte à toute personne souhaitant exprimer son admiration pour Voltaire, à condition d’y contribuer d’au moins « deux louis », soit quarante-huit livres. On arrêta enfin que « l’argent de la souscription » serait « remis en dépôt chez M. de Laleu, notaire ordinaire de M. de Voltaire, qui fournira à M. Pigalle les sommes dont il aura besoin » (33). Avec son efficacité coutumière, D’Alembert assura le secrétariat de la souscription, centralisant les contributions et les adressant à Laleu. Trois jours après le dîner organisé par Mme Necker, il déposa chez ce notaire le montant des quatre premières souscriptions.

[Description] Jean Le Rond D’Alembert à Guillaume-Claude Laleu, [Paris], 20 avril [1770]. L.a., in-8°, 4 p., p. 2-3 bl., ad. p. 4. IMV : CC-30.

***

Vendredi 20 avril.

M. D’Alembert, de l’Académie française, a l’honneur d’envoyer à Monsieur de Laleu 24 louis pour la statue de M. de Voltaire, savoir :

6 louis pour lui ;
6 louis pour M. Duclos, de l’Ac[a]d[émie] française.
6 louis pour M. le marquis de Condorcet, de l’Académie des sciences, et ;
6 louis pour M. le comte de Rochefort, chef de brigade des gardes du corps.

M. D’Alembert espère envoyer incessamment à monsieur de Laleu de nouvelles souscriptions.
À Monsieur, Monsieur de Laleu notaire, vieille rue du Temple.

***

Cette lettre est importante : elle indique les noms des quatre premiers souscripteurs. A défaut d’être les plus fervents adorateurs de Voltaire – Duclos que nous avons évoqué supra ne se rattache pas à cette catégorie –, ce sont des hommes influents : deux académiciens des lettres, dont le secrétaire perpétuel de l’Académie française, un académicien des sciences, Condorcet, et le comte de Rochefort, officier des gardes-du-corps de Louis XV.

[Description] Jean Le Rond D’Alembert à Guillaume-Claude Laleu, [Paris], 11 septembre 1770. L.a.s, in-8°, 4 p., p. 3 bl., ad. p. 4. IMV : CC-31.

***

Ce 11 sept[embre] 1770.

J’ai l’honneur d’envoyer à Monsieur de Laleu trente-quatre louis, savoir :
Pour M. Turgot (34), intendant de Limoges ….10 louis
Pour M. XXX qui ne veut pas être nommé………10 louis
Pour M.XXX (35) qui ne veut pas l’être non plus…….10 louis
Pour M. le Roi (36), de l’Académie des Belles-
Lettres, et de celle d’architecture             ………...2 louis.
Pour M. Maillet du Clairon (37), commissaire
de la marine et du commerce de France à…………2 louis
Amsterdam

---
34 louis
---

Comme je pars pour un voyage de six à sept mois au moins (38), j’ai l’honneur de prévenir Monsieur de Laleu qu’il pourra recevoir en mon absence les souscriptions qu’on lui enverra ; il voudra bien aussi en mon absence donner à M. Pigalle, sur ses quittances, l’argent qu’il lui demandera. Monsieur de Laleu recevra vraisemblablement bientôt une souscription de la part du roi de Prusse, qui m’a fait l’honneur de m’écrire qu’il contribuerait avec grand plaisir à l’érection de ce monument (39).
[signé] D’Alembert
[adresse] A Monsieur, Monsieur de Laleu, notaire, vieille rue du Temple

***

[Description] Reçus de Guillaume-Claude Laleu, [Paris], 5 octobre  et 19 décembre 1770, document autographe, in-8°, 2 p., p. 2 bl. IMV : CC-31

***

Du 5 o[cto]bre 1770
Reçu du roi de Prusse (40)               750 H

                   Le 19 xbre [décembre].
Reçu du roi de Danemark (41)       4800

***

Ces reçus ne nous révèlent rien que nous ne savions déjà. Tout au plus le montant de « 750 » livres tournois explicite-t-il la somme de « deux cents écus d’Allemagne » offerte par Frédéric II et celui de « 4800 livres » confirme-t-il les « deux cents louis » offerts par Christian VII (42). On constate plaisamment que la souscription de Voltaire fit l’objet entre les souverains d’une sorte de « potlatch » ou rivalité de prestige recourant aux dons ostentatoires. Il va de soi qu’une tête couronnée « doit payer autrement qu’un particulier » (43), c'est-à-dire sans barguigner et au prix cher. En offrant cent fois le montant minimal de la souscription et une somme plus de six fois supérieure à celle du roi de Prusse, Christian VII s’affirma comme un souverain éclairé autant que généreux. Au jeu du potlatch, il battit à plate couture Frédéric II qu’on avait connu plus habile…

4/ Melle Clairon à Larive (1772)

Non datée et non signée, la lettre suivante n’est pas inédite. Besterman ne semble pas en avoir fait usage. Son destinataire est identifié par l’adresse bruxelloise portée en page 4 du manuscrit : c’est le futur rival de Talma, l’illustre comédien Jean Mauduit, dit Larive (6 août 1747-30 avril 1827). Jeune premier, il avait débuté à « la Comédie française le 3 décembre 1770 par le rôle de Zamore dans Alzire » sans y avoir été reçu à cette date (44). Il fut engagé à la saison 1772-1773 à Bruxelles moyennant 6000 livres d’appointements annuels (45). La date et le destinateur sont dès lors aisés à identifier : cette amie intime de Larive affirme avoir récemment « eu une petite fête chez [elle], M. de Marmontel a fait une ode pour l’érection de la statue de M. de Voltaire ». Or l’Ode à la louange de Voltaire, prononcée par Mademoiselle Clairon, au pied de sa statue, en 1772 figure dans les Œuvres complètes de Marmontel (46). Elle fut composée afin de célébrer l’achèvement du Voltaire à l’antique de Pigalle, qui avait fait l’objet d’une souscription en 1770 (voir la correspondance de D’Alembert avec Laleu supra). Le destinateur de cette lettre est donc Claire Josèphe Hippolyte Leris de La Tude, dit Melle Clairon, la plus illustre comédienne de son siècle et l’actrice favorite de Voltaire. Nous semblons ignorer la date exacte de la célébration. Comme l’imminence de l’événement fut annoncée à Voltaire par Mme Necker vers le 15 septembre 1772 (47) et que La Harpe affirmait, vers le 25 du même mois, avoir été « témoin, mardi dernier, d’une fête d’autant plus agréable qu’elle était imprévue (48), nous proposons de la dater du mardi 22 septembre 1772. Comme Melle Clairon s’est empressée de prendre la plume pour relater l’événement à Larive, sa lettre pourrait dater du mercredi 23.

