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De la « bibliothèque patriarcale » à la « bibliothèque impériale » – Grimm, Wagnière, Mme Denis et l’acquisition de la bibliothèque de Voltaire par Catherine II

Par Christophe PAILLARD

Nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs une nouvelle contribution de Christophe Paillard, qui nous dévoile une lettre encore inédite de Grimm à Wagnière, relative au transfert de la bibliothèque de Voltaire à Saint-Pétersbourg après la mort du philosophe, en 1778. M. Paillard, bien connu des voltairistes, vient de se signaler par d’importantes contributions dans le dernier numéro de la Revue Voltaire.

L’histoire de l’acquisition de la bibliothèque de Ferney par Catherine II en 1778 et de sa translation à Saint-Pétersbourg en 1779 a été considérablement renouvelée ces dernières années. La publication de lettres inédites par S. Karp et dans le premier volume des Voltairiana, collection de l’Institut et Musée Voltaire (IMV) [1], certifie le « soin extrême » qui fut pris pour « assurer l’intégrité de la bibliothèque après la mort de Voltaire et avant son embarquement en Russie » [2]. Ces lettres attestent le rôle décisif joué en cette occasion par Jean-Louis Wagnière, « ancien secrétaire de feu M. de Voltaire » qui le servit pendant près de vingt-quatre ans à Prangins, Monrion, Lausanne, aux Délices et à Ferney, et qui commémora son souvenir pendant vingt-quatre années supplémentaires jusqu’à sa mort le 7 avril 1802. Devenu administrateur du « village de la Création voltairienne » [3] pour le compte de Mme Denis après la mort de son « maître », il emballa les douze caisses de la bibliothèque le 27 juillet 1778 et la déposa aux Délices le 7 décembre [4] ; il en prit livraison à Lübeck en juillet 1779, la déballa et l’établit au palais de l’Ermitage en octobre [5] avant d’en garantir l’intégrité et de dresser le premier inventaire connu des marginalia et manuscrits de Voltaire [6]. Qui, mieux que ce « dictionnaire vivant » de Voltaire est à même de témoigner de la métamorphose en « bibliothèque impériale » de la collection que la « Sémiramis du nord » surnommait la « bibliothèque patriarcale » [7]? Wagnière fut sollicité le 11 août 1778 par Mme Denis et par Friedrich Melchior Grimm, alias « M. le souffre-douleur », agent et factotum de la tsarine qu’elle avait chargé de négocier l’acquisition. Si la lettre de Mme Denis est connue depuis peu [8], celle de Grimm ne l’était que par la réponse de Wagnière du 16 août, éditée partiellement en 1999 d’après une copie conservée à Moscou, et intégralement en 2005 d’après l’original et deux copies [9]. La Houghton Library (Harvard College Library, Université de Harvard) possède l’autographe de Grimm. Nous en donnons ici la version sincère et authentique d’après l’original et d’après une copie établie par une main inconnue [10].

C’est légitimement que la Gazette des Délices édite cette lettre. Non seulement l’original de la réponse de Wagnière est conservé à l’IMV [11] mais François Tronchin, alias « le Sage des Délices », avait accordé en décembre 1778 « le droit d’hospitalité » [12] aux douze caisses de la bibliothèque de Voltaire avant de se charger de les expédier à Saint-Pétersbourg, via Francfort et Lübeck, en avril 1779.

