La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
      Hiver 2014Accueil   IMV   Contact
           
   


    
       

 

     
 

 

Première table ronde du 60e anniversaire de la création de l’Institut et Musée Voltaire

Participants :
Ulla Kölving, André Magnan, Olivier Ferret.

Modérateur :
Jean-Daniel Candaux.

C’est un « Grand Salon » un peu spécial que nous présentons aujourd’hui à nos lecteurs puisque nous accueillons non pas un, mais quatre voltairistes parmi les plus réputés. La synthèse que nous offrons des débats du vendredi 3 octobre dernier se fera en deux temps : dans ce numéro sera proposé un résumé de l’intervention de Mme Ulla Kölving, tandis que les propos de MM. Magnan et Ferret feront l’objet du « Grand Salon » de la Gazette du printemps 2015.

M. Candaux, après avoir présenté les trois conférenciers, donne la parole à Mme Ulla Kölving.
Celle-ci se propose de rappeler l’histoire de l’édition des Œuvres complètes de Voltaire en cours. Il s’agit là d’une entreprise qui a vu le jour il y a quarante-cinq ans. Le projet fut lancé au Congrès des Lumières du 24 août 1967 –date fatidique pour Voltaire, précise Mme Kölving, « et pour nous aussi ». Étaient présents William Barber et Owen Taylor, rédacteurs de la proposition initiale d’Œuvres complètes, ainsi que Theodore Besterman, Andrew Brown et René Pomeau. Quelques principes furent adoptés, dans un ordre qui nous surprend peut-être un peu aujourd’hui : un prix d’édition aussi bas que possible, une publication en un minimum de temps, l’établissement de principes scientifiques solides pour le classement des œuvres comme pour le traitement des textes concernés, la rédaction d'introductions brèves et de notes succinctes.

À cette première réunion, Theodore Besterman, alors directeur de l’Institut et Musée Voltaire, accepta d’imprimer et de diffuser l’édition. À la réunion suivante, le 31 janvier 1968, il fut décidé de présenter les écrits de Voltaire en cinq catégories, chaque catégorie étant présentée dans l’ordre chronologique des textes : les œuvres en prose, les œuvres dramatiques, les poésies, les carnets et la correspondance. Une autre réunion, « fatale » pour Mme Kölving, eut lieu le 2 mars 1968, et la décision fut alors prise de publier les œuvres par ordre chronologique sans distinction de genre –avec la notable exception des petits poèmes, des carnets, des marginalia et de la correspondance qui devaient venir en fin d’édition. D’autres décisions prises alors, comme la présence obligatoire d’un index pour chaque volume, ne semblent jamais avoir été respectées.

Le projet fut ensuite confié par ses fondateurs à un comité exécutif, organe autonome qui assumait la responsabilité éditoriale de l’ensemble. Il incombait à Theodore Besterman de s’occuper de la préparation des manuscrits pour la presse, de l’impression et de la diffusion, celle-ci occupant à l’époque une place importante dans le cahier des charges de l’édition.

Le projet démarre « sur les chapeaux de roues » : les premiers volumes à paraître sont les Cahiers de Voltaire dès 1968 suivis de la Philosophie de l’histoire, de la Henriade, de la Pucelle d’Orléans, avant l’édition de la seconde édition de la Correspondance de Voltaire par Theodore Besterman. Celle-ci, dite « définitive », a engagé toutes les énergies de Besterman tandis que les volumes « littéraires » souffrent manifestement tous d’une préparation technique trop hâtive, voire, dans certains cas, de graves défauts textuels. À cette date, les autres textes furent attribués aux collaborateurs sur une base qui semblait à l’époque tout à fait normale, à savoir que celui qui avait écrit un article sur un ouvrage devenait son éditeur ! Parmi les « spécialistes » sollicités, peu avaient une expérience de l’édition de textes et encore moins de la bibliographie matérielle. Mme Kölving rappelle d’ailleurs qu’il faudrait encore attendre dix ans avant de bénéficier des deux volumes de catalogues des œuvres de Voltaire à la Bibliothèque Nationale. La plupart des contributions reçues se sont trouvées impubliables, et certaines même irrécupérables. La publication par ordre chronologique ajoutait considérablement aux difficultés de l’opération.

Theodore Besterman se retire de l’édition en octobre 1974 et décide au même moment de léguer ses publications à l’université d’Oxford –ce qui fut suivi d’effet, deux ans plus tard, à sa mort, en novembre 1976. Si les dernières années de sa vie avaient été bouleversées par son différend avec Genève, les années suivantes, ponctuées par les procès relatifs à sa succession, ne furent guère plus calmes. William Barber fut élu président du comité exécutif de l’édition en avril 1977. Andrew Brown, lui, fut « légué » avec le reste à Oxford et entreprit la révision de la table des matières de l’édition –tâche essentielle, car des centaines de textes manquaient au projet initial. On a pu une nouvelle fois constater toutes les difficultés d’un projet qui n’avait pas de fondement bibliographique ou textuel. Le progrès fut très lent, la succession de Besterman en faveur de l’université d’Oxford s’étant enlisée dans les tribunaux de Londres. Ce n’est qu’en 1983, avec la fin des procès, que la machine a pu se remettre en marche. Entre-temps un seul volume avait paru, le Candide de René Pomeau, en 1980. Ce fut aussi le dernier volume à être imprimé par procédé typographique : les éditeurs avaient en effet pris la décision d’un système de composition et de mise en page numériques tout à fait nouveaux pour l’époque et qui a permis de contrôler toutes les étapes de production à l’exception bien compréhensible de l’impression et de la reliure.

