La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par Antoine Débois

    
       

 

     
 

 

Pour tout voyageur traversant la Gironde, animé par une curiosité intellectuelle ou un amour de la terre, il est une étape à ne pas manquer, située à peine à vingt kilomètres au sud de Bordeaux. Au fur et à mesure que les kilomètres défilent, l’urbanisme cède la place à la charmante campagne bordelaise, et à peine laisse-t-on son regard s’égarer dans les bois environnants que déjà l’on pénètre dans la paisible commune de La Brède.

Les ruelles du village sont irrésistibles, toutes égayées par les nombreuses petites mains vertes qui s’évertuent à fleurir les moindres rebords de fenêtre ; et si l’on ne peut s’empêcher de flâner quelques instants, encore moins de s’offrir une coupe de champagne à une terrasse, l’on ne doit pas y passer trop de temps pour l’instant, de peur de rater la visite du château.

En poussant en effet d’encore quelques kilomètres au sud-ouest,  de la campagne brédoise émergera le Château de la Brède, comme flottant sur un nuage d’eau au milieu d’une tempête admirablement calme de verdure. Logé dans un cadre idyllique, le Château domine la région du front sévère de son imposant donjon.

Une forteresse de plaisance

Ce haut-lieu d’histoire transcrit jusque dans son architecture la difficulté de l’aborder dans un texte bref ; l’ancienne forteresse de plaine est en effet bâtie sur un plan polygonal à dix-sept côtés et flanqué de douves d’eau vive, dont la largeur peut varier selon la saison, de quinze jusqu’à trente-cinq mètres. De l’ancienne forteresse militaire, commencée  vraisemblablement au XIe siècle, ne témoignent plus que la grande tour à mâchicoulis, quelques meurtrières inégales et surtout l’entrée du château, précédée de trois anciens ponts-levis. Au cours du XVIe siècle, Jean de Penel acheva la rénovation de la petite forteresse en château d’agrément, transformant les fossés en un petit lac, perçant les murs de fenêtres à meneaux et les recouvrant d’un parapet.

Et des nombreuses façades de son histoire, lesquelles faut-il aujourd’hui privilégier ?

L’entier de son historique ne sera pas transcrit ici, pour des raisons plus qu’évidentes, mais nous ne manquerons toutefois pas de rediriger le lecteur curieux vers le Dictionnaire en ligne Montesquieu, site riche en informations établi sous la direction de Catherine Volpilhac-Auger, qui travaille actuellement à la publication du tome XIX , Correspondances II, des Œuvres Complètes de Montesquieu, prévue pour la fin de l’année 2014. Là, le lecteur pourra se plonger dans les articles Château de la Brède, d’Edith Ouy, ainsi que dans l’article La Brède rédigé par François Cadilhon.

Pour compléter ce petit excursus historique, nous proposons également un détour très intéressant par la généalogie des Secondat, établie sur le site de l’École de Montesquieu, retraçant brièvement comment la famille de Secondat obtint d’Henri IV la baronnie de Montesquieu.

Car ce qui fait aujourd’hui la célébrité du Château de la Brède, en plus de son cadre merveilleux et de l’histoire des siècles que nous murmurent encore aujourd’hui ses pierres, c’est bien son propriétaire le plus célèbre, Charles Louis de Secondat, baron de Montesquieu. L’illustre penseur des Lumières y naquit le 18 janvier 1689 et succéda à son père en tant que baron de la Brède en 1713.

Montesquieu et la Brède

Montesquieu était très attaché au château de son enfance, et les traces de cette affection ne sont pas rares au sein de l’œuvre et de la correspondance de l’auteur : « vous me parleriez de toute l’Europe ; moi, je vous parlerais de mon village de La Brède et de mon château, qui est à présent digne de recevoir celui qui a parcouru tous les pays. » (Montesquieu à Guasco, Correspondance, I OC, t. 18, Lettres familières (XLI), p. 160 — Laboulaye, VII, 896.)

Plus que sa demeure encore, c’est le calme et le repos campagnards qu’il affectionnait tout particulièrement. On peut le lire sur la porte d’entrée après le troisième pont-levis : « O Rus, quando te aspiciam ? », un vers d’une satire d’Horace justement intitulée Otii laudes et vitae rusticae (un recueil des citations ornant les murs du Château est disponible à cette adresse.

Homme d’affaires et de voyages, Montesquieu se devait de s’établir officiellement à Bordeaux, mais il se retirait dans son petit château dès que l’occasion se présentait. Ceci d’autant plus qu’il voulait gérer lui-même son domaine ; si l’on retrouve dans les archives une fonction d’intendant au château, on sait également qu’aucune décision ne devait être prise sans son aval ou celui de sa femme.