En 1772, Larive était âgé de vingt-cinq ans. Très jeune, il « était devenu l’élève des deux plus grands acteurs de France », Lekain et Melle Clairon qui s’était vivement intéressée à son succès. Entre le jeune acteur et l’illustre comédienne s’établirent des rapports qui dépassaient le cadre strictement professionnel : ils furent amants. Cet amour n’était pas purement désintéressé puisque Melle Clairon espérait que les succès de ce « futur Roscius nuiraient à ceux de Lekain, qu’elle détestait toujours (49) ».

[Description] [Claire Josèphe Hippolyte Leris de La Tude, dite Melle Clairon], à Jean Mauduit dit Larive, [Paris, 23 ? septembre 1772]. L.a., 4°, 4 p., ad. p. 4. IMV : CC-09. Un extrait de cette lettre a été édité par Edmond de Goncourt, Mademoiselle de Clairon d’après ses correspondances et les rapports de police du temps, Paris. G. Charpentier, 1890, p. 312-313 (50).

***

Je vous ai mandé, mon cher enfant (51), que si ce que vous désiriez regardait Melle Eugénie, je m’en chargerais, je n’ai point changé d’avis sur son compte,  j’ai le même désir de l’obliger, je ne la mets point dans la classe de ceux qui peuvent m’importuner, je l’ai trouvée très aimable, j’ai pris de l’amitié pour elle, je ne fus jamais injuste, je ne me permettrai jamais de l’être, d’après cela elle doit être sûre que j’aurai grand plaisir à faire ce qui lui conviendra, et grand plaisir à la revoir (52). Assurez l’en, je vous en prie, et reprochez-vous de ne pas me connaître encore assez pour vous être dit tout cela vous-même. Parlez-moi d’elle, parlez-lui de moi, je crois que nous sommes dignes de nous entendre et de nous aimer.

Je n’ai pas besoin de vous dire combien vos succès me font du plaisir, je me flatte que vous connaissez dans toute son étendue l’intérêt que vous m’inspirez. M. Dorcy (53) n’est point encore de retour, il est allé prendre les eaux d’Aix en Piémont (54), quand il reviendra je lui parlerai de vous et du remède. J’ai eu une petite fête chez moi (55), M. de Marmontel a fait une ode pour l’érection de la statue de M. de Voltaire ; habillée en prêtresse et couronnant le buste de ce grand homme (56), j’ai récité cette ode avec toute la pompe possible, vous en aurez le récit par le Mercure ou de ce mois ou du mois prochain mais je veux que vous ayez avant tout le monde les vers que cela m’a valu.

Gardez les yeux sur ici, Melle Dubois (57) a été voir ses supérieurs pour leur dire qu’elle se retirerait à Pâques si son enrouement (qu’elle a toujours) continuait ; deux jours après on lui a fait signifier son ordre de retraite pour le moment. Elle en est au désespoir parce que cela lui fait perdre sa part de la recette de l’hiver et qu’elle aime un peu l’argent. Comme elle travaille à faire casser cet ordre, que j’ignore ou cela en est, je ne veux pas que cette nouvelle s’ébruite par moi. Hier Melle Arnould (58) me fit dire par Marmontel qu’elle venait de recevoir des lettres de Bruxelles où l’on lui détaillait toutes les injures que vous aviez dites à Chevalier et les excuses qu’on vous avait forcé lui demander. J’ai répondu comme je devais répondre, mais ne faisant pas comme elle le métier de trompette, je ne puis parer à son propos si elle le tient à d’autres, engagez votre amie à lui écrire la vérité, afin qu’il soit en son pouvoir de lui rendre hommage. Pour vous mon enfant gardez-vous de vous fâcher, on ne fait jamais rien de bon lorsqu’on est en colère et c’est se dégrader que de s’y mettre contre de certaines gens. Bonjour, mon cher enfant, je vais passer chez la personne qui s’est chargée de mon catalogue pour savoir au moins ce qu’il est devenu.
[adresse] À Monsieur, Monsieur de Larive chez M. Paper, rue des Dominicains 6, à Bruxelles.

***

Fait surprenant, la nouvelle du couronnement du buste de Voltaire qui fit sensation dans les journaux, gazettes et nouvelles (59) n’occupe qu’une place minime dans cette lettre truffée de conseils destinés au jeune Larive. Melle Clairon passe sous silence la mise en scène de cette cérémonie. Elle avait coutume de recevoir ses amis à dîner tous les mardis. Sans se présenter, elle donna ordre d’introduire les convives :

Elle ne paraît point, se fait excuser, sous prétexte qu’il lui est survenu une affaire indispensable, mais ne tardera pas à paraître. Lorsque tout le monde est arrivé, on prie l’assemblée de passer dans une autre pièce. Là, deux rideaux s’ouvrent. On voit le buste de M. de Voltaire placé sur un autel. À côté, Melle Clairon, habillée en prêtresse, commence l’apothéose en posant une couronne de lauriers sur sa tête […] (60).

Cette cérémonie laïque constitue le premier des couronnements de Voltaire dans les années 1770, celles de son apothéose. Il commanda en 1775 à un médiocre peintre de la région Rhône-Alpes, A. Duplessis, Le Triomphe de Voltaire dans laquelle Apollon lui remet « la couronne d’immortalité (61) ». La cérémonie chez Melle Clairon préfigure le fameux « Triomphe de Voltaire » le 30 mars 1778 à la Comédie-Française (62) lors de la sixième représentation d’Irène, où la marquise de Villette le couronna dans sa loge avant que la comédienne Vestris couronne son buste sur la scène à l’issue de la représentation.

5/ Le comte d’Argental à Jacques Joseph Marie Decroix (1778)

Charles Augustin Feriol, comte d’Argental est l’auteur de cette lettre, partiellement inédite, qui fut adressée le jour de l’an 1778 à Jacques Joseph Marie Decroix (1746-1826), « voltairien passionné » selon l’expression de Jacqueline Marchand et future cheville ouvrière de « l’édition de Kehl », première édition posthume des Œuvres complètes (63). Il n’est pas exagéré d’écrire que Decroix a poussé l’amour de Voltaire jusqu’à l’idolâtrie : il fait partie de la secte des voltairiens, sinon des voltairomanes, qui se reconnaît notamment à certaines tournures stylistiques (64). En guise d’hommage à son maître et inspirateur, il avait composé L'Ami des arts, ou justification de plusieurs grands hommes (Amsterdam [Lille], 1776), qui figurait dans la bibliothèque de Voltaire (65). Accompagné du magnat de la presse française, Charles-Joseph Panckoucke, il se rendit à Ferney au début d’octobre 1777 pour proposer au Patriarche une nouvelle édition de ses Œuvres, aussitôt approuvée (66). Decroix et Panckoucke parvinrent ainsi à arracher Voltaire « au monopole des Genevois » (67). Leur habileté avait été de lui rendre hommage le jour même de la Saint-François, son patron, le 4 octobre 1777. C’est très probablement en cette occasion que Decroix composa des « vers présentés le jour de Saint-François » que nous ne connaissons apparemment que par la réponse de Voltaire :

Pourquoi vous plaisez-vous, avec ce doux langage,
À me reprocher mon patron ?
Ne me raillez pas davantage,
Monsieur, et gardez son cordon
(68).

