La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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Nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs de découvrir une des scènes du Brûlons Voltaire ! d’Eugène Labiche (1815-1888). Présentée en 1874, c’est une des dernières pièces du dramaturge : il s’agit même d’une œuvre à quatre mains, écrite en collaboration avec Louis Leroy.
Elle met aux prises la baronne de Chignac et un certain Marchavant, à qui elle souhaite vendre son château. Las ! La baronne entend préalablement brûler les œuvres de Voltaire qui selon elles déparent la bibliothèque, ce à quoi Marchavant, auteur d’un opuscule vantant les mérites du grand homme, s’oppose absolument. La pièce fait le portrait des milieux catholiques et monarchistes de la France du XIXe siècle et celui d’un républicain libre penseur. Il se trouve qu’Alice, la fille de la baronne, est secrètement amoureuse du jeune Maxime : or, pour diverses raisons, la vente du château risque, pensent-ils, de faire échouer leur mariage… jusqu’au moment ou, après la scène que nous présentons, l’on découvre que Maxime n’est autre que le neveu –et surtout l’héritier- de Marchavant…

Cette scène a été récemment interprétée aux Délices, puis à Ferney-Voltaire et au château de Menet dans la distribution suivante :  

Marchavant : Frantz Helmer
Lamblin, notaire : Antoine Débois
La Baronne :  Berthe Jullierat
Alice, fille de la baronne : Eloïse Genoud
Le croisé : Isaac Genoud

Genève, les Délices : 21 mai (Nuit des Musées), 28 mai
Ferney-Voltaire, Orangerie du château : 24 juin
Château de Menet : 4 août

LAMBLIN, achevant d'écrire
Voilà... je passe le préambule et j'arrive à l'objet de la vente. (Lisant.) « Primo. Le château de Chignac avec parc et toutes ses dépendances. Secundo. Tout le mobilier, meubles meublants, literie, vaisselle, bibliothèque, livres. »

LA BARONNE, vivement La bibliothèque... Ah ! pardon... J'ai une réserve à faire.

LAMBLIN
Laquelle ?

LA BARONNE
Je désire excepter de la vente un ouvrage de la bibliothèque.

MARCHAVANT
Un souvenir de famille... permettez-moi de vous l'offrir... quelque prix de pensionnat, sans doute ?

LA BARONNE
Non, monsieur, grâce à Dieu, on ne donne pas encore dans les pensionnats de pareils ouvrages.

MARCHAVANT
C'est un mauvais livre?

LA BARONNE
Les œuvres de M. de Voltaire.

MARCHAVANT
Ah!... Vous tenez à les conserver ?

LA BARONNE, se levant
Non!... car j'ai promis... à quelqu'un... promis ce matin même de les brûler.

MARCHAVANT, indigné, se levant
Brûler Voltaire!... Le patriarche de Ferney !

LA BARONNE
Lui ! un patriarche !

MARCHAVANT
Le flambeau de l'humanité, si vous préférez...

LA BARONNE
Une torche allumée par l'enfer !

MARCHAVANT
Ah ! permettez... d'abord l'avez-vous lu ?

LA BARONNE, révoltée
Jamais !

MARCHAVANT
Eh bien alors?...

LA BARONNE
II n'est pas nécessaire de lire un ouvrage pour le juger.

MARCHAVANT
Cependant... c'est encore le meilleur moyen...

LA BARONNE
D'ailleurs, j'ai promis, solennellement promis de le jeter au feu le jour où je vendrais le château.

MARCHAVANT
Mon Dieu, madame, j'en suis désolé, mais je ne puis vous accorder ce que vous me demandez...

LA BARONNE
Comment !

ALICE, à part, avec joie
Ça se brouille !
(Elle se lève ainsi que LAMBLIN.)

MARCHAVANT
Choisissez un autre ouvrage : Corneille, Racine, Bossuet... ça m'est égal... mais celui-là, jamais !... j'ai des raisons personnelles pour ménager Voltaire.

