La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
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Première table ronde du 60e anniversaire de la création de l’Institut et Musée Voltaire (suite et fin)

Participants :
Ulla Kölving, André Magnan, Olivier Ferret.

Modérateur :
Jean-Daniel Candaux.

Nous proposons aujourd’hui un résumé des interventions d’André Magnan et Olivier Ferret prononcées lors du 60e anniversaire de l’Institut et Musée Voltaire. Ces deux interventions concernent plus particulièrement les deux entreprises que sont, à deux cents ans de distance, la publication de l’édition de Kehl et l’entreprise des Œuvres complètes à la Voltaire Foundation.

André Magnan a longtemps hésité, pour cette présentation, entre deux titres : Voltaire inéditable ? ou Voltaire graphomane. C’est finalement le premier qui a été retenu. Il s’agissait en effet d’évoquer la rencontre initiale, et finale, de Voltaire avec ses derniers éditeurs, ceux-là même qui lancent l’édition Panckoucke appelée à devenir l’édition Beaumarchais, connue sous le nom d’édition de Kehl.

Le 5 octobre 1777, les éditeurs viennent voir Voltaire à Ferney afin de lui présenter le plan de cette édition : le dit plan Decroix-Panckoucke. Ils viennent en fait offrir à Voltaire un cadeau – le projet d’édition – puisqu’il s’agit de la fête de saint François, et en même temps ils viennent le voir complètement démunis. De fait, poursuit M. Magnan, ils attendent de Voltaire qu’il résolve pour eux un certain nombre de problèmes. C’est là quelque chose de très perceptible quand on parcourt les sept ou huit pages de ce plan (édité dans le quatrième numéro des Cahiers Voltaire) : ils prient par exemple Voltaire d’indiquer les véritables variantes de la Pucelle. Ils imaginent que Voltaire a nécessairement les clés de l’œuvre. Et ils souhaiteraient de même inclure trois nouveaux chants. Ils avouent leur regret de ne pas avoir davantage de textes comme le Discours en vers sur l’homme, et ils en demandent d’autres, comme pour compléter l’œuvre, puisqu’après tout l’on parle d’œuvres complètes. Ils demandent encore à Voltaire d’autres contes en vers mais, s’amuse M. Magnan, ils ne les auront pas non plus. Ils produisent enfin le récit de la Fête de Bélébat, hélas incomplet : Voltaire est mis en demeure de mettre tout cela en « état de paraître ».

C’est bien, on le voit, un problème d’éditeur qui se pose. Pancoucke et consorts demandent à Voltaire « l’arrangement des petites poésies ». Sont également soulevés des problèmes d’attribution et la question de la présentation des textes alphabétiques. Ils ont ainsi préparé, en hommes prévoyants, un grand répertoire des œuvres abécédaires afin de confirmer que leur choix est bon – ils souhaitent cumuler tout ce que Voltaire a pu écrire sous forme alphabétique – et d’avoir un nouveau titre. M. Magnan rappelle alors que Decroix et Panckoucke proposent le titre de Dictionnaire philosophique historique et critique. Leur plus grande interrogation, puisqu’ils viennent voir le grand Voltaire, est de confirmer leur proposition d’« œuvres complètes ». Mais l’auteur a-t-il la solution à ces problèmes ? Évidemment non. Voltaire peut fournir des informations, des précisions mais en aucun cas imposer des solutions. Nous sommes alors, conclut M. Magnan, dans un vide éditorial.

Le conférencier évoque ensuite l’extrême complexité du matériau nécessairement disparate et dont l’auteur a lui-même parfois perdu la trace. Il lui arrive de découvrir des œuvres qui lui sont purement et simplement attribuées. Le caractère littéraire de l’ensemble nous conduit là devant un paradoxe : paradoxe de bravade et d’impunité, avec des degrés de « publiabilité » différents ; de clandestinité et de parade : d’un côté, tout le monde pourrait lire Voltaire et de l’autre, une partie de l’œuvre reste d’avance occultée, voir inconnaissable.

