La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par François Jacob

    
       

 

     
 

 


Gazette des Délices
Nous sommes d'autant plus heureux que vous ayez répondu à notre invitation que votre parcours de chercheur a, sauf erreur de notre part, commencé dans cette maison...

Jean-Daniel Candaux
C'est entrer dans le vif du sujet ! Comme vous le savez, j'ai d'abord suivi une voie très classique : collège Calvin, Académie de Genève, Faculté des Lettres, avec une prédilection pour l'épigraphie latine. J'ai même tâté de l'archéologie, ayant suivi Paul Collard dans les fouilles qu'il entreprenait à Palmyre, dans le désert de Syrie, à la recherche du temple du dieu Baal Chamine, puis au Liban, en Jordanie, et dans ce qui était encore, à cette époque, la partie anglaise de la Palestine.
C'est Alain Dufour qui, à mon retour, m'informe que Theodore Besterman cherche un assistant : me voici engagé aux Délices, chargé de relire et de corriger les premiers éléments de la future édition de la correspondance de Voltaire en 107 volumes. J'étais plus particulièrement chargé de la période « genevoise » de Voltaire. Je suis resté aux Délices pendant sept ans et y ai relu plus de soixante volumes : vingt avaient été publiés avant mon arrivée, et vingt-deux le seront après, grâce aux soins d'Andrew Brown. C'est auprès de Theodore Besterman que j'ai appris à dresser une bibliographie, à transcrire un texte, bref à construire une véritable édition scientifique.
J'ai néanmoins quitté les Délices à la suite d'un appel du Journal de Genève, et me suis engagé en même temps dans le combat mené pour la sauvegarde de la rade. Vous vous souvenez peut-être qu'en ce temps-là, les chambres fédérales étaient appelées à ratifier le projet d'autoroute Lausanne-Perly, laquelle devait passer par l'actuel Quai des Bergues ! Nous étions à l'aube du développement autoroutier, et la sauvegarde du patrimoine n'était pas une priorité. J'ai écrit contre ce projet qui, grâce à l'habileté de M. Choisy, conseiller aux États, a finalement été « détourné » vers Cointrin et Vernier : le bon sens a heureusement prévalu.
Les nombreux articles que j'avais écrits à ce sujet ayant attiré sur moi l'attention bienveillante d'Olivier Reverdin et René Payot, je suis entré comme rédacteur au Journal de Genève et y suis resté cinq ans : j'ai notamment rendu compte de nombreuses séances du Grand Conseil et du Conseil municipal, ce qui ne manque pas d'un certain sel, quand on sait que mes opinions politiques ne correspondaient pas vraiment à la tendance du journal. Ce qui a toutefois gâté les choses, c'est l'affaire du « banquier sans visage ».

Gazette des Délices
L'expression est surprenante...

Jean-Daniel Candaux
L'affaire l'est bien davantage. Il s'agit du titre d'une pièce de Walter Weideli créée en 1964. J'avais pris la défense du dramaturge, certains banquiers de la place n'ayant pas supporté de voir représenté, en des termes qui pouvaient s'apparenter à une critique, le personnage de Necker... Adieu donc Journal de Genève ! Libéré de mes occupations de journaliste, j'ai pu répondre à l'appel d'Édouard Pictet et de son neveu Michel qui, sept ans durant, m'ont permis de travailler à la réalisation de deux très beaux volumes consacrés à l'histoire de leur famille et tirés, en 1974, à 80 exemplaires chacun -deux volumes nés sur les presses de maître Étienne Braillard, imprimeur, et évidemment interdits de commerce. Le soin apporté à ce magnifique ouvrage et l'argent qu'ont accepté d'y consacrer Édouard et Michel Pictet disent assez qu'on était à l'âge d'or de la banque genevoise, avant les crises successives qu'elle a dû essuyer depuis, crises importées pour l'essentiel des États-Unis.

Gazette des Délices
Votre recherche s'est alors plus particulièrement concentrée sur l'histoire de Genève...

