La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par François Jacob

    
       

 

     
 

 

Nous engageons aujourd’hui la discussion avec Olivier Bara, professeur à l’Université de Lyon II, que nos lecteurs les plus anciens se souviennent avoir connu jadis, lorsqu’il officiait comme conseiller scientifique de l’exposition Voltaire à l’opéra. Olivier Bara nous propose ici quelques allers et retours entre les dix-huitième et dix-neuvième siècles.

Q : La première question est désormais traditionnelle. Quels éléments ont fait, dans votre parcours, que vous vous êtes plus particulièrement intéressé à la littérature du dix-neuvième siècle ?

R : Tout a commencé par des lectures d’adolescent. Je suis entré dans la littérature du dix-neuvième par Stendhal, Balzac et donc par les grands romans de cette époque, le Père Goriot, le Rouge et le Noir, la Chartreuse de Parme

Q : Le roman, seulement ?

R : Le théâtre, aussi. Encore étais-je moins « monoséculaire » avec les œuvres dramatiques. La concurrence se faisait du côté de Molière, par exemple…

Q : Comment ! Vous passez directement du dix-neuvième au dix-septième siècle !

R : Ah, mais je n’oublie pas le dix-huitième ! Le dix-huitième siècle était cependant pour moi un siècle presque exclusivement « rousseauiste ». La rencontre avec Rousseau a d’ailleurs été un peu plus tardive, lors de vacances, au bord du lac Léman : j’étais véritablement in situ pour découvrir les Confessions, la Nouvelle Héloïse et établir les relations qui s’imposaient entre Rousseau et le dix-neuvième qu’au même moment j’apprenais à connaître, et qui était le « premier dix-neuvième siècle », c’est-à-dire, comme on l’appelle parfois, le « romantisme 1830 ». C’est sans doute par ce rapprochement que j’ai pris conscience de ce que j’aimais dans le dix-neuvième siècle, c’est-à-dire une articulation constante entre la littérature, la politique, l’histoire présente (c’est-à-dire l’histoire qui n’est pas encore devenue histoire, mais que la littérature aide à penser dans son historicité) et la relation entre des questions d’esthétique et des questions d’éthique, que je pense avoir comprise par Rousseau et chez Rousseau.

Q : D’où votre goût pour la littérature de 1830…

R : Oui, une littérature directement en prise avec des moments historiques, et qui essaie de traduire en fictions, en textes les cassures historiques, de les comprendre par ce moyen et de penser le politique par ce biais.

Q : Cette articulation telle que vous la décrivez se retrouve-t-elle chez des auteurs particuliers ?

R : Je l’ai trouvée, mais beaucoup plus tard, chez George Sand, que je connaissais par la Mare au diable, par la Petite Fadette mais aussi par Mauprat, qui m’avait fait comprendre que Sand ne se limitait pas à la rusticité et aux bergeries berrichonnes. J’avais saisi qu’il y avait dans Mauprat des enjeux politiques, des enjeux liés à l’éducation, des enjeux éthiques. Je ne pense pas toutefois avoir fait d’emblée le rapprochement avec Rousseau, alors qu’il s’agit pourtant d’un de ses romans les plus « rousseauistes ». Plus tard ce fut la découverte de Consuelo, son grand roman lyrique : je suis donc revenu à Sand par le biais de mon intérêt pour l’opéra. On peut aussi citer la Comtesse de Rudolstadt et d’autres œuvres de Sand liées au monde du spectacle (le Château des Désertes, par exemple). Mais lorsque j’ai travaillé avec Christine Planté sur l’édition des articles de George Sand (pour son anthologie de George Sand critique1), j’avais en charge le premier article de Sand intitulé « Quelques réflexions sur Jean-Jacques Rousseau » où je retrouvais justement cette pensée en actes littéraires du politique. Par ces auteurs de mon Panthéon personnel qui va de Rousseau à Sand en passant par quelques autres, j’échappe à une approche purement formaliste ou purement rhétorique de la littérature, en considérant précisément que le romantisme est une charge dirigée contre une conception purement rhétoricienne de la littérature. Ce qui est au cœur du romantisme, c’est de penser en permanence le sens des formes ou la forme-sens, ou l’actualité des formes en réponse à une question politique ou sociale posée de façon urgente par le présent.

