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Par Luc Jorand

Au sein des activités proposées lors de la série d’événements intitulée Genève meets New-York figurait une présentation du roman de Jean-Michel Olivier, L’amour nègre (éditions de Fallois, L’Âge d’Homme, 2010).

Je ne savais, avant d’aborder le roman et son auteur, que trois choses. D’abord L’Amour nègre avait obtenu le prix Interallié 2010 ce qui, dans mon esprit, jouait fortement contre lui : la plupart des romans primés par les Goncourt, les Fémina ou les Interallié, ces légions d’honneur de la république des Lettres (encore plus misérables que les breloques distribuées par la République Française, lors d’affligeantes «promotions», à une armée d’histrions) sont en général une insulte à l’intelligence. Ils participent de cette éradication de la culture, de cette mise à plat du goût des lettres qui caractérise malheureusement notre époque et fait qu’on ne nivelle plus aujourd’hui par le bas, mais bien par le fond.

Deuxième renseignement : Jean-Michel Olivier est genevois ! Et tout le monde de crier au miracle : c’est la première fois, en effet, depuis Ramuz (mais oui, vous savez, Ramuz, celui qui a écrit Derborence… non, ça ne vous dit rien ?) qu’un auteur suisse romand est adulé en terre parisienne. À cela je répondrais que, considérant ce qui vient d’être dit dans le paragraphe précédent, il faudrait d’abord se méfier de ladite adulation. Mais il faudrait surtout se rappeler que la Suisse romande a donné naissance à des écrivains qui n’ont absolu rien à envier à ce qui s’est produit, au même moment, à Paris –à moins, bien sûr, de préférer les élucubrations fantaisistes, autant dire les foutaises, d’un Breton ou d’un Éluard aux œuvres du regretté Pierre Girard ou à celles d’un Gustave Roud, d’un Henri de Ziegler, d’un… Arrêtons-là : la liste est longue.

Troisième renseignement : le roman a dû essuyer, lors de sa sortie, des critiques mitigées. Justement, je viens d’en retrouver une si savoureuse que je ne résiste pas au plaisir de la faire partager aux milliers de lecteurs de la Gazette des Délices. Elle émane de Marie Maurisse, correspondante du Figaro en Suisse, dont la présentation, sur le blog « suisse » de ce célèbre quotidien, nous inquiète déjà : « Jeune journaliste française, Marie Maurisse a découvert la Suisse en 2008. Après avoir embrassé les problématiques sociales helvètes pour le magazine local L'Hebdo, elle a choisi de rester vivre au pays de Guillaume Tell ». Tout y est : il ne manque plus que les flèches et le carquois. Reste à savoir si la condescendance par trop manifeste de cette courte présentation déteint sur les jugements de notre « jeune journaliste ». Écoutons-la :

« L'amour nègre ». Rien que le titre m'emballait. Le roman avait reçu le fameux Prix Interallié et j'avais entendu son auteur à la radio, qui, passionnant, racontait l'objet de son livre: l'histoire d'un petit Africain adopté par un couple de stars hollywoodiennes. Le petit Moussa, enfant projeté dans le monde fou et factice du cinéma américain. Les critiques étaient dithyrambiques et en plus, Jean-Michel Olivier est Suisse, originaire de Genève. Avant de l'avoir lu, j'aimais ce livre.

Rien de plus indiqué, on en conviendra, que d’aimer un livre avant de le lire. Mais on se demande alors pourquoi l’ouvrir : car enfin, on ne pourra qu’être déçu… Il eût mieux valu que la dame Maurisse se déclarât d’emblée horrifiée par le caractère convenu du roman, par ses thèmes éculés, par tout ce qui pouvait faire qu’on le rejetât avant même d’en avoir lu la première ligne : car le simple fait de l’ouvrir devenait alors un trait de courage, la lecture de la première ligne, puis de la première page un acte d’héroïsme, et la critique finale, évidemment élogieuse, un véritable miracle. Un de plus.

Mais non. Rien de tout cela. Non seulement la dame Maurisse se dit « déçue », mais elle n’y va pas par quatre chemins : « je trouve que c’est un mauvais roman ». Reconnaissons-lui de prévenir son lectorat qu’il s’agit là d’un avis « totalement subjectif et personnel ». Mais pourquoi, dès lors, vouloir développer les « raisons » de sa « déconvenue » ? Et depuis quand s’avise-t-on de justifier par la raison ce qui, défini comme subjectif, cherche précisément à lui échapper ?

Premier défaut : la voix du jeune Moussa est « artificielle, quand elle n’est pas vulgaire ». D’ailleurs, « le rythme est toujours le même et les descriptions sont bâclées ». Deuxième défaut (rassurez-vous, je me contenterai de quelques-uns car, là aussi, la liste est longue) : « Moussa vient de la tribu des M'mo, située quelque part en Afrique, qui pratique encore des rites sauvages et cruels. Là encore, l'intention de Jean-Michel Olivier est perceptible: montrer la différence entre le monde de Moussa et celui qu'il va rejoindre. Le contraste pauvreté-paillettes. Mais les descriptions sont si caricaturales, que l'effet fait plouf. » On retiendra cette expression « faire plouf », dont je n’avais pas imaginé pour ma part, et Jean-Michel Olivier non plus, sans aucun doute, qu’elle dût jamais servir à façonner la critique d’un roman, dût-elle être publiée dans le Figaro.

Mais le troisième défaut est le plus critiquable : «  Celui que Jean-Michel Olivier décrit comme Jack Malone est George Clooney. Dans le livre, il vit sur une île déserte, n'a pas de petite copine attribuée et passe ses journées à méditer. Moussa va vivre avec lui après avoir été abandonné par BradAngelina (il avait mis enceinte sa soeur et coupé la main d'un invité). Puis il s'échappe de l'île Nespresso et rejoint Maputo, et enfin, Genève. Je ne dévoile pas les ressorts du pitch pour les futurs lecteurs mais je l'affirme: le scénario est mauvais. Les aventures du héros s'enchaînent sans lien, sans queue ni tête. Ses aventures sont vraiment invraisemblables. »

Ce qui affleure dans ces trois reproches, c’est –et le mot est enfin vomi, dans un dernier soubresaut, en fin de course- le manque de vraisemblance. Qu’a donc cet Olivier à faire du sacro-saint héros des midinettes caféinomanes un « Jack Malone » à peine digne d’une bande dessinée ? Pourquoi ne fait-il pas parler le petit Moussa comme parlerait effectivement un enfant de son âge ? Ah, on est loin du What Maisie knew de Henry James ! Et pourquoi opère-t-il des contrastes si saisissants qu’ils viennent gêner le regard si délicat et le palais si subtil de telle lectrice du Figaro, aujourd’hui cantonnée en Helvétie ?

Des critiques plus sérieuses ont rappelé la parenté de L’amour nègre et de Candide. Non certes que Jean-Michel Olivier se soit jamais pris pour Voltaire : mais la satire, dans l’un et l’autre cas, est fondée sur l’absence de tout réalisme, sur le fait que toute réalité, ou tout rapport à la réalité soient destinés à « faire plouf » (utilisons le langage de la critique contemporaine). C’est ce que je compte précisément explorer dans le prochain numéro de la Gazette. J’arrête là pour aujourd’hui et me contente, en guise de conclusion, de donner à voir quelques images de Jean-Michel Olivier lors d’une présentation de son roman en mars dernier : à ses côtés, Olivier Delhoume, co-organisateur de la manifestation Genève meets New-York.

 


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© IMV Genève | 21.05.2012