Voltaire appréciait Decroix : selon le marquis de Villette, « il est entré chez Mme Denis en chantant vos louanges, et vous savez qu'on ne peut pas l'accuser de philanthropie ». Peu avant la présente lettre, Decroix avait offert à Voltaire son expertise juridique pour régler d’obscures affaires ferneysiennes (69).

[Description] Charles Augustin Ferriol, comte d’Argental à [Jacques Joseph Marie Decroix], Paris, 1er janvier 1778. L.a.s., in-8°, 3 p., p. 4 bl.  IMV : CC-22. C’est la lettre D20967 dont Besterman donne un extrait et un résumé d’après un catalogue de vente. Nous indiquons entre crochets le passage édité par Besterman.

***

A Paris, ce 1er janvier 1778.

J’ai reçu, Monsieur, dans son temps la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire (70) mais j’ai différé ma réponse afin de pouvoir vous donner des nouvelles d’Alexis (71), c’est l’enfant chéri de M. de Voltaire, il est vrai qu’il plus intéressant qu’Agathocle (72) et est par conséquent susceptible d’un plus grand succès quoique peut-être écrit d’une manière un peu moins soignée, il était très simple que M. de Voltaire fût affranchi de la règle qui exige de la part des auteurs une lecture à l’assemblée des comédies, mais nous avons pensé que cela pourrait les indisposer et que le mystère qu’on leur ferait serait sujet à quelque mauvaise interprétation, nous avons donc pris le parti de faire lire la pièce demain (73) par Monvel, Lekain n’ayant pas pu s’en charger (74), [vous sentez, Monsieur, qu’il ne sera pas question de mettre la chose en délibération mais uniquement de ne pas dérober à tout ce qui compose la troupe la connaissance de l’ouvrage (75). Ce pas fait, on enverra le manuscrit à la police et l’approbation donnée (76), on procédera à la copie des rôles et à leur distribution (77)]. Vos vers sont très jolis : l’idée en est agréable et bien exprimée, je m’en tiendrais à votre première manière, le mot de vieillesse est bon à éviter, c’est une vérité qui vaut autant de ne pas dire. Ils flatteront infiniment M. de Voltaire mais je vous conseille de lui en faire part avant de les livrer au public. Suivant vos conseils, je me suis adressé à Panckoucke pour avoir Le Prix de la justice et de l’humanité (78). Il a écrit et n’a point reçu de réponse (79). Quant à Ériphyle, M. de Voltaire me mandera sans doute le parti qu’il prendra sur l’impression. Il ne me reste, Monsieur, qu’à vous souhaiter dans cette nouvelle année tout ce que vous pouvez désirer. Ces vœux sont bien sincères puisqu’ils sont l’effet des sentiments que vous m’avez inspirés et avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
[signé] D’Argental

***

Nous ignorons le poème que Decroix souhaitait adresser à Voltaire. On ne peut ici que formuler une hypothèse. Le 23 janvier 1778, le marquis de Villette écrivait de Ferney à Decroix :

Je ne sais, Monsieur, ce que vous avez fait à ce grand pontife des muses qui nous a béni[s] ? Mais il est entré chez Mme Denis en chantant vos louanges, et vous savez qu'on ne peut pas l'accuser de philanthropie […].

Faut-il penser que l’expression figurant en italiques est la citation d’un extrait du poème de Decroix ? Si l’hypothèse semble plausible, rien ne permet à ce jour de la confirmer. Nous ignorons également si Decroix fit publier cette pièce. D’un naturel timoré, il déclarait être une « poule mouillée » (80). Aussi aimait-il à « garder l’anonyme dans toutes ses publications » (81). Si cette pièce a été éditée, elle l’a probablement été sans nom d’auteur.

6/ Jean-François de La Harpe aux Comédiens du Théâtre-Français (1782)

De toutes les lettres ici présentées, celle-ci est la plus aisée à éditer. Œuvre de Jean-François de La Harpe, elle est datée du 16 mai 1782. Sa teneur nous permet d’identifier sans l’ombre d’un doute le destinataire : il ne s’agit pas d’une personne physique mais d’une personne morale, la Compagnie des Comédiens du Théâtre-Français. Grâce aux travaux de Christopher Todd, on sait quels furent les démêlés de La Harpe avec cette compagnie (82).

[Description] Jean François de La Harpe aux Comédiens du Théâtre-Français, [Paris ?], 16 mai 1782. L.a.s., 4 p. in-4°, p .2-4 bl. IMV : CC-16. Lettre dont un extrait a été publié sur la base d’un catalogue de vente par la revue Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, 15, 1993, p. 178. Apparemment inédite, elle ne figure pas dans l’édition C. Todd de la correspondance de La Harpe avec la Comédie-Française.

***

Messieurs,

Un ouvrage consacré à la gloire de M. de Voltaire est un présent que vous pouvez accepter sans scrupule, de la part d’un de ses disciples. Les motifs qui m’ont fait composer les Muses rivales, l’époque où elles ont paru, les effets qui en ont résulté, m’ont rendu cet ouvrage assez cher et m’en ont assez récompensé, pour que ce soit en effet un léger sacrifice que l’abandon des droits qui peuvent encore me rester. Permettez donc, Messieurs, que j’y renonce entièrement, et d’autant plus volontiers que votre intention, à ce que l’on m’assure est de donner tous les ans dans la dernière semaine de mai, trois représentations de cette pièce, et d’en faire un hommage annuel à la mémoire de M. de Voltaire.  Je m’empresse donc d’entrer autant qu’il est en moi dans ce projet, et d’associer ma reconnaissance à celle que vous conservez pour le grand homme qui a été un des plus illustres bienfaiteurs du théâtre français.

J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que vous me connaissez, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur
De La Harpe
16 mai1782.

***

La Harpe dédia à Mme Denis Les Muses rivales, ou l’apothéose de Voltaire, comédie en un acte et vers libres, qui fut représentée à la Comédie-Française le 1er février 1779 (Paris, Pissot, 1779). Elle connut un franc succès. En 1782, il était question de la porter de nouveau sur la scène (83). En proposant d’en offrir les droits à la Comédie-Française et en conditionnant cette cession à l’engagement pris par ce théâtre de la représenter chaque année au mois de mai afin de commémorer la mort de Voltaire, La Harpe entendait assurer la pérennité de ses représentations. En vain : la pièce ne fut représentée de nouveau, et à quatre reprises, qu’en 1791.