Q : Et la musique ?

R : Elle correspond à cette époque à un monde beaucoup plus individuel, plus personnel. Elle pose moins la question du collectif ou de la communauté.

Q : Mais une telle question ne peut-elle se poser à l’opéra ?

R : Si, et à l’opéra-comique d’abord ! Mais lorsque je sors d’une pure délectation solipsiste d’une musique très liée au premier romantisme italien (Bellini, Rossini, Donizetti, et jusqu’à Verdi aussi), l’effet est évidemment différent du moment où je commence à travailler sur l’opéra ou sur l’opéra-comique français du début du dix-neuvième siècle. Les questions que je pose aux ouvrages sont des questions qui articulent encore une fois esthétique et politique, c’est-à-dire que je me pose des questions de réception collective de l’œuvre, et la question de la sociabilité que l’œuvre, dans sa forme, engendre. Est-ce que le protocole de l’opéra-comique dans sa forme (parlé-chanté), dans sa dramaturgie entraîne un type de sociabilité qu’on a pu appeler, du côté des opposants de l’opéra-comique, sociabilité « bourgeoise » ? La même question se pose pour le grand opéra romantique : sa forme éclectique (en cinq actes, avec ballet obligé et avec cette manière d’emprunter, du côté de la vocalité italienne, de greffer cela sur des sujets relevant de l’histoire de France, empruntant certains codes au mélodrame) correspond à un mode de sociabilité qui était dominant dans le Paris cosmopolite de la France du dix-neuvième siècle, pour ce Versailles de la bourgeoisie qu’était l’opéra, à partir de 1830.

Q : Et vos travaux présents, quels sont-ils ? Quels sont les ouvrages qui trônent sur votre table de travail, dans la bibliothèque de l’Institut Voltaire ?

R : Je travaille actuellement sur trois œuvres très courtes de Jean-Jacques Rousseau qui constituent sans doute son testament musical, notamment sa Lettre à Burney accompagnée de deux analyses, l’une portant sur l’Alceste italien de Gluck, l’autre sur l’Orphée italien du même musicien2, donc des œuvres très courtes qui relèvent du fragment et dans lesquelles on a l’impression qu’un Rousseau vieillissant, affirmant qu’il perd la mémoire, et affirmant aussi qu’il n’a plus ses partitions sous les yeux puisque Gluck les lui aurait reprises, veut essayer de redire son analyse de ces partitions. Il reprend en fait une dernière fois ce qui constituait les fondements de sa conception de la musique, en parlant aussi bien de la notation musicale que de l’importance de la simplicité harmonique, de l’unité de mélodie, de la préférence devant être accordée à l’accent et au rythme et non au travail harmonique : on retrouve vraiment les grands thèmes rousseauistes rassemblés dans ces trois textes très courts, où il essaie également –c’est même pathétique, à certains moments- de démontrer sa compétence musicale. C’est ainsi qu’il analyse le célèbre passage de l’Orphée de Gluck où Orphée est aux Enfers : son approche est délibérément technique. Il s’agit de faire état d’une compétence qui lui a toujours été contestée. Peut-on aller jusqu’à parler de la paranoïa d’un Rousseau vieillissant ? (rires)

Q : C’est effectivement une question qui a fait couler beaucoup d’encre ! Merci beaucoup en tout cas pour ces quelques précisions : nous nous réjouissons de découvrir prochainement la Lettre à Burney éditée par vos soins aux classiques Garnier. 

 

1 George Sand critique (1833-1876), textes de George Sand sur la littérature présentés, édités et annotés, sous la direction de Christine Planté, Du Lérot éditeur, Tusson, 2007.
2 Fragments d’observations sur l’Alceste Italien de M. le Chevalier Gluck, Extrait d’une Réponse du Petit Faiseur à son Prête-Nom, sur un morceau de l’Orphée de M. le Chevalier Gluck.  

 

 



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© IMV Genève | 27.02.2014