La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par François Jacob

    
       

 

     
 

 

Les bords de la Tardoire, à quelques lieues d’Angoulême, ont accueilli voici mille ans un jeune homme, Fucaldus, également connu sous le nom de Foucauld Ier : chargé par le vicomte de Limoges de construire une place forte destinée à protéger la population des envahisseurs et autres malfrats, il édifie un donjon encore visible aujourd’hui –même si une partie s’en est effondrée en 1960 et n’a dû qu’à la mobilisation des pouvoirs publics d’être efficacement restaurée. Fucaldus est considéré comme le premier élément d’une chaîne depuis lors ininterrompue, autrement dit d’une famille vieille de mille ans d’âge. Michèle de la Rochefoucauld et Florence Stumm, toutes deux auteures [entendez-vous, ami lecteur, le rédacteur du présent article pester contre l’absurdité du langage épicène ?] d’un petit volume publié aux éditions Sud-Ouest et sobrement intitulé Le château de la Rochefoucauld : une épopée familiale millénaire, rappellent que ladite famille a « posé un œil critique sur les événements » tout en restant « fidèle » à « [ses] idéaux, sans jamais se soumettre. »

La visite du château s’apparente effectivement, dès les premières salles, à une visite de famille. L’œil est ainsi attiré, dans le premier salon, par une série de photographies réunies sur un piano et où l’on fait connaissance avec quelques-uns des descendants de la prestigieuse lignée. Le dialogue qui s’engage avec les portraits qui tapissent les murs fait alors sens : ce qu’on vous dit, ce que l’on tente de vous faire comprendre, c’est que les huiles sur toile et les photographies représentent sinon les mêmes personnes, du moins les mêmes figures. Tel François de la Renaissance partage avec ce jeune barbu, sur la photographie de droite, le sens de l’histoire, c’est-à-dire à la fois la confiance dans la durée et la conviction que cette durée doit être la plus souple possible, la moins soumise aux circonstances ou aux contingences de toute nature. Ne jamais « se soumettre » : telle est, rappelons-le, le mot d’ordre initial.

L’histoire de la famille de la Rochefoucauld –et celle du château- coexistent alors pour inscrire dans la pierre cette dynamique valable dès la fin du Moyen-Âge : c’est au château, nous rappelle-t-on, que le roi de France Charles VII apprend en 1453 la victoire de Castillon, qui met fin à la Guerre de Cent ans ; c’est en 1519 que François II de la Rochefoucauld et sa femme, Anne de Polignac, transforment la forteresse en lieu de résidence et s’ouvrent eux-mêmes aux influences de la Renaissance. Léonard de Vinci aurait même inspiré, sans le savoir, les architectes du bâtiment : tel projet esquissé pour le château de Romorantin aurait en effet été concrétisé à La Rochefoucauld.

Les guerres de religion sont le point de départ d’une série de fluctuations, de changements d’orientation, d’hésitations qui interpellent l’historien et pourraient étonner le visiteur. François III de La Rochefoucauld reste ainsi un « ami intime » de Charles IX, mais n’en est pas moins massacré lors de la Saint-Barthélemy ; son fils François IV combat aux côtés des protestants mais son propre fils, François V, se convertit au catholicisme et, indiquent prudemment les auteures [ah, vraiment, notre pauvre rédacteur ne s’y fera jamais], « renoue avec la foi de ses ancêtres » : il est vrai qu’il n’avait guère eu la possibilité d’être sermonné, sur ce point, par son père, qu’il perd alors qu’il est lui-même âgé de deux ans et demi…

L’interrogation la plus vive concerne néanmoins François VI, futur auteur des Maximes, dont on apprend qu’il s’est d’abord opposé à Richelieu, a clamé sa fidélité à Anne d’Autriche avant de rejoindre la Fronde et de s’allier contre la couronne à Condé, Conti et Longueville. Il faut l’arrêt des hostilités et la conclusion de la paix, en 1653, pour que s’ouvre la seconde partie de la vie du duc de la Rochefoucauld, consacrée aux lettres. Le visiteur du château est alors fort surpris de voir qu’on semble ne considérer les Maximes que comme une œuvre secondaire (« Les Maximes restent une très belle œuvre de la langue française ») alors même qu’elles constituent l’un des points de cristallisation les plus essentiels, sur le plan de la morale comme sur celui des belles lettres, de toute la fin du dix-septième siècle. Oserons-nous dire que cette partie de la visite fut celle qui nous décontenança le plus ? Et que penser d’une salle où une vague gravure rappelle que François VI avait, de l’avis même de Mme de Maintenon, « une physionomie heureuse » et qui indique, presque incidemment, que, vous avez, si cela vous intéresse, dans la vitrine de droite, à côté de telle assiette, le testament écrit du duc…

