La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par François Jacob

    
       

 

     
 

 

C’est au printemps 2004, il y a très exactement onze ans, qu’est née la Gazette des Délices. Il n’est peut-être pas inutile, à un moment où la Bibliothèque de Genève est en train de repenser toute son interface numérique et où des efforts considérables sont engagés en ce sens, de faire le bilan d’une opération qui participe à la fois de la médiation culturelle, de la diffusion d’un savoir et, ce qui est peut-être encore plus important, de son actualisation.

Une triple logique alimentait alors la réflexion en cours. Il s’agissait d’abord de marquer de manière visible le lien naissant entre le service culturel de la mairie de Ferney-Voltaire et la maison des Délices : le 1er avril, Patrice Mugny, alors conseiller administratif de la Ville de Genève en charge des affaires culturelles et Pierre-Étienne Duty, maire de Ferney-Voltaire, produisaient ensemble le « clic » inaugural et mettaient en ligne ce qui était appelé à devenir le numéro un, encore dépourvu d’images, de la Gazette.

Autre finalité : faire entrer la Bibliothèque Publique et Universitaire, devenue entre-temps Bibliothèque de Genève, dans le concert des institutions créatrices d’outils numériques. Doit-on rappeler que la Gazette des Délices est la première (et donc, la plus vieille à ce jour) revue électronique de sciences humaines en Suisse romande ?

Un troisième objectif enfin était de rendre Voltaire, et son musée, à l’ensemble de la population : une déclinaison papier des principaux éléments de la Gazette était même prévue, afin d’être distribuée dans le quartier des Délices. Si cette option « papier » a été abandonnée, le lien à la population locale n’en est pas moins resté fort, comme en témoignent l’article sur l’inauguration du Clos Voltaire (n°28, rubrique « Nouvelles du XVIIIe siècle ») et surtout le texte intitulé « Voltaire à l’ombre » (n°30, rubrique « Clin d’œil ») qui ne manqua pas de susciter réactions enthousiastes ou indignées, selon le parti pris des correspondants. Pour les uns, il était important que le musée Voltaire, par l’intermédiaire de la Gazette, prît position sur la destruction programmée des « petits Délices » et se fît le relais de l’inquiétude des gens du quartier. Pour les autres, une publication telle que la nôtre devait se contenter de parler de Voltaire, et seulement de Voltaire.

Mais précisément : que signifie « parler de Voltaire, et seulement de Voltaire » ? Peut-on évoquer le patriarche de manière aseptisée, « décaféinée » dirait Philippe Sollers ? Peut-on le traiter comme une simple figure historique, dépourvue de toute connexion avec le monde dans lequel nous vivons et de tout rapport à l’actualité ? L’outil numérique ne nous invite-t-il pas à réagir dans des termes voisins de ceux que Voltaire, il y a bientôt deux cent cinquante ans, utilisait à propos des Calas, Sirven, La Barre et autres Lally ?

Nous nous trouvons donc, avec la Gazette des Délices, à la croisée des chemins. Peut-on envisager de délivrer un véritable discours scientifique sans rebuter un lectorat plus sensible à une approche décontextualisée de Voltaire ? Peut-on imaginer s’adresser à des lectorats résolument divers, aux attentes parfois antagonistes ? La création des six rubriques initiales de la Gazette et, à partir du numéro 37, de l’Éditorial, suffit-elle à répondre à toutes les attentes ? Et qu’attend-on d’ailleurs, de la Gazette ? N’est-on pas en droit d’espérer autre chose que la simple reproduction, sur écran, d’une série de textes qui pourraient tout aussi bien figurer sur papier glacé ? N’y aurait-il pas moyen d’exploiter de manière plus intelligente toutes les ressources de la réalité augmentée ou les possibilités offertes par le web aujourd’hui ? Pourquoi, par exemple, ne pas créer une plateforme interactive ?

Toute revue électronique est, un jour ou l’autre, confrontée à ce type de questions. Si elle use de moyens techniques propres au numérique (liens hypertexte, réalité augmentée, vidéo, mise en place de lectures transversales), ne risque-t-elle pas de privilégier la forme au fond et de se laisser déborder par un « effet de mode » dont on imagine aisément l’impact négatif, sur le plan scientifique ? D’un autre côté, à quoi bon recourir au numérique s’il s’agit seulement de produire une suite d’articles en mode texte ? On peut certes évoquer des raisons d’économie ou la volonté d’une diffusion élargie : mais, outre qu’il n’est pas certain, si elle est conçue dans les règles de l’art, qu’une revue électronique soit plus économique, à moyen terme, qu’une revue papier, il l’est encore moins que le web permette une démultiplication du nombre de lecteurs.