Dans son édition de la correspondance de La Harpe, Christopher Todd a daté de « [1779 ?] » une lettre du « Premier semainier de la Comédie-Française » à l’auteur des Muses rivales, tout en remarquant que cette lettre est « difficile à dater ». Elle semble être la réponse des Comédiens à la présente lettre ; elle doit donc être datée de la [fin-mai 1782]. Nous la reproduisons ici intégralement pour convaincre le lecteur du bien-fondé de cette nouvelle datation.

***

Monsieur,

La Comédie accepterait volontiers l’offre que vous lui faites au sujet des Muses rivales, si cette offre ne paraissait partir de l’opinion où vous êtes que notre intention est de donner tous les ans dans la dernière semaine de mai, trois représentations de cette pièce et d’en faire un hommage annuel à la mémoire de M. de Voltaire ; la Comédie pleine du même zèle et avec la résolution de la réaliser aussi souvent qu’elle le pourra [sic], ne peut pourtant pas prendre l’engagement d’où paraît partir votre offre ; en conséquence, elle vous prie de garder vos droits sur les Muses rivales, elle s’apprête à les jouer et saisit avec plaisir cette occasion de vous donner une preuve de son sincère attachement,
J’ai [etc.] (84)

***

7/ Mme Vimeux, Clogenson et un portrait de Voltaire offert au comte d’Argental.

À ce lot de lettres s’ajoute un dossier concernant un portrait offert par Voltaire au comte d’Argental vers 1773, que celui-ci légua à sa fille adoptive, Mme Vimeux, en 1788 et que l’éditeur Jean Clogenson acquit en 1826. Le meilleur de tous les éditeurs de Voltaire au XIXe siècle, Adrien Beuchot, rendit un hommage appuyé à son concurrent en lui appliquant les vers du Discours sur l’homme : « Je n’ai point d’ennemis, j’ai des rivaux que j’aime » (85). En acquérant ce portrait, Clogenson constitua un dossier composé de plusieurs pièces dont nous éditons les plus intéressantes.

[Description] Codicille autographe de 6 lignes au testament de Charles Augustin Ferriol, comte d’Argental, Paris, 6 février 1781. 20,4 cm de longueur, 3,1 à 3,6 cm. de hauteur. IMV : MS-CC-64

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Outre les legs que j’ai faits à Marie Sophie Gillet, femme du sieur Vimeux, par mon testament que je confirme en entier, je lui laisse la nouvelle édition des Œuvres de Monsieur de Voltaire, pour laquelle j’ai souscrit chez Monsieur de Beaumarchais, et si elle ne paraît qu’après mon décès, je prie mon légataire universel d’acquitter les douze louis qui seront dus lors de la livraison. Fait à Paris le six février mil sept cent-quatre-vingt-un.
Ferriol d’Argental

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Marie-Sophie Gillet, épouse Vimeux, fut adoptée par les d’Argental dans les années 1750 (86). « Fille d’un secrétaire du comte d’Argental, élevée sous les yeux de l’ami de Voltaire, elle remplit auprès de ce digne personnage, dont elle était peut-être un enfant naturel, les multiples fonctions de dame de compagnie de sa femme, d’intendante de sa maison, d’impresario de son théâtre, de secrétaire intime enfin (87) ». Voltaire fit sa rencontre lors de son dernier séjour à Paris : « Vous ne m'avez jamais dit, mon cher ange, quelle est la dame ou la demoiselle aimable et respectable, ou l'une et l'autre, qui vous prête sa main quand vous avez la bonté de m'écrire (88) ». C’est « elle qui, en 1778, a assuré la mise en forme d’Irène avant sa présentation aux comédiens du Théâtre-Français (89) ». Dans une lettre à son oncle resté à Ferney après la mort de Voltaire, Jean-Pierre Claris de Florian résume joliment l’existence de cette femme de lettres : « Mme d’Argental la prit dans une extrême amitié, la dota, la maria à un homme dans les affaires. Cet homme a su faire fortune, mais n’a jamais su être un homme de bonne compagnie. Il a donc passé sa vie à la Bourse, et Mme de Vimeux la sienne chez M. d’Argental avec M. D’Alembert, Condorcet, l’abbé Arnaud, presque toute l’Académie, et par conséquent avec l’élite de Paris. Nous avons beaucoup joué à la comédie ensemble (90) », elle et lui se partageant les premiers rôles du théâtre de société du comte d’Argental. C’est logiquement que ce dernier céda à cette femme d’esprit, admiratrice de Voltaire, son exemplaire de l’édition de Kehl des Œuvres complètes.

[Description] Copie pour Clogenson d’une note de Marie Sophie Gillet, épouse Vimeux, Paris, 15 novembre 1826, et note de Clogenson, 4 p., p. 2-4 bl., in-8°. IMV : CC-76.

***

Note pour Monsieur Clogenson.

N’ayant pas cessé d’habiter la maison de Monsieur le comte d’Argental depuis ma naissance jusqu'à sa mort, je certifie que j’ai vu arriver le petit portrait qui lui a été envoyé par Voltaire en 1775 ou 16 [lire 1776], et que, le 10 février 1778, en descendant de voiture, Voltaire vint chez M. d’Argental absolument dans le même costume, et que nous fumes frappés de la parfaite ressemblance. M. d’Argental, mort le 6 janvier 1788, légua ce portrait à un fils que j’ai eu le malheur de perdre, et je le possède depuis cette époque.
G. Ve. Vimeux (91).

À Paris ce 15 novembre 1826.

[Note de la main de Clogenson] Madame Vimeux est née rue neuve Saint-Roch le 7 septembre 1749.

Monsieur d’Argental est mort à une heure du matin le 6 janvier 1788. Il était né en 1700.

***

Près de cinquante ans après les faits, les souvenirs de Mme de Vimeux restent étonnamment vivaces. Ayant quitté Ferney le 5 février 1778, Voltaire arriva à Paris le 10 du même mois. Aussitôt après avoir déposé ses bagages chez le marquis de Villette qui l’hébergeait, il rendit visite à son vieil ami, le comte d’Argental, qu’il n’avait pas revu depuis plus de vingt ans (92). Son « petit portrait » - on comprendra bientôt qu’il s’agissait d’une « miniature » - datant de moins de trois ans, on ne s’étonnera pas du fait que Mme de Vimeux l’ait trouvé ressemblant. De l’aveu de celle-ci, la ressemblance était accentuée par l’étonnant « costume » de Voltaire, qui était sans doute à la mode… trente ans auparavant et qui fit de lui la risée des badauds parisiens, ignorant à qui ils avaient affaire. Selon les Mémoires de Bachaumont, il « était dans un accoutrement si singulier, enveloppé d’une vaste pelisse, la tête dans une perruque de laine surmontée d’un bonnet rouge et fourré, que les petits enfants, qui l’ont pris pour un chie-en-lit, dans ce temps de carnaval, l’ont suivi et hué (93) ». Quel était ce portrait ? Deux notes de Clogenson nous l’apprennent.

