par Flávio Borda d’Água

Au-delà de la conservation et de la mise à disposition du public des collections voltairiennes et dix-huitiémistes, l’Institut et Musée Voltaire a aussi vocation à accroître ses collections. C’est principalement par une politique d’acquisitions consciencieuse qu’il répond à cette attente, en particulier en participant aux enchères dans les différentes salles des ventes.

Malgré la crise économique et la montée en puissance de fonds d’investissements liés aux biens culturels – nous vous renvoyons à la rubrique « Voltaire nous écrit » de cette Gazette – lesquels achètent tous objets à des prix inaccessibles à toute institution publique, la Bibliothèque de Genève et l’Institut et Musée Voltaire essaient autant que faire se peut d’emporter parfois la mise.

L’année 2012 nous a ainsi permis d’accroître nos collections de manuscrits et d’imprimés. Pas moins d’une vingtaine de ventes ont eu lieu dans les salles spécialisées de Genève, Paris et Berlin. Les ventes Lucien Choudin, Emilie du Châtelet et la succession Lally-Tolendal restent cependant les plus importantes de l’année et celles où notre énergie a été la plus engagée.

L’abbé Morellet fut notre « première victime ». Il y avait en effet cinq lettres en vente au mois de juin 2012. L’Institut et Musée Voltaire a pu en acquérir trois. La première lettre – d’André Morellet à Jacques Turgot sur la défense de sa traduction Des Délits et des Peines de Cesare Beccaria – est partie à un enchérisseur au téléphone et la cinquième, où nous fûmes pourtant les meilleurs enchérisseurs, a subi la cruelle pratique du droit de préemption qui est, rappelons-le, un droit légal ou contractuel accordé principalement à des entités publiques (collectivités territoriales, institutions culturelles…) afin d’acquérir un bien en priorité. Cette très longue lettre sur Lyon, les travaux de Perrache, et la situation personnelle de Morellet est aujourd’hui consultable à la Bibliothèque municipale de Lyon.

Restent nos trois lettres. Tout d’abord, une très longue et belle lettre d’admiration à Voltaire, parlant de la récente querelle entre Rousseau et Hume, de la Justification de Rousseau et de la Lettre de Voltaire à Hume. On y apprend, entre autres, que l’abbé Morellet a reçu, et lu attentivement, le Commentaire sur le livre Des Délits et des peines de Beccaria. La particularité de cette lettre est que son en-tête comprend une annotation manuscrite du résidant des Délices : « répondu ».

Les deux autres lettres ont comme destinataire Jacques Turgot : l’une d’elles fait mention de la « bassesse » de Voltaire et l’autre concerne un voyage de Morellet en Alsace. Ce lot s’est vu adjoindre une magnifique copie manuscrite ancienne, annotée, d’une lettre de Benjamin Franklin, écrite à Morellet depuis Philadelphie et datée d’avril 1787.

De quoi égayer notre été, en attendant la rentrée. La rentrée des ventes aux enchères est toujours très prometteuse et celle de 2012 n’a pas fait exception à la règle. Deux ventes exceptionnelles ont eu lieu à une vingtaine de jours d’écart. La première fut celle de la « Bibliothèque du docteur Lucien Choudin ». Lucien Choudin, bien connu de tous nos lecteurs, s’est trouvé lié de nombreuses années à la vie intellectuelle et culturelle de Ferney-Voltaire et du Pays de Gex. Très engagé dans les milieux associatifs voltairiens de Ferney, il a également rédigé une thèse sur les dents de Voltaire. C’est également à Lucien Choudin que l’on doit d’avoir appelé l’attention des pouvoirs publics sur la restauration, devenue nécessaire, de la chapelle du Château de Voltaire.

La vente de sa bibliothèque a valu à l’Institut et Musée Voltaire d’acquérir 16 lots d’imprimés et un manuscrit sur une totalité de 158 lots. La dispersion est en soi un élément regrettable : mais quelle institution publique pourrait encore négocier un tel objet dans son intégralité, alors que toutes les institutions vivent une forte réduction de leurs possibilités financières ? Nous avons néanmoins pu acquérir une grande série de pièces de théâtre de Voltaire, certaines éditions rarissimes, comme Octave et le jeune Pompée ou Triumvirat avec des remarques sur les proscriptions publiée à Amsterdam en 1766. Figurent également dans nos lots le Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines par un avocat de province ([Genève], 1767) et aussi  le Discours prononcez dans l’Académie Françoise le lundi 9 mai 1746 à la réception de Voltaire.

Vingt-quatre jours plus tard se déroulait à l’avenue Matignon une des plus grandes ventes de l’année. La maison Christie’s présentait en effet 58 documents regroupés sous le titre Émilie du Châtelet : Ses travaux scientifiques & le château de Cirey. La Ville de Genève, par l’intermédiaire de la Bibliothèque de Genève et de l’Institut et Musée Voltaire, fut la seule institution publique à emporter quelques lots à l’occasion de cette vente. Signalons tout d’abord une réunion de pièces de théâtre manuscrites dont Lord Murrai, Zaïre et Doralice ; puis l’Histoire de Belize et de Cleante (copie corrigée) de Ferrand ; ensuite Les Examens de la Bible par Madame du Châtelet ; mais encore un inventaire après décès d’Émilie de Breteuil. Ajoutons à cela l’acquisition de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en 39 volumes in-4° publiée à Genève en 1779 et des Elemens de la philosophie de Newton (1738) de Voltaire.

Nous reviendrons dans un prochain numéro de la Gazette sur la vente Lally-Tollendal.

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