La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
      Été 2016Accueil   Musée Voltaire   Contact
           
   


Par François Jacob

    
       

 

     
 

 

Il est quelque part, sur les bords de la Tardoire, un château qui joue bien des tours. Le château de Menet –qu’on se le dise– ressuscite les morts. Une publication touristique vieille d’une cinquantaine d’années rappelle en effet que la jeune femme du comte Édouard de Lambertie mourut en 1835, peu après être tombée enceinte. La pauvre femme est enterrée : or « le soir venu le fossoyeur venu combler la fosse ouvrit le cercueil et vit avec effroi que la morte semblait respirer. Il alerta le châtelain, en retira Madame de Lambertie de son cercueil, et elle fut ramenée à Menet où quelques jours plus tard elle accoucha normalement d'un fils.»

1835 : l’heure est à l’éclosion des récits fantastiques et à la recherche des endroits propices à l’apparition de succubes, fantômes et ectoplasmes de toutes sortes. Qu’une jeune épousée, enterrée vivante, ressuscite des morts n’est finalement pas pour surprendre. Ce qui l’est davantage, c’est la réaction d’une familière des lieux qui, voici quelque vingt-cinq ans, s’avise de percer ce qui reste pour elle une véritable énigme : « J'ai voulu en savoir plus et apporter, je l'espère, quelques précisions à cette macabre histoire. Pour ce faire, j'ai recueilli, d'une part, les témoignages unanimes, dignes du crédit le plus total, des descendants directs de l'héroine de cette fable, membres des familles de Lambertie et de Ferrières ; d'autre part, ceux de M. Jean Renoux. Celui-ci est le dernier d'une lignée de fossoyeurs de Montbron qui ont officié depuis plus de trois générations. Il a pris sa retraite en 1987. » 

Diable ! Nous voilà à fréquenter les fossoyeurs ! Encore ceux-ci nous ramènent-ils, chemin faisant, au patriarche de Ferney : ne s’était-il pas lamenté de voir le corps d’Adrienne Lecouvreur laissé sans sépulture ? N’avait-il pas craint lui-même pour ses vieux os ? N’avait-il pas fallu l’intervention – et presque l’intercession – de son neveu, le bon abbé Mignot, pour couper court aux intentions malveillantes d’un clergé revanchard ?

Mais revenons à Menet, où nous retrouvons Mme Fils Dumas-Delage. Celle-ci s’étonne, après avoir compulsé force archives, de se trouver « confrontée à des invraisemblances de toutes natures », l’identité de la mort-vivante variant selon les journaux chargés de rapporter l’incident, avec en outre des titres de noblesse fluctuants, des détails troublants, etc. La bonne dame confronte les versions, examine les blasons des familles concernées, se rassure en constatant que la déterrée trouve encore la force de donner le jour à quatre filles et de s’éteindre à l’âge de 94 ans… Hélas ! Elle apprend bientôt qu’il est aussi question du « vol des bijoux de la fausse morte, et éventuellement de viol de sépulture ». Le « forfait » est « soit imputé à un fossoyeur, soit , selon selon certaines rumeurs locales, à des serviteurs du château de Menet ». Nous préférons, afin de préserver la Gazette de toute impureté, jeter un voile pudique sur ces atrocités.

Et pourtant… Nous avons choisi de procéder, à notre tour, voici quelques semaines, à une forme de résurrection. C’est en effet à l’invitation du nouveau maître des lieux, Philippe Batel, que les scènes de Zaire, de L’Indiscret, de La Mort de César et du Brûlons Voltaire ! d’Eugène Labiche ont été présentées à un nombreux public, auquel un bis était même réservé, avec deux scènes du Fanatisme de Voltaire. Il n’était évidemment pas anodin de faire vibrer l’alexandrin voltairien en un lieu où l’on s’est plu, il y a seulement quelques décennies, à imaginer que les fariboles d’un journaliste en mal de sensation aient pu trouver – sans mauvais jeu de mots – quelque fondement. Il l’était encore moins de le faire dans l’ancienne chapelle du château de Menet : non, bien sûr, dans le but d’assouvir quelque désir iconoclaste, ce qui serait nous reporter – et, finalement, nous enterrer – dans une querelle vieille de cent ans et qui n’a aujourd’hui plus cours ; mais parce que l’époque est à la résurgence – quoi qu’en pense Marcel Gauchet – d’extrêmismes religieux et de certitudes acquises qui ne peuvent que laisser pantois les esprits voltairiens que nous sommes.

C’est ainsi que le sens de Zaire a parfaitement été perçu – et reçu – par les spectateurs : non pas, ou pas seulement, une tragédie chrétienne, mais une véritable interrogation sur la nature du fanatisme à travers, notamment, « l’embrigadement » dont est victime la malheureuse Zaire et la violence à laquelle la soumet son propre frère. C’est ainsi que le sens du Fanatisme a été –illustré qu’il était, et comme confirmé, par les tragédies récentes – perçu, lui aussi, dans le sens que Voltaire lui donnait, lorsqu’il faisait créer la pièce par La Noue, à Lille. Le texte est si fort en effet qu’il dénonce, en les éclairant, tous les chemins qui mènent au fanatisme.

On parlait, du temps de Voltaire, de la résurrection possible du diâcre Pâris, qui faisait des miracles, à travers sa pierre tombale. On cherchait sérieusement, il y a presque trente ans, à savoir si la châtelaine de Menet pouvait avoir ressuscité. On égorge, aujourd’hui, ou l’on tue, dans une macabre jubilation.

Rien ne change.


Toutes les références des citations peuvent aisément être retrouvées sur:
http://lamotte.pagesperso-orange.fr/ecuras/no2mac.htm d’où elles sont extraites.

 

 



Vers le haut

    
 

Editorial
- Fin de partie

Nouvelles
- Actualités d'été

Grand Salon
- Rencontre avec François Jacob

Voltaire nous écrit
- Brûlons Voltaire !

Lieux
- Voltaire à Menet

Voix publiques
- Ernest RENAN, 1802 Dialogue des morts

Entre livres
- Artur Carlos de Barros Basto, le Dreyfus portugais


inscrivez-vous à la
Gazette des Délices

   
         
         
     
© Musée Voltaire | Genève | 17.08.2016