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On
voit paraître de temps à autre, sur le marché des
autographes et manuscrits, des lettres de Voltaire à Frédéric
II, roi de Prusse, ou inversement des lettres de Frédéric à Voltaire,
tout aussi prisées par les chercheurs et les curieux.
C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, pour une
vente prévue le 12 novembre, la galerie Koller a proposé quatre
lettres de Frédéric à Voltaire, lettres
d’autant plus intéressantes qu’elles concernent
une période relativement pauvre en documents authentiques, à savoir
celle où Frédéric n’a pas encore accédé au
trône de Prusse et où il commence tout juste à entretenir
des relations épistolaires avec le célèbre écrivain.
Dans
la première de ces lettres, datée de janvier 1737,
Frédéric accuse réception de la tragédie
de Mérope : « Vous me faites
la plus jolie galanterie du monde ; je reçois un
paquet sous mon adresse, je reconnais et l’adresse et les
cachets, j’ouvre et je trouve Mérope, je
lis, je suis charmé, j’admire, et je suis obligé d’augmenter
l’obligation que je vous ai… » Le 27
août de la même année, nouvel enthousiasme
du futur monarque : « Monsieur, Césarion
[le baron Didier de Keyserlingk, favori du prince] m’a
transporté en esprit à Cirey, il m’en fait
une description charmante et ce qui me ravit au possible, c’est
qu’il m’assure que vous surpassez de beaucoup la
haute idée que je m’étais faite de vous. » Les
relations sont donc excellentes, et semblent promises à un
grand avenir. Dès le 29 septembre, l’échange
devient proprement philosophique : « j’apprends
plus par vos doutes, que par tout ce que le divin Aristote, le
sage Platon et l’incomparable Descartes ont affirmé si
légèrement. En philosophie ce sont des progrès égaux
ou de se découvrir de préjugés ou d’acquérir
de nouvelles connaissances : l’un éclaire,
l’autre instruit. » D’où cette
facile prédiction : « Les prêtres
ne vous choisiront certes pas pour leur panégyriste. » Mais
qu’importe ? Les « réflexions » de
Voltaire sont en effet « appuyées par le
témoignage irrévocable de l’histoire. » La
dernière lettre de ce lot, datée du 1er février
1738, présente quant à elle d’intéressantes
considérations politiques.
Recherche
faite, ces lettres ne sont pas inconnues des voltairiens, puisqu’elles
ont été retranscrites par Théodore Besterman
et respectivement publiées dans sa Correspondance
définitive sous les numéros D1367, D1373,
D1425 et D1439. Une note les affuble toutefois, chez Besterman,
du sigle « missing BpH », ce qui signifie
qu’elles ont été déclarées
manquantes à l’ancienne Brandenburg-preussisches
Haus Archiv de Charlottenburg, c’est-à-dire,
plus globalement, aux archives nationales allemandes.
Immédiatement
alertée, la galerie Koller a pris les mesures qui s’imposaient
et dépêché une enquête. Les résultats
en sont des plus intéressants : les lettres ont en
effet été volées par certain colonel et
dispersées en 1945 à Berlin-Est, où elles
ont été acquises, quelques années plus
tard, apparemment en toute innocence, par un collectionneur.
Ledit collectionneur étant récemment décédé,
ce sont ses héritiers qui mettent aujourd'hui ces lettres
en vente.
Sur
le plan légal, aucun motif juridique ne permettait de
contraindre lesdits héritiers de restituer ces lettres
aux archives d’état allemandes. Le délai
de prescription en droit suisse est en effet de trente ans pour
ce type d’affaires, et cela d’ailleurs uniquement
depuis juin 2005 et l’adoption d’une nouvelle loi.
Avant, c’était encore plus court : cinq ans
seulement, sous réserve de la mauvaise foi de l’acquéreur !
Après
quelques discussions, il a été néanmoins
décidé de restituer ces quatre lettres de Frédéric
aux archives d’état allemandes. Nous ne pouvons
que saluer ce geste des héritiers possesseurs de ces trésors,
les lettres étant estimées dans leur ensemble à près
de quatre-vingt mille francs. Saluons également l’initiative
et l’attitude exemplaires de la galerie Koller, qui a prouvé qu’elle
savait reconnaître la valeur hautement patrimoniale d’un
objet tel que celui-ci. A tous, au nom des institutions dont
nous avons la charge, nous adressons nos plus chaleureux remerciements.
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