La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
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Voltaire : une affaire de style

 

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C’est dans le cadre de la série « L’IMV vous livre ses auteurs » que nous avons reçu, le lundi 23 février dernier, Anne-Marie Garagnon, qui présentait son ouvrage Cinq études sur le style de Voltaire, paru aux éditions Paradigme. Anne-Marie Garagnon a prononcé la petite allocution suivante :

Ce livre, intitulé Cinq études sur le style de Voltaire, n’est pas né d’une idée préconçue ou d’un projet d’ensemble, mais d’une série de circonstances particulièrement heureuses.

François Jacob, sans qui l’ouvrage n’aurait pas vu le jour et que je tiens à remercier pour la sollicitation initiale, l’accompagnement attentif et l’accueil généreux dans la collection « Références » qu’il dirige aux éditions Paradigme, m’a invitée ici à trois reprises pour une conférence, dans le cadre des manifestations annuelles appelées « Nuits des Délices » :

  • une première fois, en juin 2005 et lors de la commémoration du deux cent cinquantième anniversaire du désastre de Lisbonne, pour travailler sur le long poème didactique et protocole compassionnel que Voltaire écrivit alors. Cette œuvre de 234 vers, quoiqu’un peu oubliée aujourd’hui, reste historiquement un « événement européen » dont on peine à se représenter l’importance et l’une des pièces majeures du débat sur l’origine du mal que suscita le tsunami de 1755, chez les philosophes, poètes, prédicateurs, gens de théâtre et savants.
  • une deuxième fois, en septembre 2006 et dans la thématique d’une expression de « l’humain », pour l’étude de l’article Martyre du Dictionnaire philosophique, paru en 1765. À l’image de l’entier du Dictionnaire dit « portatif », si polémique et si corrosif, l’article Martyre va de la satire antireligieuse au réquisitoire contre toute forme de violence. Il permet de voir comment Voltaire met à profit, dans sa « lutte contre l’Infâme », toutes les formes d’écriture, les siennes propres, celles de la tradition, celles aussi de la mode et de la modernité.
  • une troisième fois, en juin 2007 et en relation avec l’exposition « L’Égypte des Lumières », pour parler du chapitre final du Taureau blanc. Ce passage de conclusion du conte de 1774 invite à réfléchir sur les techniques du genre, mais aussi sur l’orientalisme voltairien, où le goût de l’exotique et du merveilleux ne laisse jamais oublier la leçon de relativité des croyances.

Ces conférences correspondent à trois chapitres, auxquels j’ai ajouté, pour approfondir et systématiser les problématiques, l’examen de l’article Enthousiasme du Dictionnaire philosophique et celui de l’incipit de L’Ingénu : deux occasions complémentaires de voir que, zélateur d’une religion tempérée et pacifique, Voltaire est aussi l’un de nos plus grands observateurs de la langue et de la littérature, et que, passant de Tanis et des rivages du Nil aux lointains du Canada ou à la fausse familiarité d’un canton de Basse-Bretagne, il conserve le même regard acéré, la même ironie décapante et cette écriture entre toutes reconnaissable, modèle des écritures ultérieures, même chez les écrivains qui ont voulu s’y soustraire.

C’est donc du Voltaire de la maturité et de la vieillesse qu’il s’agit. Il a soixante-deux ans lors de la parution du Poème sur le désastre de Lisbonne, quatre-vingts, quand il publie Le Taureau blanc. Il a découvert la nature et la vie rustique aux Délices de 1755 à 1760, puis à Ferney, en 1760. Sa fonction de « seigneur de village » et sa « retraite frénétique » (selon la formulation de Raymond Naves) ne l’empêchent nullement de correspondre avec l’Europe entière, de rester en première ligne de la bataille philosophique, de mener ses combats d’idées et de société, obtenant la réhabilitation de Jean Calas ou réclamant la révision du procès du jeune chevalier de La Barre.

Voltaire poète, Voltaire conteur, Voltaire amateur d’une « rhétorique du discontinu », voilà trois facettes du talent de celui qui disait : « Moi, j’écris pour agir » (sous-titre de la biographie qu’a proposé Max Gallo, en 2008, chez Fayard) ou encore : « … je suis devenu hardi avec l’âge ; je ne peux plus écrire que ce que je pense, et je pense si librement qu’il n’y a guère d’apparence d’envoyer mes idées par la poste » (sous-titre que j’ai moi-même emprunté à une lettre de Voltaire à Mme Du Deffand et qui rappelle, outre le jeu nécessaire avec la censure, les dangers réels de l’aventure éditoriale au XVIIIème siècle).