[Description] Reçu d’une main inconnue (94) et note de la main de Clogenson : 2 pages, 13,5 cm de longueur sur 9,5 cm de hauteur. IMV : MS-CC-64.

***

Je reconnais avoir reçu de Monsieur Renouard* la somme de deux cent quarante francs pour le prix d’un portrait de Voltaire en miniature, ce 31 décembre 1826 à Paris

M.S.G.Ve. (95) Vimeux

[Note de Clogenson]

* M. Jules Renouard, libraire, rue de Tournon, successeur de son père, Antoine-Augustin Renouard. Ce fut M. Jules Renouard qui me mit en rapport avec madame Vimeux, pour ce portrait en miniature, comme pour le portrait en pastel de Bavaste, et celui de Melle Aïssé, ou Haïdée. Quant au portrait de d’Argental, ce n’est qu’une copie d’un très beau portrait, original, à l’huile, que possédait encore madame Vimeux en 1826 et 1827. Cette copie me fut donnée par-dessus le marché amical du beau portrait de Voltaire, un pastel, lequel est de 1774.

Je versai les 240H à M. Jules Renouard, pour Mme. Vimeux, et M. Renouard me remit, chez lui, à Paris, rue de Tournon, le reçu ci-contre.

Je n’ai pas retrouvé, quant à présent, de reçu du prix donné par moi du grand portrait de Bavatte. Je le payai cher, et je remis l’argent à madame Vimeux, chez elle. Le portrait, en grand, de Voltaire, et de Melle Aïssé (96), me furent cédés quelques mois, au moins, avant la petite miniature qui m’appartient depuis le 15 novembre 1826. À Rouen, ce 15 juin 1850.

***

[Description] Note autographe de Clogenson, [vers 1850 ?], 2 pages in-8°, p. 2 bl. IMV : MS-CC-64.

***

1770, août.
Portrait en miniature, de Voltaire.
Voltaire a envoyé son portrait, dans une montre, le 15 août 1770 (97), à son petit-neveu d’Hornoy, qui se mariait le 7 dudit mois. Vol. 66. p. 371 (98).
Je possède un portrait du même genre, envoyé par Voltaire, à d’Argental.

***

Le portrait de Voltaire dont il est ici question serait donc une miniature sertie dans une montre sortie des manufactures ferneysiennes d’horlogerie. La correspondance de Voltaire et d’Argental que nous avons conservée ne comporte aucune trace de l’envoi d’un tel présent à Paris. Cette lettre confirme ce que nous savions déjà des éditeurs de Voltaire de la première moitié du XIXe siècle : tous étaient également de fervents collectionneurs, s’attachant recueillant sur le marché des autographes ainsi que tous les souvenirs du grand-homme. Leur sincère admiration de Voltaire confinait à la vénération (99).

Conclusion

Sans révolutionner les études voltairiennes, ces dix-sept lettres ou documents renouvellent notre connaissance de la vie et de l’œuvre de Voltaire. Les quatre premiers ont trait aux rapports d’inimitié qu’il a entretenus avec différents auteurs. Les deux premières révèlent une sorte de conjuration des ennemis de plume de Voltaire contre « l’Antéchrist » des mœurs et du bon goût. L’autographe de Castre d’Auvigny complète une lettre partiellement éditée par Besterman autant qu’elle en rectifie le destinataire. La quatrième lettre présente les tentatives désespérées de Richard de Bury pour se venger de Voltaire ; elle nous fait percevoir combien un écrivaillon éprouvait le besoin de s’allier avec un auteur faisant autorité pour tenter de contrer le Patriarche sur son terrain. Les treize autres documents s’inscrivent sous le signe de l’amitié littéraire. L’étonnante lettre de Mme d’Argental donne à comprendre que, dès 1750, elle faisait preuve plus de lucidité que Voltaire en représentant Frédéric II de Prusse comme une sorte d’Alcine, faisant perdre le bon sens à tous ceux qui l’approchaient. La lettre de La Harpe de 1767 est, à notre connaissance, le seul témoignage affirmant que Voltaire avait renié son trop polémique À Warburton. Les quatre documents suivants nous procurent la liste des premiers contributeurs à la souscription ouverte pour l’érection d’une statue à Pigalle autant qu’ils révèlent le potlatch auquel cette souscription a donné lieu entre les têtes couronnées. La lettre de Melle Clairon à Larive préfigure le couronnement de Voltaire à la Comédie-Française le 30 mai 1778. Celle de d’Argental à Decroix complète l’édition Besterman qui n’en avait donné que des extraits. La lettre de La Harpe de 1782 permet de corriger la datation d’une autre lettre de La Harpe en la reculant de trois ans. Les quatre derniers documents font apparaître un personnage négligé des études voltairiennes, Melle Vimeux, et révèlent l’existence d’une miniature offerte par Voltaire à d’Argental. Le trait commun à tous ces autographes est la présence en creux de Voltaire, figure qu’on encense ou qu’on décrie, qu’on exalte ou qu’on calomnie. Le fait qu’il s’inscrive au cœur de toutes ces correspondances littéraires n’est-il pas le signe flagrant de l’hégémonie qu’il exerça sur la République des Lettres au siècle des Lumières ?

Christophe Paillard, Ferney, le 4 avril 2010.


(1) Friedrich Melchior Grimm à Catherine II de Russie, 27 octobre [7 novembre] 1778, SRIO, t. 44, p. 69.

(2) Voir A. Soprani, notice « Argental, Charles Augustin de Ferriol, comte d’ » dans A. Goulemot, D. Masseau et A. Magnan (dir.), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995, p. 89-93.

(3) Voltaire à Mme Denis, 22 août 1750, D4193.

(4) Voir la lettre du comte Algarotti à Frédéric II de Prusse du 28 novembre 1749.

(5) Voir Voltaire aux d’Argental, 21 août [1750], D4192 où les chers « anges » sont qualifiés de « neuillistes ».

(6) Mme d'Argental anticipe curieusement le thème des Mémoires où Voltaire représente Frédéric II de Prusse sous les traits de l’enchanteresse Alcine, héroïne de l’Orlando furioso de l’Arioste.

(7) L’opéra Phaéton fut transposé en italien par di Villati sous le titre de Fetonte.