Montesquieu était donc, en plus d’un écrivain et d’un savant, un propriétaire terrien. Aujourd’hui encore, on le surnomme volontiers le philosophe vigneron - charmant sobriquet que l’histoire tend désormais à relativiser. Si celui-ci en effet s’est incontestablement adonné à la viticulture, qu'il a étudiée en vue de l'optimiser, et qu'il s'est enrichi en exportant vers l'Angleterre, la surface totale de culture dédiée à la vigne représentait dans les faits moins d’un dixième des terres exploitables (source : article La Brède, François Cadilhon, Dictionnaire Montesquieu) dans la propriété de Montesquieu. Deux raisons définissent cette répartition des terres entre les diverses cultures. La première concerne la sécurité économique du domaine : les conditions climatiques et autres aléas bactériologiques pouvaient ruiner une récolte entière, et par là même un viticulteur peu prévoyant. La seconde est de nature - c'est le cas de le dire - agricole : toutes les terres ne sont pas bonnes à la vigne. Pour ces deux raisons, la majeure partie des terres de La Brède servait plutôt à l'élevage ovin.

Les rapports entre Montesquieu et l’Angleterre ne se limitaient pas au simple commerce ; entre 1729 et 1731, il séjourna outre-Manche. Ce détail biographique peut sembler de prime abord digressif dans un article sur le Château de la Brède, car il est en règle général plutôt évoqué pour traiter des inspirations philosophiques de notre auteur. Nous lisons toutefois dans sa correspondance : « un château, gothique à la vérité, mais orné de dehors charmants dont j'ai pris l'idée en Angleterre. » (Montesquieu à Guasco, Correspondance, I, OC, t. 18, Lettres familières (IX), p. 42. Laboulaye, VII, 27)

Effectivement, Montesquieu ne laissa pas de marque dans l’architecture du bâtiment, mais modifia considérablement l’extérieur et les environs du Château, pour des raisons d’abord économiques liées à l’exploitation des terres (irrigation, assainissement des terrains, forêts débitées et de nouveaux bois plantés…), puis pour des raisons esthétiques : « S’inspirant directement de l’ouvrage de Dezallier d’Argenville, publié en 1709 et qu’il achète en 1722 (Catalogue, no 1387), Montesquieu crée dans son parc un jardin régulier, avec parterre et bosquet. Il s’agit d’un dessin en étoile double dont le tracé permet des allées de promenades qui s’entrecroisent en plusieurs points avec des petits carrefours se succédant. L’essence utilisée est le charme qui est surtout utilisé pour faire des palissades, c’est-à-dire un mur végétal, devenant ainsi charmille […]. » (source : article Château de la Brède, Edith Ouy, Dictionnaire Montesquieu). On sait d’ailleurs que sur cette propriété se sont côtoyés des jardins à la française et des jardins à l’anglaise.

Le Château de nos jours

Le Château de la Brède est resté jusqu’à notre époque la propriété de la famille Montesquieu ; Jacqueline de Chabannes, de la huitième génération après le philosophe, y habita et rendit l’âme en 2004. Elle prit soin de créer une Fondation à son nom, afin que le Château serve d’écrin pour préserver la mémoire de Montesquieu et que cet héritage reste indéfiniment ouvert au public. Les plus grands efforts sont déployés pour réunir des fonds permettant de recréer les jardins, parterres et allées d’après les plans qu’avait suivis Montesquieu.

Aujourd’hui le Château est ouvert aux visites, individuelles ou groupées, presque toute l’année, et des guides sont présents pour conter la longue histoire de ses murs. De plus, des activités culturelles y ont régulièrement lieu : on notera la Fête de la Rosière, instituée en 1823 par testament de François de Paule Latapie, ancien secrétaire de Montesquieu, ou encore la manifestation annuelle appelée Montesquieu et Nous, qui depuis 2005 cherche à rendre plus vivant le souvenir et l’héritage de Montesquieu, à travers des représentations théâtrales, des séries de conférences, des concerts et bien d’autres activités encore.

Le Château de la Brède est donc bien à l’image de son architecture : composite. Son excellente conservation et la reconstitution remarquable des pièces visitables poussent le visiteur à s’attendre sans arrêt à ce que le philosophe apparaisse au coin d’une porte ; et pourtant, loin d’être abandonné au sort des grands tombeaux, il reste incroyablement vivant, accueillant toujours plus de visiteurs et d’activités qui l’animent tout au long de l’année, comme autant de manifestations de reconnaissance de la part d’une région à un homme qui, en son temps, a œuvré infatigablement pour elle.

 



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© IMV Genève | 16.06.2014