La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par Flávio Borda d’Água

 

    
       

 

     
 

 



Figure 1: Vue aérienne du Palais Rohan

Tout visiteur qui se rend à Strasbourg passe inévitablement par la rue Mercière pour se retrouver face à l’imposante et majestueuse Cathédrale de Strasbourg. Ce bâtiment construit pendant plus de trois siècles a été entre 1647 et 1874 le plus haut bâtiment du monde. Il culmine en effet à 142,11 mètres 1.



Figure 2: Vue de la Cathédrale de Strasbourg

Les environs de la cathédrale sont bien pittoresques et invitent le visiteur à faire un voyage dans le temps et à retrouver une ambiance de fin de Moyen Âge, de la Renaissance et du début de l’époque moderne. Les maisons à colombages, les stubs – d’abord la seule pièce de la maison alsacienne qui est chauffée en hiver, elle est devenue entre-temps un lieu de restauration traditionnelle – mais aussi les vieux libraires, le fameux Lycée Fustel de Coulanges bordent la place de la Cathédrale et celle du Château. Un autre bâtiment se trouve légèrement en retrait et permet un saut du Strasbourg médiéval au Strasbourg dix-huitiémiste : il s’agit du Palais Rohan.

Figure 3 : Vue de la place du Château et du Palais Rohan depuis la cathédrale de Strasbourg

La vue offerte depuis la place du Château ne rend pas vraiment justice à la beauté et à l’importance de la bâtisse. A priori, le passant pourrait le confondre avec un simple hôtel particulier qui a traversé les siècles, malgré un imposant portail. Serait-ce là une résidence particulière ? Ou le siège d’une institution de la collectivité locale ? Or si nous le contournons et l’observons depuis le quai qui borde l’Ill, nous nous apercevons rapidement de l’importance de ce palais. Lieu de résidence des quatre cardinaux de Rohan, hôtel-de-ville de Strasbourg, puis palais impérial et royal, le palais Rohan est un remarquable témoignage de l'art de vivre princier au XVIIIe siècle dans la région-carrefour qu’est l’Alsace, et, en particulier, la ville de Strasbourg.

Un palais, une famille, un roi

L’histoire du palais Rohan se juxtapose à celle de Strasbourg et de l’intégration de l’Alsace à la France à la fin du XVIIe siècle. Strasbourg est en effet une des premières villes libres impériales rhénanes. Cependant, elle se voit entraînée dans la guerre de Trente Ans (1618-1648) dont elle devient alors un des champs de bataille. À la fin de la guerre et avec la signature du traité de Westphalie, la France obtient la Haute Alsace. Quelques années plus tard, en 1680, c’est la Basse Alsace qui intègre le royaume de Louis XIV. Mais reste une question en suspens, celle de la petite république de Strasbourg. Que va-t-elle devenir ? Restera-t-elle une ville libre ou choisira-t-elle le camp impérial ou le camp royal ? Les négociations entreprises par l’administration royale du roi Soleil font en sorte qu’elle devienne française. Un des arguments est de montrer que cette intégration à la France permettrait à l’Alsace (Haute, Basse et la ville de Strasbourg) d’être unifiée. Avec l’entrée de Louis Dieudonné dans la ville de Strasbourg le 23 octobre 1681, cette dernière n’est plus une ville libre du Saint-Empire mais une ville libre royale 2.

Cette intégration au royaume du roi Soleil demande quelques changements administratifs au sein de la ville. La question religieuse est une des plus importantes dans la région. Louis XIV obtient certes une nouvelle ville mais qui porte une attention plus particulière à la religion réformée. L’évêque en place, François Egon de Frustenberg, décède quelques mois après l’unification. Il est nécessaire de nommer un nouvel évêque et le roi de France semble vouloir avoir, mais de loin, son mot à dire sur la prochaine nomination. Cette pratique n’est cependant pas vue d’un très bon œil ni par le chapitre, ni par Rome. Il s’est « abstenu d’apporter toute modification à l’organisation de l’un des plus illustres chapitres d’Allemagne. Il convenait en effet de se ménager les bonnes grâces de ses membres, tous princes ou comtes allemands, susceptibles de favoriser la politique royale de l’Empire 3. »

Le choix se porte sur le frère du regretté évêque. Guillaume Egon de Furstenberg prend alors la tête de l’évêché de Strasbourg. Au tournant du siècle, la question de la succession de Guillaume soulève quelques craintes. Louis XIV craint en effet de voir arriver un autre évêque allemand. Son désir serait de pouvoir avoir un évêque français, mais comment le faire élire alors que les représentants, et partisans, français sont minoritaires au chapitre ? De longues tractations débutent alors entre Paris et Rome. L’idée qui en ressort est donner à Egon de Furstenberg un évêque coadjuteur avec droit de succession. Cette pratique permettrait à Louis XIV de pouvoir faire monter sur le siège épiscopal de Strasbourg son candidat : Armand Gaston de Rohan sans une nouvelle convocation de chapitre, ni même une nouvelle élection. C’est d’autant plus facile qu'en cas d’acceptation pontificale il ne suffirait que d’un bref d’éligibilité pour qu’Armand puisse obtenir la charge d’évêque. Le 10 juin 1704 meurt Guillaume Egon de Furstenberg et accède aussitôt au costume violet Armand Gaston de Rohan, cinquième fils du lieutenant général des armées de Louis XIV.

