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Lisbonne : une ville en mutation(s) ?
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par
Flávio Borda d’Agua
Nous entrons, s’agissant de notre exposition temporaire,
dans la dernière ligne droite. La date approche en effet
de la commémoration du deux cent cinquantième anniversaire
de ce terrible événement, le 1er novembre, aux Délices.
N’est-ce pas le moment d’évoquer, en-deçà
de la querelle philosophique à laquelle le désastre
a donné lieu, les premiers témoignages des convulsions
terribles auxquelles fut soumise la ville ? Et ne peut-on en profiter
pour tenter de s’interroger, une dernière fois, sur
l’identité réelle de la capitale portugaise
?
Lisbonne souvent appelée
Ville Blanche est loin d’avoir une histoire paisible et
tranquille. La plus grande bataille qu’elle a dû livrer
est sans nul doute le tremblement de terre de 1755. Comment la
ville a-t-elle réussi à se redresser et à
poursuivre sa vie pour être aujourd’hui une des plus
grandes capitales européennes ? Comment ce fleuron commercial
des XVe et XVIe siècles s’est-il donné les
moyens de revivre, en ce début de XXIe siècle, une
nouvelle heure de gloire ?
A la fin du XVIIIe, l’or
du Brésil est à l’origine de la construction
de nombreux palais et édifices fastueux. Le 1er novembre
1755, alors que tout le monde se prépare à commémorer
la fête de la Toussaint, un énorme tremblement de
terre, puis un raz-de-marée et un incendie frappent Lisbonne.
C’est un triste spectacle auquel on assiste, selon Miguel
Tibério de Pedegache (1). Les femmes sont pratiquement
nues, les enfants couverts de sang, les gens âgés
recouverts de cendres et de poussière courent partout dans
les rues. Certains corps sont défigurés par la mort
et éparpillés partout. Les religieux avec des croix
entre les mains, semblables à des images de saints, parcourent
les rues afin d’exciter le peuple terrorisé à
faire pénitence. Les temples sont par terre, les palais
sont en ruines et un grand nombre de malheureux sont ensevelis
sous les décombres.
Ce cataclysme naturel frappe
Lisbonne à plusieurs reprises et sous plusieurs aspects.
Quand nous parlons de punition divine c’est surtout grâce
aux divers éléments naturels qui frappent la ville.
L’eau, la terre, l’air et le feu frappent simultanément.
Les divers rapports mentionnent également un grand vent
qui aide à la déflagration des divers incendies.
C’est le chaos. Comment en l’espace de cinq minutes
cette ville a-t-elle pu être détruite ? Dans les
gravures de Le Bas (1756), nous sommes interpellés par
la beauté des ruines, s’il est possible de dire que
des ruines soient belles. Ces gravures faites d’après
les dessins et les brouillons de Pâris et Pedegache montrent
que tout est détruit. Il faut tout recommencer.
Toutefois, quand nous disons
que tout est détruit, c’est également une
exagération. Lisbonne a effet vu toute sa partie basse
détruite. Certains palais et monuments sont restés
debout. Ils sont actuellement à l’intérieur
de la ville, mais ils se trouvaient à l’époque
en périphérie. Un bon exemple est l’aqueduc
des Aguas Livres, construit quelques années avant
la catastrophe et qui restera debout, permettant ainsi d’acheminer
de l’eau propre à la capitale portugaise, même
après le 1er novembre 1755 (2).
Pedegache dit avoir observé
plusieurs tremblements de terre et affirme qu’ils sont la
plupart du temps précédés de bruits énormes
venant du sous-sol. L’amplitude de la catastrophe immortalise
ainsi, et selon Pedegache, les leçons que nous pouvons
tirer des Théories de la Terre de Buffon. La nature
ne s’en sort pas indemne. Il nous est par exemple rapporté
que les marées n’ont pas eu un cours régulier
durant les quinze premiers jours de novembre. Les répliques
ne cessent de se reproduire mais, bien évidemment, à
une magnitude inférieure.
Hormis la comparaison faite
entre les théories de Buffon et le tremblement de terre
de Lisbonne, ce qui est curieux, dans le texte de Pedegache, ce
sont les projections et le calcul effectués. Pedegache
explique ainsi que Lisbonne est fondée sur un terrain de
minerais et que la grande quantité de bains chauds que
nous y trouvons est une preuve de la présence possible
de tremblements de terre. Il fait alors un recensement des divers
tremblements de terre dans la ville. Seuls trois ont une amplitude
catastrophique : ceux du 23 février 1309, du 7 juin 1575
et du 1er novembre 1755. Ces trois époques donnent alors
lieu à une hypothèse, « que certains penseront
extravagante, mais qui est fondée. Il se présume
que dans les années 1977 jusqu’en 1985, il y aura
un grand tremblement de terre au Portugal ».Il est vrai
que cette prévision est quelque peu farfelue, mais il s’avère
aussi que le 28 février 1969, le Portugal a été
frappé par un tremblement de terre d’une magnitude
aussi élevée que celui de 1755.
Mais revenons un moment sur
la destruction de Lisbonne, avec le texte de José de Oliveira
Trovão e Sousa (3). Trovão e Sousa répond
à un ami qui lui demande de raconter les événéments
du premier novembre 1755. Il mentionne qu’il est impossible
d’écrire ce dont il a été témoin.
C’est une catastrophe horrible que les mots ne peuvent illustrer.