Ce malaise face à la mise à l’écart de la valeur littéraire du duc de la Rochefoucauld, dont l’importance dans l’histoire des lettres françaises est quasiment gommée, n’était visiblement partagé que par un nombre restreint de visiteurs. Le charme du château, m’explique une grosse dame aux lunettes noires (« Il y a un soleil éblouissant, vous comprenez ») est ailleurs. La salle des armes, au deuxième étage, invite ainsi les parents et les enfants à se déguiser qui en spadassin, qui en écuyer, qui en belle dame de la Cour : n’est-ce pas charmant ? Et n’est-il pas émouvant, devant la bibliothèque, de mettre en rang ces enfants, garçons d’un côté, filles de l’autre, les uns pourvus de casques, les autres de hennins ?

On ne peut qu’être reconnaissants à la famille de La Rochefoucauld et aux responsables du château de n’avoir que très légèrement sacrifié à cette tendance qui veut faire de tout ensemble patrimonial un parc d’attractions. Et, puisqu’aussi bien nous attendions avec les enfants au seuil de la bibliothèque, entrons-y.

Elle se compose de plusieurs salles qui présentent, nous prévient-on, des fonds reconstitués et non triés : plusieurs ensembles d’ouvrages sont issus de châteaux voisins. La seule cohérence perceptible est d’ordre chronologique, telle salle réunissant plutôt des livres des dix-huitième et dix-neuvième siècles, telle autre des volumes plus anciens. Quant aux archives, on les trouve sur une vaste paroi, classées dans des boîtes non acides et naturellement protégées de toute intrusion lumineuse. Entièrement numérisées, elles rappellent la cohérence d’une histoire familiale dont les premières traces écrites datent du quinzième siècle mais dont l’ensemble du château atteste, sinon la pérennité, du moins la légitimité.

Car tel est bien le défi. Telle est aussi la seule question qui mérite d’être posée. Si l’on peut se féliciter de la longévité d’une famille dont l’histoire est, jusque dans son nom, réellement pétrifiée, quelles sont les valeurs qui jalonnent ce long parcours ? La fidélité à la couronne de France ? Les turbulences de la vie de François VI fourniraient un parfait contre-exemple. Une foi inébranlable ? Encore moins : il n’est que de se souvenir de l’histoire de la famille durant les guerres de religion. Le goût des armes et la valeur militaire ? Les La Rochefoucauld, aussi braves fussent-ils, trouveraient là forte concurrence. Le culte de la famille ? Sans doute, mais en quoi cela serait-il exceptionnel ? Et La Fontaine n’a t-il pas rappelé que le laboureur savait, lui aussi, faire des enfants ?

On pourrait d’ailleurs, sur ce dernier point, trouver matière à redire. La famille de La Rochefoucauld ne se décline pas en ligne droite : Louis-Alexandre disparaît sous la Révolution sans postérité et c’est, nous indique-t-on, « son cousin germain qui va lui succéder ». À ces fluctuations –il est vrai mineures- dans l’arbre généalogique correspondent des prises de position aussi diverses qu’inattendues : enthousiasme de Louis Alexandre pour les Lumières –ce qui le mène à l’échafaud- et allégeance à la République : un diplôme signé d’un président de la troisième République rappelle ainsi que tel membre de la famille a été promu au grade d’officier dans la Légion d’Honneur…

Ce qui fait l’intérêt à la fois de la famille et, pour les malheureux touristes que nous sommes, de la visite, c’est l’énergie dépensée à matérialiser dans la pierre une histoire somme toute attendue. Le respect s’impose devant l’œuvre colossale de Fucaldus, qui construit le premier donjon ; d’Anne de Polignac, qui constitue la première bibliothèque ; de François XVII et de son épouse, Mattie Elisabeth Mitchell, qui se lancent dans d’importants travaux de rénovation ; et de la famille actuelle, qui, dans le respect du passé et sans érudition ou surcharge de communication, parvient à faire partager l’émotion du lieu.

Une visite à faire, donc. Pour une leçon d’histoire, et de modestie. Il semble en effet que les La Rochefoucauld appliquent aujourd’hui, au cœur même du château, et avec bonheur, cette maxime de leur ancêtre : « Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas. »  

 

 



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© IMV Genève | 13.08.2015