Jean-Daniel Candaux
Je n'en suis pas moins resté un amoureux du XVIIIe siècle. C'est d'ailleurs dans le cours des années septante que j'ai commencé à participer à deux entreprises en partie financées par le Fonds National de la Recherche Scientifique.
La première est l'édition des Œuvres complètes de Belle de Zuylen, plus connue sous le nom d'Isabelle de Charrière, qui est sans conteste la plus belle plume de Suisse romande, après Jean-Jacques Rousseau. Van Oorschot, l'éditeur néerlandais, voulait couronner sa carrière par cette très belle publication : il a fait appel pour cela à une équipe où l'on trouvait, entre autres, Jeroom Vercruysse. J'ai pour ma part concentré mon activité sur l'édition des tomes 2 à 6 d'un projet qui comprenait dix volumes de 1000 à 1200 pages chacun sur papier bible, dont six de correspondance. Le premier volume présentait les lettres de jeunesse et le deuxième la période « suisse » de Mme de Charrière. Toutes ces lettres sont naturellement écrites en français, à l'exception d'une seule, écrite en néerlandais, et adressée à un notaire d'Utrecht !
La seconde est le Dictionnaire des journaux et des journalistes de Jean Sgard, professeur à l'Université de Grenoble, entreprise qui avait pour ambition de remplacer les ouvrages déjà anciens de Barbier et de Hatin. Nous avons, pour cette édition, travaillé directement sur les sources. Les quatre volumes ont été publiés par le Centre International d'Études du XVIIIe siècle d'Andrew Brown.
Ces projets, aussi intéressants fussent-ils, ne faisaient toutefois pas une carrière. Or nous étions au temps où Theodore Besterman quittait la Suisse, à la suite d'une affaire dont les journaux ont assez rendu compte. Pouvais-je lui succéder ? Apparemment pas, selon Mme Girardin, alors conseillère administrative de la Ville de Genève, qui m'a accueilli chez elle pour me dire ses regrets : je connaissais trop bien les Délices, et il fallait quelqu'un de plus « vierge » que moi... J'ai alors été nommé chargé de recherches à la Bibliothèque de Genève, à l'époque « Bibliothèque Publique et Universitaire ».

Gazette des Délices
Nous sommes donc en 1974...

Jean-Daniel Candaux
Oui. Adjoint aux manuscrits, je n'ai jamais vraiment eu d'instructions précises sur les tâches à accomplir. Outre quelques travaux d'inventaire sur des fonds dix-huitiémistes (Cramer, Tronchin) j'ai pris quelques initiatives, notamment celle d’organiser en 1986 (pour le 450e anniversaire de la Réformation) une exposition sur le Psautier de Genève avec un catalogue qui donna naissance à la vaste entreprise de la « Bibliographie des Psaumes imprimés en vers français » ; j’ai par ailleurs poursuivi mes recherches et retrouvé une période que j'aimais particulièrement. Irène Passeron avait en effet lancé le projet d'une édition de la correspondance de d'Alembert : dix à douze volumes prévus, 2500 lettres à éditer, et une dizaine d'années (1741-1753) passionnantes à tous égards. J'ai également participé aux travaux de l'équipe Condorcet menée par Nicolas Rieucau, dont je pourrais être le grand-père, et où l'on trouve des gens de très grande valeur, à commencer par Claire Bustarret.

Gazette des Délices
Laquelle s'est récemment signalée par des articles importants de critique génétique...

Jean-Daniel Candaux
Oui, son travail est tout à fait remarquable.

Gazette des Délices
Est-ce à cette période que se sont développés votre goût du livre ancien, et votre passion de collectionneur ?

Jean-Daniel Candaux
Non, c'était déjà du temps de Besterman. C'est de lui que j'ai hérité l'amour des livres anciens, que je ne connaissais pas. Encore ne suis-je pas véritablement bibliophile : je me qualifierais plus volontiers de bibliomane. J'ai d'ailleurs chez moi plusieurs bibliothèques appelées à se côtoyer : on y trouve Mme de Staël, des psautiers en vers français ; on y trouvait une très belle collection d'ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, que j'ai récemment offerte à la Bibliothèque de Genève ; on y trouve encore plus d'un millier d'éditions rares de Voltaire qui, je peux le dire ici, aboutiront dans la bibliothèque de l'Institut Voltaire et composeront, avec ceux que vous avez déjà, l'ensemble voltairien le plus riche au monde. Vous le voyez, mon dix-huitième siècle s'étend de 1685 à 1814 : il s'agit véritablement d'un « large dix-huitième siècle ». J'ai également quelques Huguenotiana, que je destine au Musée d'Histoire de la Réformation.

Gazette des Délices
Votre passion des autographes et manuscrits date-t-elle également de la période Besterman ?

Jean-Daniel Candaux
Oui, tout à fait. Encore les livres anciens et les autographes ne sont-ils pas traités de la même manière. Tandis que je n'ai jamais revendu de livre acheté (sauf, bien entendu, si j'en trouve un meilleur exemplaire), j'ai cherché à resserrer une collection d'autographes qui avait un côté par trop disparate : le XVIIIe siècle s'est ainsi trouvé enrichi au détriment de pièces des XVIIe et XIXe siècles.

Gazette des Délices
On note également, dans votre parcours, un engagement constant au sein des sociétés savantes spécialisées dans l'étude du dix-huitième siècle.

