La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par François Jacob

    
       

 

     
 

 




A Saint-Pétersbourg

Mon cher Nikolai,

Vous nous quittez si vite que nous en restons, nous, vos amis, tout « ébaubis » -une expression que vous aimiez tout particulièrement, et que je vous avais servie, souvenez-vous, en août 2012, alors que nous dégustions un thé glacé devant certain jet d'eau, en quête de fraîcheur. Il en est de votre départ comme de ces soirées d'été où l'un des invités, sans qu'on s'explique pourquoi, éprouve soudain le besoin de s'éclipser, de disparaître pour un temps, puis se fait attendre (« Mais où peut-il bien être ? Il est parti depuis dix minutes déjà. Il n'aurait pas eu un malaise, au moins ? ») et attendre encore, jusqu'à ce qu'on se demande, de guerre lasse, s'il était bien là, s'il avait même commencé la soirée, s'il était bien invité, lui aussi, avec ses airs vaporeux, ses absences répétées, jusqu'à celle-ci, la dernière, la plus insupportable de toutes, celle qui, d'un trait de lumière, nous appelle, à notre tour, à la nuit.



Genève, juin 2012

Du moins m'aviez-vous promis, puisque nous devions nous voir à Saint-Pétersbourg, en octobre prochain, de paraître dans cette rubrique "Grand Salon" de la Gazette d'hiver, la quarantième de la série, si je compte bien. Vous avez, en quelque sorte, devancé l'appel, échappant aux questions pointues que je comptais vous poser, sur vous, votre activité, votre vision du siècle où vous êtes retourné, sans crier gare, nous laissant à notre désarroi -ce siècle, c'est bien entendu le dix-huitième, celui de la grande Catherine et du tsar Paul Ier, celui de Potemkine et de la princesse Daschkova, celui de Diderot aussi, que vous aimiez tout particulièrement, bien qu'il vous parût quelque peu nuageux, trop éloigné, peut-être, d'un esprit voltairien que vous aviez fait vôtre.



Visite de la Bibliothèque de Voltaire

Je ne rappellerai pas ce que vous doivent la Bibliothèque de Voltaire et, plus généralement, la Bibliothèque Nationale de Russie : d'autres, plus proches de vous, le feront mille fois mieux que moi. Permettez-moi seulement d'évoquer deux souvenirs liés à ce troisième larron dont, par force, il a tant été question l'an dernier. Après vous être tant occupé de Voltaire et vous être si longtemps intéressé, avec vos collègues, à la bibliothèque de Diderot, comment éviter de parler de Rousseau ? Vous l'avez fait, en 2012, à deux reprises et même, chose extraordinaire, à deux mois de distance.

La première fois, ce fut au colloque « Amis et ennemis de Jean-Jacques Rousseau » organisé par la Société du même nom, du 13 au 16 juin, au Palais de l'Athénée. Le titre de votre intervention, « Rousseau et Marc-Michel Rey : reflets pétersbourgeois » disait, à lui seul, la préoccupation qui, finalement, fut toujours la vôtre : celle d'une circulation des savoirs à l'échelle européenne, ce dernier terme devant être pris au sens large (de Brest à Brest-Litovsk, et même à Moscou, plus loin encore, peut-être) et non au sens étriqué que bon nombre d'hommes d'affaires, intéressés par leur seul profit, tentent de nous imposer aujourd'hui : l'Europe peut-elle d'ailleurs se concevoir sans la Russie ?



L'équipe russe de la régate Rousseau

La seconde, ce fut le 4 août, sur la rade. Je n'avais pas été très convaincu, je vous l'avoue, de votre désir de voir naître, à l'occasion du tricentenaire de la naissance du philosophe, une « régate Rousseau ». Certes, vous fûtes jadis champion d'aviron, et vous me répétiez sans cesse que Rousseau avait été le premier, dans Émile, à parler de ce sport. D'ailleurs, le département de la culture de la Ville de Genève n'était-il pas récemment devenu département de la culture et du sport ? Votre énergie -j'aurais écrit, à l'époque : votre entêtement- est venue à bout de toutes les difficultés. Non seulement cette régate a bien eu lieu, mais elle a eu lieu deux fois, la première en juin à Saint-Pétersbourg, la seconde en août à Genève, il y a tout juste un an. L'engouement des partenaires concernés a été tel qu'il est aujourd'hui question de pérenniser cette rencontre franco-russe. Vous devez bien rire, du haut de votre empyrée.

Je vous laisse, cher Nicolas -ou plutôt, c'est vous qui nous laissez. Sans doute avez-vous retrouvé celles et ceux qui, dans la garde de la bibliothèque de Voltaire, vous ont précédé, des siècles durant, Vladimir Ljublinski, Larissa Albina, tant d'autres encore... Il nous faudra désormais, et ce sera bien dur, bien dur vraiment, régater sans vous.

 

 



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Editorial
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- Lettre ouverte à Nikolai Kopanev,
conservateur de la Bibliothèque Voltaire de Saint-Pétersbourg

Voltaire nous écrit
- Dialogue entre Périclès, un Grec moderne et un Russe

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- Le Palais Rohan : un joyau princier au cœur de Strasbourg

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Le Parc Voltaire, lieu de vie

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© IMV Genève | 21.08.2013