André Magnan développe alors un aperçu général de l’œuvre. La simple liste des écrits de Voltaire, imprimée en petits caractères, fait 17 pages dans l’édition Moland. Plusieurs facteurs expliquent le phénomène, notamment la précocité et la longévité de l’auteur. La variété de ses intérêts et la richesse de sa vision première sont sans limite. Tous les goûts et les intérêts sont entrés dans l’âme de Voltaire. Sans compter la conquête progressive d’une liberté de fait, au moins virtuelle, même si elle restait à risque, sans pour autant atteindre le risque « parfait » qui était celui de publier le mot « infâme », ce qu’il n’a jamais fait. L’infâme est un mot qui n’existe pas dans l’œuvre publique de Voltaire. Une telle publication était un risque infranchissable.

Mais qu’avons-nous, se demande M. Magnan, en fait d’œuvre ? Une épopée : La Henriade ; deux poèmes héroïques-comiques : La Pucelle  et la Guerre civile de Genève ; trois poèmes à grand sujet : le Poème de Fontenoy, le Poème sur la loi naturelle et le Poème sur le désastre de Lisbonne ; deux adaptations du livre de la Bible : Le Cantique des Cantiques et le Précis de l’ecclésiaste ; sept discours en vers, quinze odes, quinze contes en vers, trente-six pièces de stances, cent vingt-huit épîtres, quinze satires, des dizaines de poésies mêlées, un tableau de la littérature (Le Temple du goût), un ensemble de théâtre avec 27 tragédies, 12 comédies, trois opéras, une tragédie en musique, une comédie ballet, deux opéras comiques, deux divertissements dialogués…

Ce n’est pas fini. Ajoutons plusieurs ouvrages de matière scientifique dont un Essai sur la nature du feu, des Éléments de la philosophie de Newton ; des ouvrages à sujets métaphysiques, dont le Traité de métaphysique ; un magnifique opuscule sur Dieu intitulé Il faut prendre un parti ; des écrits de controverse et commentaires bibliques ; de nombreux écrits relatifs à l’histoire, soit proprement historiographiques comme l’Histoire de Charles XII, le Siècle de Louis XIV, le Précis du siècle de Louis XV, les Annales de l’Empire, mais aussi des écrits théoriques et méthodologiques comme la Philosophie de l’histoire, l’article « Histoire » de l’Encyclopédie, les Nouvelles considérations sur l’histoire et, enfin, troisième catégorie dans l’histoire : les écrits polémiques comme le Supplément au Siècle de Louis XIV ; des écrits à caractère politique sur les lois, la justice, la religion, les impôts, le commerce. Condorcet, le premier et le seul, fera une division spécifique, avec deux volumes de l’édition de Kehl bravement intitulés Politique et Législation.

Nous sommes à mi-chemin. Signalons encore des écrits de caractère juridique liés aux diverses affaires dont il vient à s’occuper : des mémoires, des relations, des avis, des suppliques, des remontrances, plus le Traité sur la tolérance, le Cri du sang innocent, le Commentaire sur le livre des Délits et des Peines, de nombreux écrits de réflexion et de critique littéraires, dont des textes pour et contre Shakespeare, des Commentaires sur Corneille, sur toutes les pièces de Corneille… Et encore des œuvres alphabétiques : le Dictionnaire philosophique portatif, les Questions sur l’Encyclopédie, des articles de l’Encyclopédie : au total plus de 500 entrées alphabétiques ;  des fictions en prose, contes et romans (26 titres) ; des dialogues, entretiens et autres morceaux dialogués (27 titres) ; des facéties par dizaines, dont l’édition de Kehl est la seule à faire un volume à part, dans toute l’histoire éditoriale de Voltaire.

M. Magnan propose d’en finir : ne restent plus que trois écrits de caractère et à statut autobiographique, des notes de travail et d’étude, et bien entendu une énorme correspondance sans visée de publication au départ. Le principe d’intégration est toutefois acquis dès l’édition de Kehl. Cette édition est la première à faire de la correspondance une partie de l’œuvre de Voltaire et à l’assumer. Elle produira 4500 lettres.