Jean-Daniel Candaux
Oui, je suis même vice-président de la SAPRAC (Société des Amis des Poètes Roucher et André Chénier) : je suis reconnaissant à Jean-Noël Pascal, son président, de m'avoir permis d'approfondir ma connaissance de ce creux de la vague de la poésie française. Je remarque toutefois que le phénomène des sociétés savantes, s'il a marqué la recherche dix-huitiémiste, ne semble concerner que de loin le seizième siècle. Je ne sache pas qu'il existe une société Théodore de Bèze ou Ignace de Loyola. Le dix-huitième siècle en revanche regorge de sociétés savantes, et des plus sérieuses, qui ont contribué à la connaissance de l'auteur et de la période dont elles s'occupent.

Gazette des Délices
Matthieu de la Corbière, ancien président de la SHAG (Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève) a précisément répondu, dans un long article, à certaines critiques émises, dans le monde universitaire, sur les sociétés savantes : on y pratiquerait une érudition surannée, incapable d'intégrer des problématiques plus générales.

Jean-Daniel Candaux
Certains chercheurs peuvent dépasser la limite du raisonnable et coupent, de manière exagérée, les cheveux en quatre. Je dois dire que certaines communications m'ont parfois laissé pantois par l'inanité du sujet traité. L'érudition a ses limites, qu'il faut savoir reconnaître.

Gazette des Délices
Mais elle est parfois nécessaire, comme dans le cas du voyage de Rousseau à Besançon, en 1732.

Jean-Daniel Candaux
Le cas de Rousseau est différent. Les Confessions sont une œuvre majeure. Tous les détails en sont intéressants et méritent un commentaire. Sur le voyage à Besançon, Ralph Leigh lui-même s'était trompé, prétendant, à tort, qu'il y avait eu deux voyages. Et la rencontre du jeune Rousseau avec l'abbé et maître de chapelle Blanchard n'est pas sans intérêt.

Gazette des Délices
Sur ce même voyage, la lecture minutieuse faite par Jacques Berchtold du cinquième livre des Confessions a été corroborée par des documents d'archives, retrouvés depuis.

Jean-Daniel Candaux
L'hypothèse est un préalable nécessaire au travail de l'historien : il faut savoir la travailler tout en la maîtrisant. J'observe d'ailleurs de profonds changements dans la méthodologie de la recherche. Prenez par exemple le rapport aux documents anciens : il fallait jadis les recopier à la main, avant l'invention des photocopies (dont on a fait un usage excessif et sans doute préjudiciable à la conservation des archives) et l'apparition de la numérisation, laquelle nécessite un tout autre apprentissage. L'ordinateur a pour moi simplifié une organisation du travail que je n'aurais jamais imaginée auparavant.

Gazette des Délices
Mais la numérisation ne peut-elle conduire à une forme d'illusion ? On croit tout maîtriser, parce que l'on possède, sur sa clé usb, les images des documents qu'on oublie d'assimiler...

Jean-Daniel Candaux
Je dois reconnaître, bien que n'étant plus très jeune, avoir moi-même succombé à cette tentation.

Gazette des Délices
L'esprit du collectionneur, peut-être ?

Jean-Daniel Candaux
Il a certainement déteint sur moi, même pour de simples reproductions.

Gazette des Délices
Y a-t-il des grandes figures de la critique dix-huitiémiste que vous admirez particulièrement ?

Jean-Daniel Candaux
Oui, et je suis très heureux de pouvoir leur rendre hommage. Citons d'abord Marcel Raymond, le seul à m'avoir véritablement impressionné à l’Université ; Jean Fabre, président de la Société Française d'Étude du Dix-huitième Siècle ; Victor de Pange, président de la Société Staëlienne ; Florence Lotterie et Stéphanie Genand, qui ont repris l'édition de la correspondance générale de Mme de Staël, laissée inachevée par la mort de Béatrice Jasinski ; Raymond Trousson bien sûr, avec sa maîtrise encyclopédique du dix-huitième siècle, et mon ami Jean-Michel Noailly, grand musicologue, grâce auquel la bibliographie des Psaumes verra enfin le jour. En Italie, il convient de ne pas oublier Franco Simone, fondateur des Studi Francesi, organe dont je fus le correspondant suisse à partir du numéro 20 (et nous en sommes aujourd'hui au numéro 180 !) : cette année est précisément organisée, à Turin, une journée d'étude pour le centenaire de sa naissance.

Gazette des Délices
Et auriez-vous, pour conclure, un regret, un rêve non abouti ?

Jean-Daniel Candaux
Je n'ai pu achever ma thèse, qui portait sur les relations des voyageurs visitant Genève de la Réforme à la Révolution : plusieurs chapitres en ont pourtant été écrits et j'ai collectionné de nombreux récits de voyage cachés, encore aujourd'hui, dans quelques châteaux, en Écosse, en Pologne, où sais-je encore... J'aimerais avoir le temps de trouver un successeur qui pût achever le livre que je n'ai pas écrit.

 

 



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© IMV Genève | 07.11.2013