Figure 4: Blason ornant les portails de la terrasse du Palais Rohan

Faisant partie d’une famille noble et influente auprès du roi, il reçoit rapidement la mission de bâtir un nouveau palais épiscopal. Toutes ces faveurs royales ne passent pas inaperçues aux yeux des autres membres de la cour et la rumeur court rapidement que la princesse de Soubisse, mère d’Armand, aurait une aventure avec Louis XIV.

Le choix de l’architecte repose quant à lui sur Robert de Cotte, premier architecte du roi, et connu pour les importants travaux d'embellissement au château de Saverne. Mais c’est toutefois la réalisation du palais strasbourgeois qui va faire sa renommée. Sa mission est complexe, « dans la mesure où il fallait traduire dans la pierre la vocation à la fois ecclésiastique et politique de la fonction du prince-évêque. De par sa situation dans une province française de date somme toute assez récente et sa position aux marches du royaume, le palais Rohan se devait de signifier la puissance et le rayonnement artistique français, par-delà le goût très sûr du brillant prélat et homme de cour qu'était le grand cardinal. Il fallait par ailleurs marquer avec éclat le retour du culte catholique dans une ville où il avait été réduit à la clandestinité depuis plus d'un siècle 4. » La construction dure dix ans (1732-1742) et les divers corps de bâtiments sont disposés autour d’une vaste cour d’honneur.

Figure 5: Décorations extérieures du Palais Rohan

Louis XIV veut faire de cette résidence bien plus que celle du premier prince-évêque français de Strasbourg. C’est également un élément de sa politique étrangère. Construire un tel palais à la frontière de l’Empire est une manière de montrer que l’on occupe le terrain. L’orientation même du palais en dit beaucoup. La partie la plus majestueuse est tournée vers l’Empire, histoire de montrer le faste et la puissance de la couronne française. La disposition des pièces et des divers appartements a également été réfléchie. Voulant asseoir le retour du catholicisme à Strasbourg, les appartements du prince-évêque sont orientés vers le nord, soit en direction de la cathédrale. On y trouve notamment l’antichambre du prince-évêque et sa chambre – qui devient celle de Napoléon Ier pendant l’Empire. Ce sont les petits appartements.

Les grands appartements sont pour le coup tournés vers l’Ill et lorgnent l’Empire. Ils sont réservés au roi ou aux hôtes de l’évêque. Ils sont notamment composés de la salle du Synode, du salon des évêques, de la chambre du roi, du salon de l’assemblée, de la bibliothèque et de la chapelle. Ces appartements accueillent notamment Marie-Antoinette lors de son arrivée en France. Rappelons que le cardinal de Rohan (Louis René Édouard de Rohan) aura toujours une relation privilégiée avec la Reine. Il sera par ailleurs accusé de complicité lors de la célèbre affaire du collier de la reine en 1785.

Figure 6: Le Palais Rohan vu depuis le Pont de Madeleine jonchant l'Ill

Avec la Révolution française le sort du bâtiment est tout autre. Il devient en effet un lieu de détention, puis en 1794, l’École impériale du service de la Santé militaire de Strasbourg, où l’on forme notamment les officiers de Santé. Changeant d’affectation à plusieurs reprises, le palais Rohan est inscrit dans la liste des monuments historiques en 1920. Aujourd’hui, il accueille trois des plus beaux musées de Strasbourg : le musée des arts décoratifs, le musée des beaux-arts et le musée archéologique. C’est notamment au musée des beaux-arts qu’est présentée une très belle collection de peinture européenne de ses débuts aux années 1870. Comptent parmi les chefs-d’œuvres : des primitifs italiens et flamands (Giotto, Memling), des tableaux de la Renaissance et du Maniérisme (Botticelli, Raphaël, Le Greco), des pièces baroques, naturalistes et classiques comme des Rubens, des Canaletto et la Belle Strasbourgeoise par Nicolas de Largillière, sans oublier des œuvres de Delacroix et de Courbet.

Figure 7: Nicolas de Largillière, La belle Strasbourgeoise, détail

Déjà lieu incontournable au dix-huitième siècle, aujourd’hui, il l’est tout autant puisqu’il est le véritable témoin de l’histoire du siècle des Lumières à Strasbourg et en Alsace.

Pour aller plus loin dans la visite, nous vous conseillons les ouvrages suivants :

Jean-Claude Fauveau, Le Prince Louis cardinal de Rohan-Géméné ou les diamants du roi, Paris, L’Harmattan, 2007.

Jean-Daniel Ludmann, Le Palais Rohan de Strasbourg, Strasbourg, Éditions des Dernières Nouvelles d’Alsace, 2 tomes, 1979-1980.

Étienne Martin, Le Palais Rohan. Musée des Arts décoratifs, Strasbourg, Éditions Musées de Strasbourg, 1998.

Étienne Martin, Le Palais Rohan, photographies de Marc Walter, Strasbourg, Éditions des Musées de la Ville de Strasbourg, 2012.

 

Crédits photographiques
Images 1 à 6 : Flávio Borda d’Água
Image 7 : commons.wikimedia.org


1 La cathédrale de Strasbourg perd sa place de plus haut bâtiment du monde en 1876 avec la construction de la cathédrale de Rouen qui atteint la hauteur de 151 mètres.

2 Étienne Martin, Le Palais Rohan, Éditions Musées de la ville de Strasbourg, Strasbourg, 2012, p. 28.

3 Ibid.



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