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Une
fois n’est pas coutume : nous présentons
aujourd’hui à la sagacité de nos lecteurs
un très mauvais texte critique. Il émane
de Léon Vernier, maître de conférences à la
faculté des lettres de Besançon à la fin
du dix-neuvième siècle. Il s’agit même
de sa thèse présentée, nous précise
la page de garde, « à la faculté des
lettres de Paris. » Le sieur Vernier est donc encensé des
lauriers de la ville lumière.
Las !
Le propos est bien sombre ! L’extrait suivant en donnera
un petit aperçu. Le docteur Vernier se propose d’étudier
quelques caractéristiques linguistiques propres à Voltaire
et, dans le sixième chapitre, intitulé « Les
figures », d’entrer un peu plus avant dans l’analyse
stylistique de sa prose et de sa poésie.
Voltaire,
qu’on se le dise, est à la fois le Descartes et
le Boileau de l’écriture. Toute innovation est rejetée,
tout écart gommé, toute nouveauté honnie.
Comprenez : Voltaire est un écrivain de son époque,
loin des maîtres parnassiens du verbe ou des enivrantes
fumées baudelairiennes. Mais ce n’est pas tout !
Le lecteur édifié apprend que telle formule employée
par Voltaire « ne semble pas représenter exactement
l’opinion de son auteur » ! On se doutait
bien que le patriarche était un peu faible d’esprit :
savait-il exactement ce qu’il disait ?
Les
lecteurs intéressés par les fariboles de Léon
Vernier peuvent consulter son Etude sur Voltaire grammairien
et la grammaire au XVIIIe siècle,
parue en 1888 aux éditions Hachette, sous la cote F Vernier
1888/1. Nous leur souhaitons bon courage.
Chez
Voltaire, on retrouve partout le goût de la clarté,
de la simplicité, la haine du néologisme… « Un
terme hasardé est peu de chose », avait écrit
Desfontaines, « c’est le tour affecté des
phrases, c’est la jonction téméraire des
mots, c’est la bizarrerie, la fadeur, la petitesse des
figures qui caractérisent surtout le néologue,
et lui donnent un faux air d’esprit auprès de ceux
qui n’en ont guère ». Voltaire était
d’accord avec son ennemi pour condamner les « marieurs
de mots l’un et l’autre étonnés »,
les beaux esprits qui appelaient un chou un phénomène
potager et pour qui un cadran devenait un greffier solaire ;
et il se faisait son allié pour attaquer l’enflure,
l’impropriété, la bassesse et l’incohérence
dans l’emploi des figures et principalement des métaphores.
Mais au lieu d’employer l’ironie et le sarcasme,
il cherche à établir un principe sain et naturel,
qui doit servir de guide aux écrivains : « Toute
métaphore qui ne forme point une image sensible est mauvaise,
c’est une règle qui ne souffre point d’exception… Toute
métaphore, pour être bonne, doit fournir un tableau, à un
peintre » : telle est la doctrine énoncée
plusieurs fois dans le Commentaire sur Corneille. Cette
théorie n’est probablement que l’exagération
d’une règle qui avait été donnée à Voltaire
par ses maîtres. Il suffit pour la réfuter de penser à l’étrange
galerie qu’on pourrait faire en essayant de représenter
les figures les plus usitées. Au reste jamais une loi
pareille n’a été observée par aucun
peuple ni par aucun auteur, ni par Voltaire lui-même. Quel
tableau pourrait-on faire de ces vers où, dit-il, les
métaphores portent un caractère sensible de vérité :
Ce colosse effrayant [Rome] dont
le monde est foulé,
En pressant l’univers est lui-même ébranlé.
(La Mort de César)
Votre hymen est un nœud qui
joindra les deux mondes.
(Alzire)
Cependant,
si l’on en croit l’auteur d’Alzire,
cette dernière image présente « un magnifique
spectacle à l’esprit » et « il
est rare que l’exacte vérité se trouve jointe à tant
de grandeur. » Mais Voltaire a été obligé de
modifier sa règle quand il a voulu la défendre.
Il n’a pas voulu parler, dit-il, des métaphores
qui sont devenues des expressions vulgaires reçues dans
le langage commun ; mais de celles qu’un poète
invente, et il veut « qu’elles soient toujours
justes et pittoresques. » Ici, comme on le voit, il
n’est plus précisément question de tableau.
D’ailleurs, la formule qui apparaît pour la première
fois dans les Remarques sur Héraclius ne semble
pas représenter exactement l’opinion de son auteur ;
c’est dans les applications et les exemples qu’il
faut aller chercher sa véritable pensée.
Le commentateur
de Corneille veut d’abord qu’on respecte les métaphores
en usage. Les poètes se permettent parfois de renouveler une expression
commune en remplaçant par un synonyme plus énergique
un des mots qui le composent. Ainsi les Latins disaient degere aevum ou ducere
vitam : Voltaire semble ne pas vouloir admettre ces
tournures si propres à enrichir une langue et à la rendre poétique,
parce que sont là des fautes inutiles contre l’usage.
Ainsi on
ne doit pas prêter l’esprit comme on dit prêter
les yeux.
On tranche
la vie, on ne tranche point un sort.
On ne rejette
point des alarmes comme on rejette une faute, un soupçon.
On détourne,
on calme un orage ; on s’y dérobe, on le brave ;
on ne le vainc pas.
On ne dégénère
point d’un rang.
On ne peut
jeter une loi comme on jette de l’opprobre, de l’infamie, du ridicule.
Dans ces cas jeter rappelle l’idée de quelque souillure dont on
veut physiquement couvrir quelqu’un ; mais on ne peut couvrir un
homme d’une loi.
On ne peut
remettre en éclat, on donne de l’éclat ; on met en
lumière, en évidence, en honneur, en son jour…
Toutes
ces expressions nouvelles sont condamnées au profit de
celles qui sont devenues le mot propre. Voltaire croit que ces
dernières seules sont conformes à la logique.
(Etude
sur Voltaire grammairien et la grammaire au XVIIIe siècle,
1888, p. 108-111).
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