Se développent donc, conclut M. Magnan, trois caractères de la pratique voltairienne de l’écriture qui font de lui un type absolu de graphomane, incontrôlé, incontrôlable, en d’autres termes un auteur se sachant « inéditable », d’avance incomplet. Et ce sont alors trois modèles éditoriaux qui peuvent être définis : d’abord le modèle pratiqué du vivant de Voltaire, le modèle par genres, avec suprématie de la poésie –c’est le modèle de l’édition de Kehl retracé par Decroix et Panckoucke mais bousculé par l’arrivé de Condorcet dans le projet éditorial. Nous avons ensuite le modèle militant : on peut éditer Voltaire de manière militante par des groupements de textes. Vient ensuite le modèle chronologique qui a une marraine fort méconnue : Catherine II, laquelle reproche à Panckoucke de ne pas l’avoir suivie dans ce dessein.

M. Candaux remercie M. Magnan de ce riche exposé et passe la parole à M. Olivier Ferret.

M. Ferret choisit de s’attarder sur le projet de Besterman qui inclut et exclut certains aspects de l’œuvre de Voltaire. Il s’agit pour lui d’interroger cette entreprise qui vise à rassembler les œuvres prétendument complètes  d’un écrivain.  D’où deux ordres de questionnement :

Tout d’abord, que faire des textes attribués à Voltaire ? Quelles sont les modalités de cette attribution ? Selon quelle économie traiter ce qui relève du douteux, de l’incertain ? Dans les Œuvres complètes de Voltaire, peut-on se demander si certaines œuvres sont vraiment de Voltaire ?

M. Ferret prend l’exemple, qui n’est pas encore paru, des Dialogues chrétiens. Voltaire a constamment désavoué ce texte. Il faut, en somme, s’interroger sur ses critères internes et externes pour l’inclure ou non dans les Œuvres Complètes. Un autre exemple est celui du Tombeau de la Sorbonne  qui date de 1752, est publié de manière anonyme dans le contexte de la condamnation de la thèse de l’abbé de Prades, soutenue en Sorbonne en novembre 1751. L’attribution à Voltaire est contestée de toutes parts. Les éditeurs historiques de Voltaire sont partagés. Bengesco est catégorique, il suit Gerhard : il faut rendre cet ouvrage à l’abbé de Prades. Beuchot est plus nuancé, de même que Raymond Naves, qui parlent d’un pamphlet inspiré par Voltaire. Émery enfin indique que la brochure est bien de l’abbé de Prades mais que Voltaire y a mis la main. Le texte ne se trouve en tout cas dans aucune des « œuvres » auxquelles Voltaire a participé. Phénomène assez incroyable puisque le patriarche va jusqu’à inventer, dans l’édition encadrée, deux pièces détachées et attribuées à divers hommes célèbres.

Autre question : que faire des nombreuses corrections laissées par Voltaire dans les livres de sa bibliothèque ? Les annotations et les autres traces de lecture qui ont été apportées dans les marges ont fait l’objet d’une étude approfondie par Larissa Albina et font encore aujourd’hui l’objet d’études de Natalia Elaguina. Ce qui était initialement désigné comme un corpus, corpus des notes marginales, dont la publication est actuellement en cours d’achèvement a été inclus tardivement, en 2006, dans la collection officielle des Œuvres complètes de Voltaire, le tome 6 des notes marginales devenant le tome 141 des OCV. Ce qui a évidemment des incidences rétroactives sur les cinq premiers et prospectives, si l’on peut dire, s’agissant des volumes à paraître désormais comme des volumes des OCV. La question se pose alors des « œuvres complètes de Voltaire » : ces traces, ces notes sont-elles une œuvre ?

Une autre question à se poser est, pour M. Ferret, de savoir si ces traces et ces notes font partie de l’œuvre, au même titre que les fragments inédits, dans la perspective où il s’agit de réunir des « œuvres complètes ». Si la question a été tranchée concernant les ouvrages d’autres auteurs, elle reste entière s’agissant des notes que Voltaire apporte à ses propres ouvrages, dont la publication, dans l’état actuel du projet, n’est pas envisagée. Le statut de cette auto annotation, comme la nomme Christophe Paillard en 2007, reste entier.

M. Candaux remercie les trois orateurs de cette après-midi riche de perspectives nouvelles et constate avec plaisir que le chantier de la publication des œuvres de Voltaire reste largement ouvert.

 

 


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© IMV Genève | 08.06.2015