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Portrait de Voltaire à l’âge de vingt-quatre ans : une nouvelle hypothèse
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Nous avons reçu de Michelle Lespes, historienne de l’Art, doctorante sur le peintre Jacques-André Aved (1702-1766) à l’université de Paris IV Sorbonne, la contribution suivante. Mlle Lespes propose une nouvelle théorie quant à l’attribution du Portrait de Voltaire à l’âge de vingt-quatre ans, communément attribué à Nicolas de Largillière.
On lira de Michelle Lespes deux intéressantes publications complémentaires : « Portraits de Stanislas, ou Pour une vision du réel », dans Stanislas, roi de Pologne en Lorraine, catalogue de l’exposition de Nancy, mars 2005, pp. 99-104 ; et « Le peintre Aved et la Cour de Stanislas » dans la Revue du Pays Lorrain n°3, septembre 2005, pp. 167-176.

Le portrait de Voltaire dont Théodore Besterman fit don à l’Institut et Musée Voltaire de Genève en 1953 est d’autant plus intéressant qu’il a été catalogué de manière plutôt arbitraire comme une œuvre médiocre, car tout simplement méconnue : voir à ce sujet le catalogue de l’exposition Largillière qui s’est tenue au musée Jacquemart-André, il y a bientôt trois ans.

Les premiers portraits de Voltaire sont tous discutables, et le sont encore aujourd’hui… Or nos mémoires de dix-huitiémistes ont facilement oublié la présence prépondérante du peintre académicien Jacques André Joseph Aved (1702-1766), très tôt ami des philosophes et des gens de lettres de son temps. Peintre d’origine flamande, ayant séjourné en Ecosse et en Hollande, Aved devient vite leur peintre attitré, et leur ouvre largement son salon de gens de lettres à Paris, rue de Bourbon (actuelle rue de Lille), en son Hôtel des Théatins.

Protégé par de grandes familles du Saint Empire et par les plus grandes maisons de Paris sous la gouvernance du cardinal de Fleury, Aved se distingue très tôt par son génie précoce dans les plus grands ateliers parisiens, tels ceux de Rigaud, de Largillière, et de François de Troy… Aved est introduit dans le cénacle de Fontenelle et de Titon du Tillet, dans les salons de Mme de Tencin, de la duchesse du Maine, et de Mme de Lambert, quelques portraits oubliés en témoignent. Arouet n’est pas loin, son esprit caustique et ses fredaines sont déjà célèbres. De salon en salon, on lit ses épigrammes, ses farces et ses odes. C’est ainsi que passionné d’astronomie et de sciences physiques, le jeune peintre, dont le statut était déjà celui d’un grand bourgeois, attire très vite le regard du jeune Arouet, ce fringant jeune homme, au regard encore discret, sans trop d’impertinence, mais qui venait d’oser des ouvrages audacieux… On a aussi oublié que le peintre Aved était un familier de la Cour des Stuart en exil dont il peint les portraits… Voltaire, passionné d’anglomanie, devait se rapprocher, en ce premier temps de disgrâce, des cercles de Jacobites bien connus favorables au jeune artiste associé dès 1718 au peintre écossais Alexis-Simon Belle… Aussi, l’oeuvre des Délices est-elle sans doute un portrait de jeunesse du peintre Aved, et non pas une mauvaise copie de l’œuvre de Largillière. À noter que des branches de la descendance du peintre ont vécu en Suisse et en particulier à Genève. Les œuvres se sont malheureusement dispersées au gré des ventes.

Pensionné par le Régent en 1722,  Arouet était encore trop peu connu et peu argenté en 1718  pour s’offrir un  tableau chez le grand Largillière. On peut penser encore que Voltaire fut introduit par Aved dans l’atelier de  Largillière à son retour d’exil d’Angleterre autour de 1728-1730 pour obtenir un portrait plus flatteur donnant accès plus facilement à une position sociale dans le monde : Aved ne fut de l’Académie Royale qu’en 1731. Cependant, ce n’est que la tradition qui attribue le portrait de Versailles (M.V.8159) à Largillière, un tableau, en somme, très sophistiqué, dont l’artificialité déplaisait fortement à l’homme de lettres, alors que la figure des Délices, si elle est traitée avec une grande sobriété, se rapproche quant à elle davantage de la vérité. Le visage de Voltaire aux Délices empreint d’une froide douceur, déterminée, encore sous le poids de l’anathème, semble plus proche d’une humeur enfin assagie en apparence, teintée d’un brin de mélancolie, mais dont les dards du célèbre clin d’œil se prêtent déjà à la riposte, l’esprit nourrissant déjà de fastueux projets. Pour ce premier modello d’Arouet dont la veste n’a encore que trois boutons, il fallait bien l’intimité d’un jeune peintre de son entourage tel qu’Aved, rompu aux exercices de la peinture nordique, amoureux du souci du détail, pour introduire cette finesse psychologique dans les traits du futur Voltaire, une priorité appréciée de l’écrivain, et non pratiquée par Largillière dont la démesure de ses figures brillantes et souvent irréalistes ne s’accordait pas forcément aux idées de François Arouet de Voltaire… Mais le débat reste ouvert.

On peut donc penser sans beaucoup se tromper que Voltaire a souhaité le portrait peu onéreux d’un jeune peintre recherché pour son art naturel, à rapprocher du portrait de Watteau par Aved en 1721. La stylistique très particulière de l’œuvre des Délices doit être vue désormais comme l’empreinte d’un peintre débutant peignant un Arouet amoureux, dont le regard rêveur et lointain n’est pas celui, froid et impersonnel, du célèbre Largillière.

 


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© IMV Genève | 02.01.2007