La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par François Jacob

    
       

 

     
 

 

Voltaire est à l’honneur des publications dernièrement reçues par l’équipe de la Gazette des Délices. C’est ainsi que les derniers volumes des Œuvres complètes de Voltaire publiés par la Voltaire Foundation d’Oxford invitent à s’interroger – encore une fois - sur la nature exacte d’une édition critique. Jacques Berchtold fait très justement remarquer, dans l’entretien qu’il nous a récemment accordé, entretien publié dans ce même quarante-neuvième numéro de la Gazette, qu’il s’agit de réconcilier, dans un geste critique renouvelé, philologie et herméneutique. Or précisément, le moins qu’on puisse attendre d’une édition critique est de fournir des renseignements fiables : le rédacteur de ces lignes a été ainsi pour le moins surpris des références proposées pour les Mémoires pour servir à la vie de Monsieur de Voltaire (OCV 45C) et notamment, à la page 301, de la description des MS6, MS7 et MS8 tous conservés au Musée Voltaire mais pourvus, dans l’édition susnommée, de cotes absolument fausses. Il était pourtant très simple de contacter le personnel du Musée, dont je puis certifier qu’il ne mord pas, pour vérification ou envoi de scans. Il était également très simple de se référer à la base Volage précisément constituée et constamment enrichie pour éviter ce genre de bourdes. Le volume 70A, qui présente les écrits de 1769, propose quant à lui des textes attendus par tous les voltairistes, à commencer par Le Cri des nations et les Lettres d’Amabed. Nous reviendrons, peut-être, sur ces dernières, qui méritent une exploration soutenue et surtout un complément bibliographique dont on s’étonne qu’il ait échappé à l’éditeur (une lecture de la biographie de Vasco de Gama par Subrahmanyan Chandrasekhar lui eût ainsi permis de corriger certaines assertions pour le moins hasardeuses). La question est en attendant de savoir, répétons-le, ce qu’est une édition critique et surtout ce qu’elle peut être aujourd’hui, à l’heure d’un incessant renouvellement des données critiques et d’une fermentation méthodologique toujours croissante. Continuons, pour l’heure, de citer Voltaire dans les OCV, édition critique, donc, le fût-elle par défaut.

Le Musée Voltaire a eu le plaisir d’accueillir Jacques de Saint-Victor, le vendredi 22 avril dernier, pour la présentation de son dernier ouvrage, Blasphème, aux éditions Gallimard. Interrogé par Jean Musy, journaliste à Radio Zones, Jacques de Saint-Victor a brièvement retracé l’histoire du blasphème, en reconnaissant que cette notion présupposait, dès lors qu’elle était examinée pour elle-même, une mise à niveau de toutes les religions. Or peut-on parler, comme s’il s’agissait d’un flux homogène, d’un simple « phénomène religieux » ? Et l’évaluation du blasphème, si l’on s’en tient aux seules religions monothéistes, est-elle simple affaire de degré chez les chrétiens, les juifs ou les musulmans ? Des notions connexes furent bien entendu évoquées lors de cette soirée : celles, d’abord, qui servent à réinjecter dans notre législation le délit de blasphème sans en prononcer le nom (atteinte à la liberté religieuse, etc.) ; celles, ensuite, qui en signalent non seulement la renaissance, mais même l’extension, et disent assez, hélas, le moment de crise que traverse, aujourd’hui, notre société.

Les éditions « Les Presses du réel » ont récemment publié un petit volume signé Jacqueline Lichtenstein et intitulé L’argument de l’ignorant : le tournant esthétique au milieu du XVIIIe siècle en France. Il s’agit du texte d’une conférence prononcée par l’auteur(e) le 15 octobre 2012 au Grand Amphithéâtre de l’Université Lumière Lyon 2, dans le cadre du cycle « L’amphi des arts » mené en partenariat avec le Musée des Beaux-Arts de Lyon. Or prononcer une conférence est une chose, la publier sous forme de volume en est une autre. Et ce qui risque d’apparaître, dès lors que les choses passent à l’écrit dans un ensemble aussi clos que peut l’être un livre, ce sont bien les manques, les oublis – volontaires ou non -, et, bien entendu, le resserrement de la problématique. On s’étonne ainsi de l’absence de bibliographie (où, s’agissant d’un tel sujet, on eût pensé que pouvait être citée la Genèse de l’esthétique française moderne d’Annie Becq) et surtout d’une absence de lien aux autres formes d’art lesquelles, à commencer par la musique, connaissent au même moment des interrogations de nature similaire. Le livre en lui-même s’ouvre par une série d’illustrations dont on se doute qu’elles ont rythmé le phrasé de la conférencière mais qui peinent à convaincre, dans le format volontairement ramassé de la collection « L’amphi des arts ».

Signalons enfin la récente publication, aux éditions de l’œil, de la pièce de Frédéric Révérend L’Affaire Calas, et cætera récemment créée à la Comédie de Ferney-Voltaire. L’auteur précise d’entrée de jeu que sa pièce « se veut une traversée plus poétique qu’historique de l’affaire Calas ». De fait, certains procédés d’écriture rappellent davantage le livret de Colette, L’Enfant et les sortilèges, que l’univers de la rue des Filatiers : c’est ainsi que la porte, la corde, la cravate noire et autres « objets témoins » sont successivement interrogés par le capitoul David de Beaudrigue. La structure de la pièce est en elle-même très simple : constituée de trois actes, elle présente successivement la soirée du suicide présumé de Marc-Antoine, l’interrogatoire du capitoul et la réaction de Voltaire, cette dernière étant ponctuée des interventions de Pierre Calas et surtout de la duchesse d’Enville, laquelle « vole la vedette » à Mme Denis. Le rythme est haletant deux actes durant, avant de s’essoufler dans le troisième. Or c’est ici que deux questions se posent. Tout d’abord, n’eût-il pas mieux valu laisser Voltaire complètement de côté, c’est-à-dire, en évitant de le faire paraître sur scène, interroger ce qui constitue le cœur de l’action : l’opinion publique ? On eût aimé voir en effet davantage de ces scènes de rues dont Musset rythma jadis son Lorenzaccio et qui ne sont d’ailleurs pas totalement absentes chez Frédéric Révérend. Ensuite, à quoi bon faire de l’affaire Calas une énième pièce de théâtre ? L’auteur, deux actes durant, a presque soutenu la gageure, en donnant la parole à ceux qui ne l’ont jamais eue, en dépit du bruit de l’affaire, et en versant dans ce qu’il appelle lui-même une « traversée poétique ». Mais le troisième acte vient faire retomber le soufflé. La déception est alors la même que celle qui prit le public, jadis, lorsque Voltaire apparut sous les traits de Claude Rich, dans certain film de Francis Reusser : car on n’y croit plus. Et on y croit d’autant moins, dans L’Affaire Calas, et cætera, que la patriarche ne fait, en défendant la famille Calas, qu’obéir à l’ordre que lui souffle, tel le Saint-Esprit, depuis son coin de paradis, l’âme du supplicié… Ah ! que n’a-t-on brûlé ce troisième acte ! Telle quelle, la pièce reste néanmoins fort bien écrite, en dépit de quelques jeux de mots faciles, et d’un Ave Maria douteux, et le public de Ferney l’a justement, et abondamment, applaudie.

 

 



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© Musée Voltaire | Genève | 23.06.2016