(8) Il s’agit sans doute du livret de Phaéton. On s’étonne que di Villati ait adressé à Paris l’exemplaire destiné à Voltaire, alors que celui-ci était présent à Potsdam. Sans doute l’avait-il envoyé à Mme d’Argental vers juin 1750, avant le départ de Voltaire. Mme d’Argental s’excuse en effet ici de ne répondre à sa lettre qu’avec beaucoup de retard. Si notre interprétation est exacte, Voltaire connaissait donc le livret de Villati avant même son arrivée en Prusse.

(9) La construction de cette phrase ne permet pas de comprendre si Mme du Boccage était l’amie de Voltaire – ce qu’on savait déjà – ou si elle était également celle de Mme Denis, fait qui ne semble pas être documenté.

(10) Voltaire à Mme Denis, 22 août 1750, D4193. Il est à noter que cette lettre faisait partie du roman épistolaire antifrédéricien Paméla, longtemps perdu et retrouvé au XXe siècle par J. Nivat puis A. Magnan : voir L’Affaire Paméla. Lettres de Monsieur de Voltaire à Madame Denis, de Berlin, présentées par André Magnan,  Paris, Paris-Méditerranée, 2004, p. 38-39.

(11) Voltaire aux d’Argental, 21 et 28 août [1750], D4192 et D4201.

(12) Voir VST, t. 1, p. 629.

(13) Voir VST, t. 1, p. 630 : « Cependant commençaient à apparaître les inconvénients de la transmigration. On lui tient rigueur à Versailles de ce qu’on juge être une trahison- Voltaire s’avise, un peu tard, que les voies du retour pourraient lui être coupées ».

(14) C. Nisard, Mémoires et correspondances historiques et littéraires inédits – 1726-1816, Paris, Michel Lévy Frères, 1858, p. 345-346.

(15) Alexandre Jovicevich, « An Unpublished Letter of La Harpe », Modern Language Notes, 78, mai 1963, p. 304-307 ; Correspondance de Jean-François de La Harpe, Paris, Éditions Universitaires, 1965, et ; « Thirteen additional letters of La Harpe », SVEC 67, 1969, p. 211-228.

(16) Voir l’édition critique de ce pamphlet par José-Michel Moureaux, OCV, t. 64, p. 453-465. La publication fut annoncée par Grimm dans la livraison de la Correspondance littéraire du 1er août (t. 7, p. 380).

(17) Le 30 septembre 1767, La Harpe annonce son départ de Ferney pour le 7 ou le 8 octobre (D14448, commentaire). Si Voltaire annonce au marquis de Villette l’imminence de son départ le 4 octobre (D14465), La Harpe était encore présent le 14 octobre (Voltaire à Jean François Marmontel, D14480). Le 30, Honoré Armand, duc de Villard, priait Voltaire de le féliciter La Harpe (D14507). Une chose est sûre : La Harpe n’était plus à Ferney depuis plusieurs semaines à la date du 7 décembre (Voltaire à Michel Paul Gui de Chabanon, D14575).

(18) Voir D14297, n. 1 ; sur le « succès du discours de M. de La Harpe », voir Jean François Marmontel à Voltaire. 7 août 1767, D14343.

(19) « Papa Grand Homme » : « C’est le nom que donnent à M. de Voltaire tous les petits polissons d’adulateurs qui lui parlent ou qui lui écrivent » écrit Fréron (L’Année littéraire, Paris, Le Jay, 1773, t. 2, p. 292, note). L’usage de cette expression semble avoir surtout été le fait de La Harpe (voir sa lettre à Suard du 5 juillet [1767], D14257).

(20) Voir José-Michel Moureaux, « Voltaire apôtre : de la parodie au mimétisme », Poétique, 17, 1986, p. 159-177. Les disciples de Voltaire ont épousé sa parodie du discours chrétien.

(21) À Warburton, OCV, t. 64, p. 453-465.

(22) Voir l’édition critique par Jacqueline Marchand des Homélies prononcées à Londres, OCV, t. 62, p. 411-485, dont les quatre premières parurent en 1767. Les Mémoires secrets les signalent dès le 10 mai 1767.

(23) Probablement Constance Gabrielle Bonne Le Vicomte du Rumain de Polignac (1747-1783), fille de Charles Le Vicomte, comte du Rumain, marquis de Coëtanfo, maréchal de camp des armées du roi, et de Constance Simone Flore Gabrielle Rouault de Gamaches, dite Mademoiselle de Cayeux. Dame d’honneur de la duchesse de Chartres, elle avait épousé le 23 février 1767 Louis-Alexandre de Polignac, dit le marquis de Polignac, capitaine de cavalerie dans le régiment de Clermont-Prince. A moins qu’il ne s’agisse de sa mère ? Nous avons d’elles un portrait signé Carmontelle (F.-A. Gruyer, Chantilly. Les portraits de Carmontelle, Paris, Plon, 1902, p. 226-227).

(24) Selon le comte d’Aucourt (Les Anciens hôtels de Paris, nouvelle édition, Paris, Honoré Champion, 1890, p. 21), ce n’est qu’en 1783 que l’hôtel Chauvelin est passé aux mains des Rumain. Il est situé au « 14 ou 16 » rue des Saints-Pères, entre les rues de Verneuil et de l’Université.

(25) Jean-François de La Harpe, Éloge de Charles V, roi de France qui emporta en juillet 1767 le prix de l’éloquence de l’Académie française. Voltaire l’avait recommandé à D’Alembert dès le 25 juin [1767] (D14240).

(26) La Harpe s'apprête en effet à composer un Éloge de Henri IV, roi de France pour participer à un concours de l’Académie de La Rochelle. Il échouera, Gaillard obtenant le premier prix (voir D15445, n. 7), mais fera paraître cet éloge en 1769 (Amsterdam [Paris], Lacombe ; BV 1870 : voir D15412, n. 2 et D15509).

(27) Citation approximative de l’Épître III de Jean-Baptiste Rousseau « à Clément Marot » : « Puis, je ne sais, tous les vers qu’on admire / Ont un malheur : c’est qu’on ne les peut lire / Et franchement, quoique plus censuré, / J’aime encore mieux être lu qu’admiré » (Œuvres de J.-B. Rousseau, t. 2, p. 45). La Harpe citera plus exactement ces vers dans son Lycée ou cours de littérature (livre I, chap. 8, Dijon, Victor Lagier et Frantin, 1821, 18 vol., t. 14, p. 330).

(28) Voir supra l’introduction de cette lettre.

(29) La Harpe à Suard, 5 juillet [1767], D14257.

(30) Jean Le Rond D’Alembert à Voltaire, 4 août 1767, D14333.

(31) OCV, t. 64, p. 455 et p. 456.

(32) OCV, t. 64, p.469, n. 26.