L’histoire de la Gazette des Délices le montre aisément. Elle visait au départ trois catégories de lecteurs : les voltairistes, les usagers de la bibliothèque et du musée, cette catégorie s’étendant aux usagers de la Bibliothèque de Genève conçue dans son intégralité, tous sites confondus, et enfin les habitants du quartier. Or un rapide coup d’œil des quarante-quatre numéros parus de la Gazette permet d’esquisser d’intéressantes lignes de force.

Les articles scientifiques sont ainsi au nombre de 44 dont 25 consacrés à Voltaire (soit 57%), 13 à d’autres auteurs du dix-huitième siècle (soit 29%), le reste concernant pour l’essentiel des auteurs du vingtième siècle ou des études de réception (14%). Dix-sept textes de Voltaire ont par ailleurs été édités. Les articles non scientifiques sont quant à eux au nombre de 49, 28 étant consacrés à l’évocation de l’actualité dix-huitiémiste (soit 57%), 17 à la mise en valeur d’objets patrimoniaux situés dans le musée ou d’acquisitions récentes (soit 35%) et 4 seulement aux événements du quartier des Délices à Genève (soit 8%).

Première constatation : la Gazette n’est pas une revue de proximité. Elle n’est pas lue, ou fort peu, dans l’environnement immédiat du musée. Les statistiques de consultation, qui permettent d’établir une cartographie des internautes de passage et de voir le temps de consultation de tel ou tel article, voire de savoir si des téléchargements ont eu lieu, confirment cette tendance : nos lecteurs viennent de France, de Belgique, d’Afrique parfois, de Russie et des États-Unis, c’est-à-dire de pays davantage concernés par l’actualité voltairiste. Rares sont les lecteurs de la rue Voltaire, de la rue de Lyon ou la rue des Délices.

Deuxième remarque : les réactions aux articles scientifiques développés dans la Gazette montrent que la « niche » la plus efficace est celle de l’actualité de la recherche voltairiste et non celle des articles de fonds sur Voltaire. En d’autres termes, la Gazette ne saurait se substituer ou s’agréger à ces deux grandes revues que sont les Cahiers Voltaire publiés à Ferney ou la Revue Voltaire conçue pour l’essentiel à Paris et à Lyon. Elle a en revanche un rôle à jouer dans ces cinq domaines que sont la découverte de nouveaux documents sur Voltaire, la description d’ensembles patrimoniaux relatifs à Voltaire, la mise en relief d’auteurs périphériques en général négligés par les « grandes revues », le relais d’une actualité voltairiste concentrée à Ferney, Oxford, Paris et Saint-Pétersbourg et enfin la réception de l’œuvre de Voltaire, qu’elle soit envisagée sur les plans diachronique ou synchronique.

Cet enseignement est dès lors à mettre en rapport avec la restructuration en cours de la recherche dix-huitiémiste à la Bibliothèque de Genève et apporte un nouvel éclairage à la question du lien au numérique. La Gazette est en effet une revue native, elle a été conçue pour être une revue numérique et, finalement, n’être que cela : elle se doit donc d’évoluer avec le numérique et de rendre compte de cette évolution.

Une première étape a été franchie avec la refonte de la maquette, au numéro 37, et l’apparition de rubriques dont les premières réactions de lecteurs montrent qu’elles sont tout à la fois lues et appréciées : « Grand Salon » met désormais en valeur un(e) voltairiste reconnu(e) et « Entre livres » offre une palette élargie de lectures possibles. Nous nous proposons d’amplifier ce phénomène en recourant, dans les prochains numéros, aux moyens considérables que nous offre le numérique aujourd’hui. S’il s’agit de faire attention à ne pas verser dans le « gadget » inutile et à une débauche de moyens finalement contreproductifs (voir à ce sujet l’édition catastrophique de Candide produite sous les auspices de la Bibliothèque Nationale de France et décrite dans le numéro 36 de la Gazette, à la rubrique « Liens »), il faut être présent au monde, à l’ouverture qu’il promeut et où doit se profiler, comme elle le mérite, la silhouette de Voltaire.

 



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© IMV Genève | 08.06.2015