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Clio au XVIIIe siècle
Voltaire, Montesquieu et autres disciples

C’est le mardi 6 mai dernier que Dieter Gembicki, dans le cadre de l’opération « L’IMV vous livre ses auteurs », a présenté son dernier ouvrage intitulé Clio au XVIIIe siècle : Voltaire, Montesquieu et autres disciples (collection « Logiques historiques », L’Harmattan, Paris, 2008).

L’ouvrage

L’historiographie antérieure à la Révolution a longtemps eu mauvaise presse. Augustin Thierry, Guizot et Michelet ont fait chorus pour en dire tout le mal qu’ils en pensaient. Peu fiable dans ses sources, servile dans son rapport au pouvoir, marquée au sceau de l’anachronisme, ce péché mortel de l’historien, elle ne pouvait prétendre à rien mieux qu’au statut de précurseur maladroit.
Le procès a été heureusement revu en appel depuis quelques décennies. Il a été établi que cette manière de concevoir le passé obéit certes à des impératifs qui ne sont plus les nôtres, mais que ceux-ci ont aussi leurs exigences et leur dignité. Pour cela il a fallu relire d’un œil neuf les grands noms, les Voltaire ou Montesquieu, mais aussi s’intéresser à la masse des historiens ordinaires, maintenant oubliés, faire la sociologie de ce milieu d’intellectuels que leur discrétion rendait peu visibles.
Le présent ouvrage prend place dans cette réhabilitation. Par la variété de ses angles d’approche il fait revivre des destins oubliés ou célèbres, le modeste Joseph Dunand, « capucin éclairé », aussi bien que le glorieux Bossuet ; le pauvre Nonnotte, si cruellement moqué par Voltaire, autant que son bourreau.

L’auteur

D’origine allemande, Dieter Gembicki a couronné des études universitaires, menées à Francfort, par un doctorat à l’université de Genève (Histoire et politique à la fin de l’Ancien Régime. Jacob-Nicolas Moreau (1713-1803). Il a par la suite multiplié les études sur l’historiographie et l’histoire religieuse du XVIIIe siècle.

La discussion

Dieter Gembicki a d’abord pris la parole une trentaine de minutes et, après les remerciements d’usage, a défini ce qui, selon lui, faisait l’intérêt d’une étude de l’historiographie. Il s’agit, a t-il d’abord observé, d’un champ très particulier, qui dispose de traditions universitaires totalement opposées : dans le monde allemand et anglo-saxon, il est l’apanage exclusif des historiens tandis qu’en France, c’est plutôt la chasse gardée des littéraires. Certaines œuvres très importantes, au premier rang desquelles l’Essai sur les mœurs de Voltaire, se sont dès lors trouvées injustement dévalorisées ou rejetées.

La célèbre anthologie Lagarde et Michard, pour prendre ce seul exemple, juge l’Essai sur les mœurs faussé par le parti pris philosophique de son auteur, et le met largement au-dessous du Siècle de Louis XIV : c’est là une observation typique des années 1960. « Si j’ai choisi cet exemple de l’Essai sur les mœurs », a poursuivi Dieter Gembicki, « c’est parce qu’il a été écrit en partie dans cette maison et que la première édition a été préparée ici même, aux Délices. » L’Essai sur les mœurs paraît en effet sur les presses des frères Cramer en 1756, même si le projet de cette publication remonte à la période de Cirey et à un défi que Mme du Châtelet avait jadis lancé à Voltaire.

Le titre exact de l’édition de 1756 est Essai sur l’Histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nations depuis Charlemagne jusqu’à nos jours : elle suit le fameux Abrégé, qui avait connu plusieurs éditions et avait été abondamment piraté. L’édition se présente de manière originale : ce sont sept gros volumes qui sont d’un coup livrés à l’attention du public ! L’intention est double : il s’agit tout à la fois de déjouer les pièges de la censure et d’égarer les éventuels détracteurs, au premier rang desquels ceux que la critique a nommés les « antiphilosophes ». Mais cette édition, eût-elle sept volumes, est bien faible en comparaison de la dernière édition remaniée, celle de Kehl : quatre volumes regroupent plus de deux mille pages in-8°, en 197 chapitres ! Sur un plan strictement quantitatif, on passe du simple au double.