Tout comme Pedegache il fait partir le tremblement de terre d’un
énorme bruit souterrain, puis sept minutes plus tard la
terre tremble violemment à trois reprises, détruisant
ainsi pratiquement toute la ville. La peur, la mort, la blessure
règnent dans les rues. Les temples, les palais, la Patriarchale
et son trésor sont détruits.
Le tremblement de terre n’a
toutefois pas totalement détruit la ville : selon Trovão
e Sousa, ce sont la grande vague (tsunami) et le feu
qui anéantissent tout ce qui est encore debout. Lisbonne
voit quand même ses archives nationales et la maison de
la monnaie échapper au feu et à l’eau. Ces
bâtiments s’en sortent avec quelques « lézardes
».
A l’instar de Pedegache,
Trovão e Sousa fait également une chronologie des
tremblements de terre du Portugal. A croire que Pedegache aurait
pu s’inspirer du texte de Trovão e Sousa pour écrire
sa relation, voire que le destinaire de cette lettre soit Pedegache
lui-même (4).
Ce n’est pas seulement
la capitale qui est concernée au Portugal, toute la côte
de l’Alentejo et l’Algarve sont touchés. En
Algarve, les villes de Faro, de Silves et de Lagos auraient été
anéanties, alors que dans la province de l’Alentejo,
la destruction aurait été moins considérable
mais les villes d’Evora, de Beja, d’Elvas sont victimes
de destructions.
Lisbonne se doit alors d’être
un phénix et renaître de ses cendres. Tout est à
faire, mais comment ? Avec quels moyens ? Comment une ville aussi
prospère qu’elle l’était est-elle arrivée
à un tel point de destruction ? C’est un des grands
débats qui va être lancé en Europe à
la suite du cataclysme. Les avis vont se partager entre punition
divine et loi de la nature. Entre les partisans de Voltaire et
de Rousseau, pour ne citer que les plus importants.
Un homme, Sebastião
de Carvalho e Mello, va sortir du lot des ministres du roi pour
établir en quelques heures une série d’ordonnances
visant le rétablissement de l’ordre à Lisbonne.
Il aura également établi, en quelques mois, le plan
de reconstruction de la capitale portugaise et de certaines villes
de l’Algarve, notamment Vila Real de Santo António.
La Baixa Pombalina
est le plus grand témoin de la reconstruction et de la
« renaissance » de Lisbonne. Au XIXe siècle,
le libéralisme introduit une nouvelle vie sociale. Les
« libéraux » vont alors se réunir
dans la zone qui a été reconstruite et un grand
développement commercial va renaître à son
tour. C’est l’époque des « grands
boulevards », de l’apparition des maisons de
tabac, des cafés, des librairies, des clubs et des théâtres.
La période dictatoriale, appelée aussi Estado
Novo (1926-1974) va apporter du renouveau à Lisbonne,
elle se verra agrandie et embellie au détriment du reste
du pays. Le développement est fait selon l’idéologie
nationaliste et monumentale. Lisbonne accueille ainsi une nouvelle
zone de loisir grâce à l’Exposition du Monde
portugais (1940) : Belém. La plus grande œuvre entreprise
à cette époque là est bien entendu la traversée
du Tage avec le Pont du 25 Avril (à son inauguration le
pont avait le nom de Pont Salazar).
Avec la fin de la dictature
en 1974 c’est l’ouverture aux « années
folles » et à la modernisation. Lisbonne se
voit dès lors pourvue de travaux de grande envergure, avec
réhabilitation des zones historiques, valorisation des
patrimoines culturel et architectural. Toute la zone des bords
du Tage est récupérée et transformée
en une zone de loisir. Lisbonne devient en 1994 capitale européenne
de la culture et accueille en 1998 l’exposition internationale
sous le thème « Les Océans, un patrimoine
pour le futur ». Toute la zone orientale de Lisbonne
est modifiée. Lisbonne entre dans le XXIe siècle
et montre son visage de ville contrastée par le temps,
moderne et antique à la fois.
« Lisbonne ne
se voit pas, on la sent : on regarde les navires qui arrivent
et qui repartent ; on parcourt les ruelles des sept collines,
on observe les gens qui passent, l’odeur de la sardine grillée
qui relient les quartiers pittoresques pendant la période
des fêtes populaires. (5) » Lisbonne c’est le
Fado, qui s’entend, qui chante, Lisbonne, c’est la
Saudade, un passé et un futur. A croire que le 1er novembre
1755 c’était jadis, voire naguère ou bien
plus loin encore.
________________________________________
(1) Nova e fiel relação do terramoto que experimentou
Lisboa e todo o Portugal, no 1 de novembro de 1755 com algumas
observaçoens curiosas, e a explicação das
suas causas por M[iguel] T[ibério] P[edegache], Lisboa,
na oficina de Manoel Soares, 1756. [Centre Culturel de la Fondation
Calouste Gulbenkian (Paris), n° inventaire 1497].
(2) Idée issue de la conférence
d’Hervé BAUDRY tenue aux Délices le 7 septembre
2005, à paraître prochainement dans un volume des
Voltairiana sur le tremblement de terre.
(3) José de Olivieira Trovão e Sousa, Carta
em que hum amigo dá noticia a outro do lamentavel sucesso
de Lisboa, Coimbra, Oficina de Luis Secco Ferreira, 1755.
. [Centre Culturel de la Fondation Calouste Gulbenkian (Paris),
n° inventaire 1494].
(4) Les recherches pour l’élaboration de cet article
n’ont pas abouti à un résultat concret sur
cette question.
(5) Site Internet de la municipalité de Lisbonne www.cm-lisboa.pt
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