Dans les années 1990, onze céramistes européens, réunis à l’initiative de l’artiste français Camille Virot, ont vécu dans les villages d’Afrique de l’Ouest – au Mali, Burkina, Niger, Cameroun, Nigeria ... Observant les potières à l’œuvre, et parfois travaillant à leurs côtés, ils ont rapporté des poteries d’usage quotidien, plusieurs heures de films, des notes et des dessins pris sur le vif, des outils et de nombreuses photographies. Cet ensemble désormais confié, conservé, étudié et récemment présenté au musée des Confluences de Lyon nous est prêté par l’institution. C’est l’occasion pour le Musée Ariana de mettre en scène une soixantaine de terres cuites dont la générosité plastique des formes aussi bien que la sobriété chantante des décors nous ramènent aux gestes du quotidien, à la découverte du monde des potières africaines. Les jalons documentaires éclairent le processus de création et de diffusion de ces objets, sous le regard spécifique porté par les pairs d’un même métier.
"Découvrant le dossier Terre africaine réalisé par Camille Virot, on est immédiatement séduit par l'élégance naturelle des femmes dans leurs travaux quotidiens ; portant les lourds canaris d'eau en équilibre sur la tête, façonnant l'argile de leurs mains expertes ou jetant des brassées de bois dans le feu, leur corps participe tout entier comme dans une danse.Les regards complices des céramistes photographes ont su saisir toute la grâcede ces gestes essentiels, beauté des attitudes justes parce que nécessairement efficaces, comme la foulée du coureur de fond tendu vers le but à atteindre. Beauté d'autant plus sensible que cette gestuelle est source de création, dont le corps est le seul outil. On ressent fortement cette cohérence totale entre l'objet accompli et l'être physique en accord avec l'environnement. Transmis de mère en fille, immémoriaux, gestes et formes se sont façonnés mutuellement, en s'épurant au fil de l'usage et du temps. Au milieu des chants collectifs, les potières s'activent et remplissent leur rôle au sein de leur communauté avec ses rites et ses croyances : entre façon de faire et façon d'être règne l'harmonie. Coupées de leurs racines et privées de leur fonction d'usage, ces poteries domestiques aux volumes parfaits retiennent cependant le sens profond du geste immuable de chaque potière africaine...."
Auteur du texte : Sylvie Girard, extrait de l'éditorial paru dans le No 79 de La Revue de la Céramique et du Verre, novembre 1994, à l'occasion de l'exposition Dialogues céramiques / Poterie nègre au Musée d'Art contemporain de Dunkerque