(33) CL, t. 9, p. 14-17

(34) Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) fut « intendant de Limoges » entre 1761 et 1774, date à laquelle il devint secrétaire d’État à la Marine.

(35) Cet anonymat et le précédent sont-ils l’œuvre d’hommes considérant que l’anonymat est la condition de la gratuité du don ou de personnes qui, liées, au service du roi de France, ne souhaitaient pas affirmer leur admiration de Voltaire ?

(36) Julien-David Le Roy (1724-1803), membre de l’Académie royale d’architecture depuis 1758, et membre associé de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres depuis le 13 février 1770.

(37) Écrivain et correspondant de Voltaire, Antoine Maillet du Clairon (1721-1809) était consul de France à Amsterdam.

(38) Déprimé, D’Alembert s’apprêtait à faire un voyage en Italie avec Condorcet. Sur leur chemin, ils séjournèrent deux semaines à Ferney : voir VST, t. 2, p. 358-359.

(39) Voir Frédéric II de Prusse à D’Alembert, 28 juillet 1770, D16552.

(40) Dans une lettre dithyrambique, Frédéric II annonçait à D’Alembert le 28 juillet 1770 qu’il ferait partie des souscripteurs : « On ne parlera plus français, que Voltaire sera encore traduit dans la langue qui lui aura succédé » (D16552).

(41) Christian VII, roi de Danemark et de Norvège, avait demandé à D’Alembert le 8 septembre 1770 de le compter parmi les souscripteurs (D16638).

(42) Correspondance littéraire, t. 9, p. 165.

(43) Grimm à Tronchin, [fin décembre 1778 ou début janvier 1779], BGE, Archives Tronchin 176, f.24.

(44) Campardon, Les Comédiens du roi de la troupe française, 1879, p. 178-179.

(45) Voir le Calendrier électronique des spectacles sous l’Ancien Régime et sous la Révolution (CESAR) : http://www.cesar.org.uk/.

(46) Œuvres complètes de Marmontel, Paris, Verdière, 1818-1820, t. 10, p. 490-496.

(47) Suzanne Necker à Voltaire, [vers le 15 septembre 1772], D17912 : « Il faut que je trahisse un secret ; M. de Marmontel a fait une ode pour être chantée aux pieds de votre statue ».

(48) Jean-François de La Harpe à Voltaire, [vers le 25 septembre 1772], D17931.

(49) J.-J. Olivier, p. 292.

(50) Nous n’avons pu vérifier si cet autographe fait partie des lettres de Melle Clairon à Larive éditées dans le Coureur des théâtres (ne s’agit-il pas plutôt du Coureur des spectacles ?) par Charles Maurice en juillet-août 1849. Mais comme l’écrit cruellement E. de Goncourt, « il faut dire que publiée dans le Coureur des théâtres, c’est absolument comme si cette correspondance n’était pas publiée » (Mademoiselle Clairon d’après ses correspondances et les rapports de police du temps, Paris. G. Charpentier et Cie, 1890, p. 282, n. 1).

(51) Melle Clairon et Marmontel étaient devenus amants en 1748 : voir E. de Goncourt, Mademoiselle Clairon…, p. 79-88.

(52) Eugénie d’Hannetaire (1746-1816), actrice et danseuse bruxelloise à laquelle le prince de Ligne dédiera ses Lettres à Eugénie sur les spectacles, Paris et Bruxelles, 1774. Elle épousera en 1776 Larive avant de divorcer en 1794. C’était la fille aînée du directeur du théâtre de Bruxelles qui avait recruté Larive.

(53) Lire « d’Orcy »

(54) Aix-les-Bains.

(55) Dans sa maison de la rue du Bac : voir E. de Goncourt, Mademoiselle de Clairon…, p. 312.

(56) Lors de sa visite chez Melle Clairon qui était alors octogénaire, la duchesse d’Abrantès admira un « buste de Voltaire en marbre, et de la plus grande beauté » (Mémoires de madame la duchesse d’Abrantès, 2e éd., Paris, L. Mame, 1835, t. 4, p. 32).

(57) Marie-Madeleine Blouin, dite Dubois, comédienne (1746-16 novembre 1779). Selon Campardon (Les Comédiens du roi de la troupe française, p. 91-92), elle « débuta à la Comédie française, le 30 mai 1759, par le rôle de Didon dans la tragédie de ce nom, de Le Franc de Pompignan, fut reçue en 1760 et se retira en 1773 avec la pension de 1,000 livres. Elle mourut de la petite vérole à Paris, le 16 novembre 1779, en son domicile situé rue Saint-Marc, au coin de la rue Montmartre ».

(58) La célèbre Sophie Arnould, qui avait été l’élève de Clairon.

(59) Voir E. de Goncourt, Mademoiselle de Clairon…, p. 313-314 : « Ce souper donné, disent les Mémoires secrets, pour rappeler sur la comédienne l’attention lassée du public, eut un grand retentissement à Paris, dans les chroniques et les gazettes ».

(60) CL, t. 10, p. 72.

(61) C. Paillard, Voltaire en son château de Ferney, Paris, Éditions du Patrimoine, 2010, p. 19 et p. 43.

(62) Voir VST, t. 2, p. 597-598.

(63) Voir J. Marchand, « Un voltairien passionné : Jacques Joseph Marie Decroix », Revue d’histoire littéraire de la France, 1977, p. 187-205.

(64) C. Paillard, Jean-Louis Wagnière, secrétaire de Voltaire, op. cit., p. 35 et p. 291, n. 754

(65) BV959. Voir Henri Louis Lekain  à Jacques Joseph Marie Decroix, 10 février 1777, D20562.

(66) Voir A. Brown et A. Magnan, « Aux origines de l’édition de Kehl. Le Plan Decroix-Panckoucke de 1777 », Cahiers Voltaire 4, 2005, p. 83-124. Cf. Voltaire à Charles-Joseph Panckoucke, 5 et 6 octobre 1777, D28025 et D28030.

(67) S. Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française, 1736-1798, Paris et Pau, 1977, p. 283-284.

(68) « Shorter verse of 1777-1778 », éd. critique par Simon Davies, OCV, t. 80C, p. 431. Quoique cette édition ne le précise pas, il semble que ces vers datent du 4 ou du 5 octobre 1777. Nous ne connaissons qu’une visite de Decroix à Ferney et l’allusion dans le titre du poème à des « vers présentés » à Voltaire, suppose une présence physique.

(69) Charles Michel, marquis du Plessis-Villette [et Voltaire] à Jacques Joseph Marie Decroix, 23 janvier 1778, D21002. Cf. Voltaire à Charles-Joseph Panckoucke, 5 octobre 1777, D28025.

(70) Cette lettre semble inconnue.

