La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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Nous accueillons pour ce Grand Salon d'hiver John O'Neal, professeur à Hamilton College et spécialiste du dix-huitième siècle, auquel il a consacré de nombreuses études.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ? Comment en êtes-vous venu à étudier la langue et la littérature françaises ?

Quand j’ai commencé mes études universitaires, je pensais d'abord me spécialiser en littérature anglaise. J’ai donc suivi des cours dans ce domaine, mais je suivais en même temps des cours de français.  Un cours de survol de littérature française m’a alors beaucoup impressionné. J’en ai surtout retenu l’intensité et la profondeur de la pensée. Les thèses audacieuses de Pascal et de Rousseau ont retenu toute mon attention. Par ailleurs, ma grand-mère, que je n’ai jamais connue et qui est décédée quand ma mère, elle, n’avait que huit ans, était d’origine française du côté du Canada. Les études françaises sont donc pour moi,  si vous voulez, un penchant intellectuel naturel en même temps qu'un lien avec mes origines familiales.

Vous avez axé une grande partie de votre recherche sur Jean-Jacques Rousseau. Quels sont vos thèmes de prédilection ? Comment les avez-vous abordés ?

Ce qui m'intéresse d’abord chez Jean-Jacques Rousseau, c'est sa sensibilité, mais j’ai aussi très vite reconnu son souci d’authenticité, son courage d’être lui-même. Pour les jeunes, qui sont souvent tentés de se conformer et, par là, de s’aliéner, Rousseau donne, par sa propre vie et par ses oeuvres, une leçon exemplaire. Il faut aussi mentionner la place occupée chez lui par la nature.  Comme lui, j’adore me recueillir, me ressourcer dans la nature, qui peut parfois s'apparenter, dans la vie, à une véritable psychothérapie. Enfin, j’ai été amené à comprendre, grâce à mes études de Rousseau, qu’il me restait à approfondir tout le plan épistémologique des Lumières.  Dans mon premier ouvrage sur Rousseau, qui portait sur la perception, je n’ai fait qu’effleurer le sujet de la philosophie et la psychologie « sensationnistes », ce qui m’a permis d’aborder, plus tard, l’esthétique du roman au 18º siècle en France, l’histoire de la médecine et l’histoire culturelle de cette époque, laquelle ne cessait de me passionner par sa grande richesse d’idées.

Voltaire et la tolérance sont de même très présents dans votre œuvre critique. Vous venez précisément de publier un important article sur le Traité sur la tolérance. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’était, évidemment, avant les attentats récents à Paris que je m'étais penché sur cet ouvrage de Voltaire. De fait, il y a une dizaine d’années j’ai développé un nouveau cours sur la tradition intellectuelle française. Comme toujours, j’aime étendre mes propres connaissances, et pour me poser un défi je choisis de temps en temps des œuvres que je n’ai jamais enseignées.  Il me fallait un auteur qui lance cette belle tradition de l’engagement de l’intellectuel en France. Qui de mieux que Voltaire !  C’est ainsi que Voltaire est devenu dans ce cours, avec Jean-Paul Sartre, l’un des deux tenants de cette figure de l’intellectuel engagé. Il me semblait aussi qu’il était pour les étudiants un bon exemple du fanatisme que la religion peut quelquefois encourager. Et pourtant, Voltaire ne refuse pas toute religion dans son Traité. Il s’efforce de ramener la religion chrétienne à ses origines, à la charité, pour l’éloigner de tout acte barbare afin qu’elle puisse nous rapprocher de notre humanité commune.

Quels défis semblent justement primordiaux pour les étudiants aujourd’hui ? En quoi l’étude des Lumières peut-elle les aider ?

En plus d’un désir d’indépendance et de liberté, thèmes majeurs pour les Lumières, les étudiants sont en quête d'une justification du monde tel qu’ils le voient. Ils se sentent de plus en plus à l’aise avec la notion de complexité, notamment en ce qui concerne la sexualité.  Le changement d’opinion radicale sur l’homosexualité reflète une telle mentalité. Or nombre des auteurs des Lumières présentent une vision du monde complexe, qui ne saurait s’expliquer par des catégories closes ou binaires (hommes-femmes, homme-animal, corps-esprit) mais par une plus grande fluidité entre ces termes. Les étudiants d’aujourd’hui pourraient y puiser bien des idées fécondes susceptibles d'appuyer leurs sentiments. D’autre part, les jeunes ressentent un besoin croissant de faire face au problème du réchauffement climatique.  Un nivellement de l’échelle des êtres tel qu’il est prêché par certains auteurs des Lumières rapprocherait l’homme des animaux et le rendrait plus sensible à leur sort auquel le sien est étroitement lié. L’écologie reste une préoccupation importante des étudiants, et pour cause.  Eux-mêmes et leurs enfants auront à vivre sur cette terre où il y aura de moins en moins de ressources.  Il faut dès lors cesser de considérer la nature de façon exclusivement utilitaire, ou de la voir sous la loi d’une exploitation parfois désastreuse.  La lecture de Rousseau, entre autres, pourrait aider les étudiants à réaliser leurs ambitions.

Vous avez été longtemps président de la Société américaine d’études du dix-huitième siècle. Comment se positionnent des sociétés comme celles-ci vis-à-vis du monde académique ? Ce positionnement est-il différent selon vous aux États-Unis et en Europe ? 

De fait, il s'agissait de la Northeast American Society for Eighteenth-Century Studies (NEASECS) dont j’étais président par deux fois. J’ai aussi été président de la Society for Eighteenth-Century French Studies (SECFS).  J’ai souvent constaté qu’en Europe, mes collègues ont une tendance à se réunir pour des journées d’étude où toute séance est une séance plénière, ce qui permet une bonne discussion.  Chez nous, le format veut qu’il y ait des séances qui se tiennent en même temps, un peu comme pour la SIEDS (Société internationale d’étude du dix-huitième siècle). Évidemment, le congrès international s’avère bien plus important, en termes de nombre de séances, que nos colloques régionaux ou même nationaux. Chaque format a ses avantages et ses inconvénients. Ceci dit, je dois dire que j’aime bien l’intimité et la discussion que permet le format que j’ai vu en France et en Suisse. Pour ce qui est de la question du positionnement des sociétés vis-à-vis du monde académique, il faut souligner que nos sociétés aux États-Unis n’ont aucun statut officiel aux yeux de l’état et que nous ne profitons d’aucune subvention fédérale.  En revanche, il y a un organisme qui s’appelle l'American Council of Learned Societies qui s’est formé pour faire avancer les sciences sociales et humaines. La société américaine d’étude du dix-huitième siècle (ASECS) dont dépend la NEASECS en fait partie. Pour sa part, la SECFS tient ses réunions autour des congrès de l’ASECS.

Merci beaucoup ! Voici à présent quelques liens pour nos lecteurs :

Actualités de John O'Neal à Hamilton College

Northeast American Society for Eighteenth-Century Studies

American Society for Eighteenth-Century Studies

 


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© Musée Voltaire | Genève | 24.02.2016