Nous présentons dans cette rubrique, en guise d’introduction aux représentations de Voltaire aux Délices, un extrait de la quatrième scène de la pièce de Gérard Gruszka. Rappelons que les deux personnages principaux en sont Voltaire et son secrétaire Collini, bientôt dépassés, l’un et l’autre, par les figures qu’ils font naître, au gré de leurs discussions… Il est question, dans cette quatrième scène, du roi de Prusse Frédéric II.
COLLINI entre brusquement, le visage grave.
Monsieur, un courrier spécial de sa Majesté le Roi de Prusse ! Il attend une réponse de votre part.
VOLTAIRE prend la lettre du roi et la dépose sur son bureau sans l’ouvrir.
Eh bien sa Majesté cette fois attendra…
COLLINI, interloqué.
Oh Monsieur ! Faire attendre sa Majesté ! Le roi de Prusse !
VOLTAIRE, avec ironie
Et qui, ici, pourrait nous en empêcher, mon cher ? Nous recevrons bientôt Monsieur d’Alembert, vous connaissez les encyclopédistes, eux aussi sont toujours pressés. Savez-vous qui au monde apprécie le plus la liberté ? Les anciens captifs, et ne l’ai-je point été ? Vous comprenez pourquoi Monsieur de Voltaire, aujourd’hui, estime tant la sienne…
COLLINI
Enfin si Monsieur en décide ainsi…
VOLTAIRE
C’est entre eux que les rois nouent leurs alliances et les dénouent au gré de leurs intérêts : loué l’allié d‘hier devient, le lendemain, l’ennemi abhorré ! Querelles de princes ! Quelques droits contestés ! Quelques provinces depuis longtemps, en secret, convoitées et voici la guerre en furie allumée ! Le vainqueur s’abandonne aux joies de la victoire : son bal, le soir, sera le plus gai du monde tandis que le vaincu erre sur le champ de bataille, s’il est toujours en vie, au milieu des cadavres, des blessés et des agonisants !
COLLINI
La guerre, Monsieur, toujours elle, l’hydre effroyable qui s’abreuve du sang des peuples, comme je la redoute, Monsieur !
VOLTAIRE
Les raisons des princes étant toutes plausibles, il en ressort qu’aucune guerre ne se peut justifier. Aucun prédicateur n’a vraiment osé prêcher contre elle.
COLLINI
Est-il vrai, Monsieur, que les armées du Roi de Prusse soient les meilleures du monde et que César lui ait légué sa science ?
VOLTAIRE
Son génie les conduit fort bien, elles sont donc exercées ; cependant aucune armée n'est invincible : victorieux à Cannes, Hannibal fut vaincu à Zama !
COLLINI
Le roi de France pourrait donc l'emporter ?
VOLTAIRE
S'il suit mes conseils... certainement ! Serai-je écouté ? Là est toute la question.
COLLINI
Oh Monsieur, vous vous moquez! Pensez-vous que je sois candide au point de vous prendre pour un grand capitaine? Le génial Aristote n'a jamais chevauché Bucéphale.
VOLTAIRE
Vous n'êtes point candide, dites-vous ? ... Candide! Voici qui est digne d'intérêt!
Il paraît songeur.
COLLINI
Personne n'ignore, Monsieur, que vous êtes un illustre poète... un fameux philosophe...
VOLTAIRE, riant.
Mais en aucune façon un homme de guerre ! Allons mon cher ! Et si le monde se trompait ? Réfléchissez plutôt ! ... Vous apprendrez comment un philosophe gagne les batailles et peut servir à sa façon son pays et son roi. De quelle façon engage-t-on une bataille ?
COLLINI
Une bataille ? ... (Il réfléchit intensément un court instant.) En général, Monsieur, par une canonnade... la plus copieuse qui soit !
VOLTAIRE
Vous en connaissez la raison je suppose ?
COLLINI
De toute évidence dans l'espoir de tuer le plus d'ennemis possibles, d'entamer la cohésion de ses lignes, d'amoindrir sa détermination...
VOLTAIRE
Mais cette belle tuerie est-elle à votre avis suffisante ?
COLLINI
À vrai dire, hélas, non Monsieur ! Pour obtenir la victoire tant recherchée, conduits par leurs officiers, les soldats, en rangs serrés, devront s'avancer puis s'arrêter afin de tirer...
VOLTAIRE
Et ainsi d'augmenter ce beau carnage...
COLLINI
Il est certain qu'à ce compte le dernier assaut est toujours décisif : les malheureux qui s'entrégorgent le comprennent aisément... de là leur acharnement à ne point faire de quartier !
VOLTAIRE
Tout cela est fort juste, je vous en félicite... Cependant vous remarquerez que dans la plupart des cas, les tués et les blessés étant si nombreux dans les rangs des assaillants, les survivants ne peuvent plus espérer l'emporter !
COLLINI
C'est ainsi que se terminent toutes les batailles...
VOLTAIRE
Lorsqu'elles sont perdues ! ... (Sur un ton mystérieux et insistant.) A moins que... à moins que ?
COLLINI
Certes un miracle pourrait... je ne sais...
VOLTAIRE
Un miracle ! Voulez-vous laisser Dieu et tous les saints en paix ! Savoir mourir pour la défense et l'honneur de son roi est un art, anéantir son ennemi une science ! Donc... une fois de plus réfléchissons ! Ce dernier assaut dont nous parlions, par quel moyen pourrions-nous le rendre fulgurant, foudroyant, invincible ?
COLLINI
Je dois avouer Monsieur que je l'ignore... Mais après mure réflexion... Il nous faudrait combiner la vitesse à la force...
VOLTAIRE
Vous êtes sur le point de toucher au but...
COLLINI
La cavalerie ne peut y parvenir qu'intacte... Fort éprouvée elle n'est point irrésistible ! Cette fois, Monsieur, je me rends !
VOLTAIRE
Il nous faut pour cela ressusciter le char de combat !
COLLINI
Le char de combat !
VOLTAIRE
Un char muni d'une certaine protection... J'en ai conçu le plan : grâce à lui, l'éclair et le tonnerre frapperont mortellement au même instant !
COLLINI, très surpris mais soudain vivement intéressé.
Ah ça Monsieur ! Un char de combat, dites-vous ! Un char ! ... pour ainsi dire un char d'assaut ! Ce moyen est nouveau... mais vous avez raison... une fois de plus il faut le reconnaître !
VOLTAIRE, serein.
L'avenir proche ou lointain, sur ce point, me jugera.
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Voltaire aux Délices sera représenté aux dates et lieux suivants :
Bibliothèque de Genève, musée Voltaire
Mardi 16 juin, 20h
Mercredi 17 juin, 20h
Jeudi 18 juin, 20h
Comédie de Ferney, Ferney-Voltaire
Vendredi 3 juillet, 20h30
Samedi 4 juillet, 20h30
L’Enchantié, Vilhonneur
Jeudi 23 juillet, 20h
Bibliothèque Nationale de Russie, Saint-Pétersbourg
Vendredi 6 novembre, soirée
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