(71) Irène, que Voltaire nommait encore Alexis en octobre 1777 (voir Jean François Dufour, seigneur de Villevielle, au marquis de Condorcet, 24 octobre 1777, D20854, et Voltaire à d’Argental, 25 octobre 1777, D20856). Il adopta le titre d’Irène en novembre 1777 (Voltaire à Henri Lambert d’Herbigny, marquis de Thibouville, D20928, et au comte d’Argental, 16 décembre 1777, D20952). Le 4 janvier [1778], un familier de Ferney évoquait Alexis et Irène (Paul Claude Moultou à Jakob Heinrich Meister, D20972).

(72) D’Argental reprend à son compte le jugement de Voltaire qui lui avait écrit le 25 octobre 1777 : « laissez-là votre Agathocle ; cela n’est bon qu’à être joué aux jeux olympiques, dans quelque école de platoniciens. Je vous envoie quelque chose de plus passionné, de plus théâtral, et de plus intéressant », Alexis (D20856).

(73) Le 3 janvier 1778, Thibouville mandait à Voltaire que la pièce avait été lue la veille (D20978). Le 14 janvier, Voltaire écrivait au comte d’Argental : « M. de La Harpe m’a mandé qu’on avait lu Irène au tripot ».

(74) Lekain était gravement malade. Il mourut le 8 février 1778, peu après l’arrivée de Voltaire à Paris. Aussi Monvel fut-il chargé de lire Irène devant tous les comédies le 2 janvier 1778, cette lecture étant couverte de succès : VST, t. 2, p. 563.

(75) Voir Henri Lambert d’Herbigny, marquis de Thibouville, à Voltaire, 2 janvier 1778, D2078 : « M. de Duras avait dit avec raison qu’une pièce de vous n’était assujettie ni à lecture ni à rien ». Pour ménager la susceptibilité des comédiens, on la leur donna cependant à lire.

(76) La pièce fut approuvée par Suard, censeur royal, le 6 janvier 1778.

(77) Jugeant Irène inachevée, Voltaire voulut la retirer du « tripot » le temps d’y retravailler (voir Voltaire au comte d’Argental, 20 et 30 janvier [1778], D20998 et D21018).

(78) Le Prix de la justice et de l’humanité était sorti à la fin de septembre ou au début d’octobre 1777 sur les presses de Gabriel Grasset à Genève (voir l’édition critique par R. Granderoute, OCV, t.80B, p. 12-13). Le conseil de Decroix était avisé : il savait que Voltaire en avait offert un exemplaire à Panckoucke peu après sa visite à Genève (Voltaire à Charles Joseph Panckoucke, 6 octobre [1777], D20825).

(79) La présente lettre nous fait comprendre que Voltaire n’avait pas adressé Le Prix de la justice et de l’humanité à d’Argental et que l’ouvrage était difficile à trouver sur la place parisienne.

(80) Voir C. Paillard, Jean-Louis Wagnière, secrétaire de Voltaire, p. 350, n. 47.

(81) Archives littéraires du nord de la France et du midi de la Belgique, 3e série, t. 3, Valenciennes, 1852, p. 312.

(82) C. Todd, « La Harpe quarrels with the actors : unpublished correspondence », SVEC 53, 1967, p. 223-337

(83) C. Todd, « La Harpe quarrels with the actors : unpublished correspondence », p. 250 : « in June 1782 La Harpe wrote that there was a chance of a fresh run then ».

(84) C. Todd, « La Harpe quarrels with the actors : unpublished correspondence », p. 249-250.

(85) Voltaire, Discours en vers sur l’homme, III. Voir C. Paillard, « Que signifie être voltairien au XIXe siècle ? Beuchot et Cayrol, éditeurs de Voltaire », Revue Voltaire, 2010, 10, p.  121-142 (ici, p. 122).

(86) Lettres inédites de Voltaire, éd. J. de Cayrol et A. François, seconde éd., Paris, 1857, 2 vol., t. 2, p. 542, n. 2 et M. Cointat, Florian 1755-1794. Aspects méconnus de l’auteur de Plaisir d’amour, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 105

(87) Pierre Riberette, « Florian comédien de salon d’après une correspondance inédite », Cahiers Roucher-André Chénier, n°8, 1988, p. 17-36 (ici, p. 18)

(88) Voltaire à Charles Augustin Ferriol, comte d’Argental, 20 septembre 1777, D20802.

(89) Florian, Mémoires et correspondance, éd. Jean-Luc Gourdin, JBM21-Sceaux, 2005, p. 208, n. 1.

(90) Jean-Pierre Claris de Florian à Philippe-Antoine, marquis de Florian, 20 juin 1789, dans Florian, Mémoires et correspondance, p. 422.

(91) Lire : « Gillet Veuve Vimeux ».

(92) Voir VST, t. 1, p. 567.

(93) Mémoires de Bachaumont, 12 février 1778, cité par Wagnière dans S. Longchamp et J.-L. Wagnière, Mémoires sur Voltaire, [éd. Beuchot et Decroix], Paris, 1826, 2 vol., t. 1, p. 426. Wagnière nie la réalité de l’injure du « chie-en-lit » et de la « perruque de laine » (ibid, p. 427), qui est d’autant plus amusante qu’elle rappelle une anecdote rapportée à d’Argental par Voltaire le 23 septembre [1750] au sujet d’un certain « Chiampot la perruque » poursuivi de ses sarcasmes par les enfants de Paris (D4223).

(94) C’est la même main que celle qui a copié la « Note pour Clogenson » supra.

(95) Abréviation de « Marie Sophie Gillet, veuve ».

(96) Il s’agit de la célèbre épistolière, Charlotte Élisabeth Aïssé, esclave ottomane libérée par le père de d’Argental. Dans un autre document, Clogenson renvoie à une note de ses Lettres inédites de Voltaire (Paris, 1857, 2 vol., 1ère édition), t. 1, p. 438 (lettre de Voltaire à l’intéressée, Marie Angélique de Tercin, comtesse d’Argental, du 6 mai 1723, D292) : « Mademoiselle Aïssé, que M. de Ferriol avait achetée encore enfant à Constantinople ». Voltaire la surnommait la « nymphe circassienne ».

(97) En fait le 13 août 1770 : Voltaire à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d’Hornoy, D16580.

(98) Référence à la lettre de Voltaire au marquis de Florian du 3 août 1770 (D16561) dans l’édition Beuchot des Œuvres de Voltaire (1833 pour ce volume) : « Puisque Pigalle m’a sculpté, il faut bien que je souffre qu’on me peigne ; j’ai toute honte bue ».

(99) À l’exception de Beuchot peut-être : ayant vénéré Voltaire sous la Restauration, il se détacha après la monarchie de Juillet de l’auteur qu’il avait si magnifiquement édité.


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© IMV Genève | 19.07.2010