L’écriture-action de Voltaire a fait l’objet de quelques études synthétiques, comme celle de Jeanne Monty ( Étude sur le style polémique de Voltaire, SVEC, 120, 1974), celle de Jean Starobinski (Le Remède dans le mal, Paris, Gallimard, 1989), celle de Marc Bonhomme (« L’argumentation métonymique chez Voltaire », chapitre VI de sa Pragmatique des figures du discours, Paris, Champion, 2005).
Elle a été plus analytiquement examinée sur des fragments ou morceaux choisis, qu’il s’agisse d’un type de lieu rhétorique (par exemple, les incipit ou les clausules du Dictionnaire philosophique, par Marie-Hélène Cotoni), d’une notion ou d’une tonalité , comme l’humour et l’ironie (« Aspects rhétorico-argumentatifs de l’ironie chez Voltaire », par Jean-Jacques Robrieux), de la place qu’occupe Voltaire dans l’histoire des genres et des sous-genres (par exemple, le rapport entre « Philosophie et écriture brève » par Christiane Mervaud), ou encore d’un extrait de texte, saisi dans sa production et son dynamisme interne.

C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit l’ouvrage que j’ai le plaisir et l’honneur de vous présenter :

  • cinq textes dont le découpage s’impose naturellement (article Enthousiasme du Dictionnaire philosophique, chapitre final du Taureau blanc) ou relève d’un sorte d’arbitraire pédagogique (moments privilégiés du Poème sur le désastre de Lisbonne, extrait de l’article Martyre, partie centrale du chapitre liminaire de L’Ingénu).
  • cinq textes apparaissant comme autant de balises dans l’immense polygraphie voltairienne et permettant, tels des lieux ouverts et mouvants, d’entrer dans la fabrique de l’œuvre, de reconquérir avec elle une familiarité parfois perdue, de traquer, sur pièces ou sur documents, une liberté et une vérité expérimentales, d’essayer de mieux lire un classique comme Voltaire pour mieux penser avec lui.
  • cinq textes enfin, regardés à travers une méthodologie « stylistique »

Concluons donc, non sur le style, mais sur la stylistique, définie comme « l’étude des conditions verbales, formelles, de la littérarité » si l’on reprend la formulation de Georges Molinié. C’est une discipline, ou plutôt une pratique, souveraine dans la décennie 1950-1960, puis, dans les années quatre-vingts, menacée sur ses entours par l’apparition et le développement de sciences nouvelles, comme les linguistiques de l’énonciation ou l’analyse conversationnelle. Émergeant ou renaissant vers 1990, elle n’a cessé de se battre, et se bat encore, contre des détracteurs qui lui reprochent aussi bien le « terrorisme » d’une herméneutique qui chercherait le fantôme ou le fantasme d’une « forme-sens », que son incapacité à se construire en secteur scientifique autonome.
Elle présente pourtant l’humilité et la dignité des vraies sciences humaines.

  • Elle a un objet, le texte littéraire, comme discours à la finalité esthétique, discours produit et reçu, ce qui légitime qu’on se situe sans cesse dans un mouvement de va-et-vient entre la création et la réception, et qu’on associe le subjectivisme et l’effort de volonté descriptive.
  • Elle se sert d’outils (lexicaux, syntaxiques, rhétoriques, métriques, pragmatiques, …) pour dégager, non « un sens », encore moins « le sens », mais « du sens », coélaboré par l’auteur et par son lecteur et à son tour amendable et dépassable, dans une conception moins substantialiste que constructiviste de la tradition interprétative.
  • Elle revendique une multiplicité de « pères fondateurs », d’Aristote au Groupe µ, de « l’étymon spirituel » de Leo Spitzer au structuralisme du franco-américain Michaël Riffaterre, de Jakobson à Genette. Elle compte d’innombrables réalisations et applications, qui, par delà les années, continuent de faire autorité comme Le Langage dramatique de Pierre Larthomas (1980).

Qu’aurait dit Voltaire des stylisticiens enquêteurs et artisans ? J’ai la témérité, et sans doute la vanité, de penser qu’il les aurait sans doute classés parmi ceux que, dans son célèbre article de L’Encyclopédie, il appelle « Gens de lettres » et qu’il aurait pu écrire à leur propos :

« Ce mot répond précisément à celui de grammairiens chez les Grecs et les Romains : on entendait par grammairien, non seulement un homme versé dans la Grammaire proprement dite, qui est la base de toutes les connaissances, mais un homme qui n’était pas étranger dans la Géométrie, dans la Philosophie, dans l’Histoire générale et particulière ; qui surtout faisait son étude de la Poésie et de l’Eloquence ».



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© IMV Genève | 07.04.2009