LA BARONNE
Et lesquelles ?

MARCHAVANT
J'ai fait de ce grand homme un éloge imprimé qui a été couronné en 1865 par l'Académie de Cahors.

ALICE, jouant l'indignation
L'éloge de ce monsieur, oh !

MARCHAVANT, fouillant à sa poche
Voulez-vous me permettre, mademoiselle, de vous offrir un exemplaire ?

LA BARONNE, couvrant ALICE
Ma fille ! respectez ma fille !

LAMBLIN
Voyons... je vous demande pardon si j'interviens... mais c'est comme notaire... il y a peut-être moyen de s'entendre...

ALICE, bas à LA BARONNE
Maman, ne cédez pas !

LA BARONNE, de même
Sois tranquille !

LAMBLIN
II serait vraiment fâcheux de faire manquer un acte important... un acte de deux cent soixante-quinze mille francs... pour quelques misérables volumes.

MARCHAVANT
Misérables volumes ! Voltaire !

LAMBLIN
Je ne suis pas son ennemi... loin de là... Je reconnais qu'il renferme de bons endroits...

LA BARONNE
Hein?...

LAMBLIN
Mais il en a aussi de condamnables... de très condamnables...

MARCHAVANT
Vous l’avez donc lu ?

LAMBLIN, regardant LA BARONNE
Jamais ! (Bas à Marchavant.) Je compte le lire (Haut.) Eh bien ! ne pourrait-on pas, à titre de transaction, brûler certains volumes et conserver les autres ?

ALICE, bas à sa mère
Ah ! quelle lâcheté !

LA BARONNE, bas
Tais-toi ! (Haut.) Je n'excepte pas une virgule ! (Lamblin remonte.)

MARCHAVANT
Ah! permettez, madame, j'invoque mon droit... car enfin nous nous sommes frappé dans la main... Je vous ai acheté tout le mobilier, sauf le linge de table et de corps. Voltaire est-il linge de corps ou de table ? non ! donc il m'appartient ! Donc, on n'en brûlera pas un feuillet !...

LA BARONNE
Et moi, monsieur, je vous dis qu'on le brûlera !

ALICE
Oui, on le brûlera ! (Elle remonte.)

MARCHAVANT
Non, madame !

LA BARONNE
Si, monsieur !

MARCHAVANT
Non, madame !

LA BARONNE
Eh bien ! il n'y a rien de fait !

MARCHAVANT
Soit ! il n'y a rien de fait !

ALICE, à part
Bravo !

LAMBLIN, à part
Ah ! par exemple, si je m'attendais à ça !

MARCHAVANT

Petit-fils de Voltaire, je ne courberai pas le front devant une descendante des Croisés.

LAMBLIN
M. Marchavant...

MARCHAVANT
Laissez-moi tranquille avec votre vieille bigote.

LA BARONNE
Bigote !

MARCHAVANT
Ah ! pardon, ça m'a échappé. Je tenais simplement à vous dire que s'il vous plaît de jouer le rôle d'éteignoir, je ne vous tiendrai pas la bougie.

LA BARONNE
Je vous salue, monsieur.

MARCHAVANT
Madame...

LA BARONNE, à part, sortant à gauche
Idolâtre !

MARCHAVANT, à part, sortant au fond à droite
Fanatique !

ALICE, lui criant de la porte
On le brûlera ! on le brûlera !

 



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Editorial
- Fin de partie

Nouvelles
- Actualités d'été

Grand Salon
- Rencontre avec François Jacob

Voltaire nous écrit
- Brûlons Voltaire !

Lieux
- Voltaire à Menet

Voix publiques
- Ernest RENAN, 1802 Dialogue des morts

Entre livres
- Artur Carlos de Barros Basto, le Dreyfus portugais


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© Musée Voltaire | Genève | 17.08.2016