C’est que Voltaire travaille constamment à son texte, le manipule, le remanie sans cesse. Son histoire se veut d’ailleurs, à l’instar de celle de Pierre Bayle, une histoire critique. Elle s’insère dans la longue tradition de l’histoire antichrétienne (on songe à Pasquier et Mézeray), et a pour finalité de proprement déchristianiser l’histoire, de la rendre pleinement autonome. Si on voulait donner le « ton » du texte de Voltaire, on pourrait dire qu’il participe de l’esprit des salons de la Régence et reflète en même temps le militantisme philosophique des années 1760. Il comporte du reste deux « détonateurs » autour desquels s’articule la réflexion : la culpabilité de Calvin, exécuteur de Michel Servet, et la légende noire créée autour d’Amédée VIII, roi de Sardaigne, devenu pape sous le nom de Nicolas V. Deux détonateurs qui créeront autant de scandales, on le devine, à la cour de Turin et dans certaine petite république du bord du Léman.

Henri Duranton s’est interrogé à son tour sur la nature de l’historiographie. Il ne s’agit de rien d’autre, finalement, que d’historiens en train de regarder des historiens qui écrivent l’histoire… On pourrait naturellement aller loin, avec de telles mises en abyme ! C’est pourtant bien le passé qui saisit le présent, voire le modèle : on comprend alors l’intérêt de savoir comment le passé lisait le passé antérieur… histoire, par exemple, d’éviter de nouvelles rechutes. Ce qui est intéressant, en un mot, c’est le rôle prophylactique de l’historiographie.

Or la France de Louis XV possède la maîtrise du passé. Elle applique à la lettre les principes de Jacob-Nicolas Moreau pour qui toutes les forces vives de l’histoire du temps doivent être mobilisées au service de la monarchie. Elle montre combien essentiel est le rôle de l’historiographie, appelée à nous redire comment un temps se révèle dans la manière dont il exprime le passé. C’est d’ailleurs en cela, a conclu M. Duranton, que le volume présenté par M. Gembicki fait sens –volume dont il rappelle qu’il a vu naître, au cours des quarante ans d’amitié qui le lient à l’auteur, quelques essais premiers.

Bronislaw Baczkó a rappelé, de manière amusée, que Voltaire déchirait parfois les coins de pages des livres qu’il parcourait, afin de noter les morceaux qui l’intéressaient : encore réservait-il ce traitement aux pamphlets contemporains, et respectait-il les ouvrages du seizième siècle… Plus sérieusement, deux questions se posent : celle, d’abord, des Annales de l’Empire (et le travail de Dieter Gembicki sur les Annales de l’Empire est beaucoup plus impressionnant encore, ajoute t-il, que celui qu’il a accompli sur l’Essai sur les mœurs) et celle de la définition de l’historien.

En effet, si l’on consulte l’Encyclopédie, on constate qu’il y a bien une histoire, mais pas d’historiens. Le Dictionnaire de l’Académie de 1762 est quant à lui assez laconique : l’historien est « celui qui écrit l’histoire ». Cette définition reste stable jusqu’au Littré, qui cite timidement Bossuet et Voltaire, mais ne s’aventure guère au-delà. Autrement dit, ceux que Dieter Gembicki traite comme historiens ne sont pas considérés comme historiens à l’époque…

Dieter Gembicki le confirme : l’étude lexicographique va tout à fait, si l’on peut dire, dans le sens de l’histoire. Cette conception figée et très problématique de l’historien n’évoluera que dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. S’agissant des Annales de l’Empire, l’auteur rappelle que Voltaire a rédigé ce texte dans le dénuement : il avait à la fois peu de temps et peu de livres. Il émet l’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir d’une collaboration qui remonterait au temps de Frédéric II. Toujours est-il que les Annales ont eu mauvaise presse.

On leur trouve toutefois quelques défenseurs, à commencer par Frédéric II lui-même et la revue britannique intitulée Gentlemen’s library, qui y voit un habile discours philosophique sur l’empire allemand. Voltaire a repris son texte à plusieurs reprises, ce qui montre que s’il s’agissait bien d’un enfant quelque peu bâtard, ce n’était sûrement pas, et ce n’a jamais été, un enfant abandonné.

Prochaine rencontre : jeudi 25 septembre à 18h30

Danielle Buyssens, La Question de l’art à Genève : du cosmopolitisme des Lumières au romantisme des nationalités, La Baconnière Arts, 2008.



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© IMV Genève | 15.07.2008