Mme Kölving a elle-même pris ses fonctions en avril 1983. Elle venait d’un milieu d’édition, avait travaillé pendant six ans à côté de Jean Varloot, au Centre d’étude à la Sorbonne, où les discussions entre les trois responsables de l’équipe des Œuvres complètes de Diderot (Herbert Dieckmann, Jacques Proust et Jean Varloot) étaient souvent houleuses. Ils s’intéressaient tous aux techniques d’édition (authenticité, attribution, principes d’édition, modernisation, choix du texte de base, etc.) de telle sorte que Mme Kölving a pu acquérir une certaine expérience des points problématiques dans ce domaine. En 1983 a été publié un premier état du table of contents issu du travail préparé par Andrew Brown, avec une liste chronologique provisoire des écrits de Voltaire, au nombre de 2500, et leur distribution volume par volume. Le nombre d’éditeurs responsables de chaque texte était également mentionné : il y avait à cette date à peu près 125 éditeurs. Rappelons qu’il n’y en avait qu’une dizaine pour l’édition de Kehl… L’abondance des éditeurs n’a pas, comme on s’en doute, facilité la tâche.

Dès le début de l’édition avait été rédigé un document intitulé « Directives générales à l’intention des éditeurs » qui se voulait impératif mais ne fut en fin de compte qu’un document à consulter, sans plus. Les éditeurs l’ont en fait interprété à leur façon : il n’y eut ni homogénéité ni contrôle. La décision d’une publication chronologique a de plus fait attendre des années tel volume qui était presque prêt : si la décision avait été prise de publier les textes par genres avec respect de l’ordre chronologique à l’intérieur d’un genre, l’édition aurait avancé beaucoup plus vite, et toutes sortes de redites auraient pu être évitées. Une autre décision prise en 1980 consista à publier les « petits poèmes » à la fin de chaque volume. Décision d’autant plus contestable qu’il était parfois difficile de les dater...

Au moment de la relance de l’entreprise, en 1983, il fut décidé d’instituer un cadre auquel devaient se soumettre toutes les éditions. Il s’agissait d’expliciter les principes et de faciliter la consultation des textes : la présentation des manuscrits et des éditions a été standardisée, une section obligatoire intitulée « Principes de cette édition » fut introduite, l’apparat critique fut systématisé avec introduction de sigles, et seules les variantes authentiques de Voltaire étaient considérées. Et, puisqu’il s’agissait de suivre l’évolution chronologique, il fut décidé de rédiger une introduction pour chaque volume avec rappel des activités de Voltaire durant la période. Sans compter, comme il se doit, l’ajout d’un index dans chaque volume.

Le premier volume à paraître selon ce nouveau système fut celui de La Défense de mon oncle. Mais, malgré tous les outils mis en place, il était difficile pour les éditeurs de choisir un texte de base, le principe étant qu’il convenait de choisir le dernier texte revu par Voltaire sauf dans le cas particulier des textes polémiques, où prévalait la première édition. Il fut alors décidé de tout revoir : on connaît le travail incessant de Voltaire sur les éditions de ses textes, sans compter les nombreuses contrefaçons dont il fallait également tenir compte. Autre difficulté, notamment pour les « facéties » ou les libelles : identifier la première édition. Voltaire pouvait très bien faire imprimer trente ou quarante exemplaires à Genève puis envoyer le tout à Paris pour une nouvelle impression et d’autres formes de distribution. Les problèmes sont donc nombreux qu’un seul individu, fût-il un excellent éditeur, ne pouvait assumer complètement.

Mme Kölving conclut en affirmant que, pour éditer Voltaire, on a toujours l’impression de toujours tout recommencer. Et ce n’est qu’après avoir terminé qu’on se rend compte comment il aurait fallu faire… Il faut également faire attention à cette manie qui consiste, en éditant Voltaire, à d’abord éditer ses éditeurs… Le numérique, se demande-t-elle, pourra-t-il changer tout cela ?

M. Candaux remercie Mme Kölving de ce qu’il nomme « un témoignage rare et, à certains égards, émouvant de ce qui s’est passé ici, sous l’égide de Besterman et de ce qui est devenu l’actuelle édition des Œuvres complètes de Voltaire. » Il ne s’agit pas, précise-t-il, de « faire le procès » de cette édition, mais il était important de voir « comment Besterman avait lancé la chose ». Ce qui « était très évident », ajoute M. Candaux, c’est que « ce qui intéressait Besterman au départ, c’était la correspondance de Voltaire. Il a mené une enquête extraordinaire pour aboutir à cette première édition des 107 volumes publiés ici. » Incontestablement, il s’est ensuite « laissé entraîner à refaire une édition plus vaste en partie pour pouvoir mettre dans ce cadre des Œuvres complètes la seconde édition, à laquelle il tenait beaucoup, de la correspondance. » Il ne pouvait en effet pas « publier cette édition de la correspondance séparément », puisqu’il s’était engagé « à ne pas la refaire telle quelle ».

La suite de cette table ronde sera disponible dans le prochain numéro de la Gazette, avec en particulier les interventions de MM. Magnan et Ferret, et la discussion générale.

 

 


Vers le haut

    
 

Editorial
- Éditeurs de Voltaire

Nouvelles

- Actualités d'hiver

Grand Salon
- Éditer Voltaire

Voltaire nous écrit
- Catéchisme chinois

Lieux

- Genève, lieu d'édition

Voix publiques
-
Soixante ans

Entre livres

- Sang dessus dessous

inscrivez-vous à la
Gazette des Délices

   
         
         
     
© IMV Genève | 07.04.2015