Sitôt qu’elle apprit la mort de Voltaire survenue le 30 mai 1778, Catherine II ordonna à Grimm d’acquérir sa collection. « S’il est possible, faites l’achat de sa bibliothèque et de tout ce qui reste de ses papiers, inclusivement mes lettres. Pour moi, volontiers je paierais largement ses héritiers qui, je pense, ne connaissent le prix de rien de tout cela » [13]. Si elle vouait un culte à Voltaire, « cygne » des belles-lettres qu’elle considérait comme son « maître » [14], ses motivations ressortissaient à des considérations de haute politique. La translation de la bibliothèque résonne comme l’apothéose et la culmination symbolique des rapports de Voltaire à celle qu’il surnommait « Catau ». Faute d’avoir fait le voyage de Russie, il s’y rendit par l’interposition de ses livres et de son « fidèle Wagnière ». Sitôt arrivée sur le trône, Catherine II avait cherché en Voltaire un soutien idéologique pour conforter sa couronne fragilisée par le renversement et la mort suspecte de Pierre III. Dans l’affrontement l’opposant à la France en Pologne, en Turquie et en Suède, elle trouva en lui un allié prompt à justifier idéologiquement l’expansionnisme russe au nom des idéaux de tolérance et de liberté. Avec une remarquable « efficacité publicitaire », il s’attacha à construire l’« emblème » de la tsarine en championne des Lumières [15]. Après son décès il demeura un enjeu de la politique russe. À l’instar d’Antigone, Catherine tança son « souffre-douleur » de n’avoir pas eu la présence d’esprit de proposer aux héritiers d’accueillir en Russie la dépouille du génie que le clergé entendait livrer à la fosse commune et qu’ils ne purent enterrer à l’abbaye de Scellières qu’à la faveur d’un subterfuge : « pourquoi ne vous êtes-vous point emparé vous de son corps et cela en mon nom. (…) je vous promets bien qu’il aurait eu la tombe la plus précieuse possible, mais si je n’ai point son corps, au moins ne manquera-t-il pas de monument chez moi » [16]. Faute de son corps matériel, elle s’empara de son corps spirituel, incarné par ses livres et manuscrits. En acquérant la bibliothèque, elle réitérait l’opération de relations publiques qui lui avait si bien réussi lors de l’acquisition des livres de Diderot : « Jamais je n’aurais cru que l’achat d’une bibliothèque m’attirerait tant de compliments » [17]. Elle comptait ainsi promouvoir sur la scène mondiale l’image de la Russie en pays de la tolérance et de la liberté. On comprend que certains cercles diplomatiques français tentèrent de s’opposer à la cession [18]. Les Welches avaient prétendu refuser une sépulture au patriarche ? Qu’à cela ne tienne : la Russie lui élèvera un mausolée ! La bibliothèque exigeant un édifice à sa mesure, Catherine II caressa le projet d’ériger à Tsarskoe Selo un « nouveau Ferney » [19] ou une réplique du château pour y accueillir la bibliothèque, « et comme aucun prodige n’est impossible au bord de la Néva », [20] elle prétendait l’orienter dans le paysage russe comme il l’est dans le bassin lémanique entre Jura, Alpes et Léman. Devant assurer le rayonnement médiatique de la Russie, ce projet présentait l’avantage supplémentaire d’inciter l’héritière à accepter l’offre de l’Impératrice : « J’espère que tout ce que je vous ai mandé de la bâtisse du nouveau Ferney aura mis l’esprit de Mme Denis dans une assiette tranquille » [21]. L’héritière mordit à l’hameçon qui lui donnait prétexte de se disculper de l’accusation de vénalité portée par d’Hornoy et l’abbé Mignot, neveu et petit-neveu de Voltaire, auxquels elle avait juré de conserver la bibliothèque au sein de la famille [22]. Se dessaisir des livres, n’était-ce pas outrager la mémoire du patriarche ? Non, dès lors que la translation de la bibliothèque le commémorerait par l’érection d’un majestueux édifice, muséum ou véritable « mausolée » [23]. « On lui refuse ici quatre pelletées de terre, et on lui fait un mausolée en Russie », confiait-elle à Audibert [24] avant de déclarer à Chouvalov « que M. Grimm m’a lu une lettre de l’Impératrice, où elle lui dit qu’elle fera élever un monument à mon oncle au milieu de sa bibliothèque. J’espère qu’elle réalisera son projet. On lui a refusé ici quatre pelletées de terre. Il n’appartient qu’à la première Princesse du monde de faire élever un monument au plus beau génie du monde » [25]. L’offre de « Catau » était habilement conçue. Si elle ne donna pas suite au projet du « nouveau Ferney », se contentant d’établir les livres en son palais de l’Ermitage, l’effet d’annonce relayé dans la presse française lui assura une glorieuse publicité.

Tel est le motif évident de l’acquisition : dans la logique du clair-obscur, opposer à une France obscurantiste l’image radieuse de la Russie en patrie des Lumières. Mais cette opération très médiatique dissimulait un enjeu confidentiel : la tsarine entendait récupérer les lettres qu’elle avait adressées à Voltaire [26] et dont elle redoutait « l’impression comme le feu ». Sa correspondance avec Grimm au second semestre de 1778 scande cet ordre comme un leitmotiv : « faites l’achat de sa bibliothèque et de tout ce qui reste de ses papiers, inclusivement mes lettres » ; « Priez très instamment Mme Denis de ma part de ne point donner de copies de ces lettres, de ne point en permettre l’impression, ni qu’elles soient divulguées en aucune façon ; je crains l’impression comme le feu » ; « Voltaire n’imprimait pas mes lettres ; il savait bien qu’elles n’en valaient pas la peine, et que je craignais l’impression comme le feu ; je vous prie, empêchez que Mme Denis ne fasse imprimer mes lettres à son oncle ; je vous en prie très sérieusement », ajoutant le même jour, au cas où ses instructions ne fussent pas assez claires : « surtout ayez soin que mes lettres s’y trouvent, et que rien ne soit détourné de ce qui est réellement intéressant » ; « je vous prie, empêchez que Mme Denis ne fasse imprimer mes lettres à son oncle, je vous en prie très sérieusement » [27]. Avec les livres, il ne fait aucun doute qu’elle entendait recouvrer sa correspondance. Elle ne s’opposait pas à la publication des lettres que Voltaire lui avait adressées et qui dressaient d’elle un portrait lumineux auquel sa propagande ne trouvait rien à redire [28]. Elle s’était en revanche hasardée à des plaisanteries douteuses sur la cour de Vienne, le despotisme de Louis XV, les officiers français capturés en Pologne lors de l’insurrection des confédérés de Bar, qu’elle fit déporter en Sibérie, ainsi que ceux qui soutenaient le sultan Mustafa III lors de la guerre russo-turque de 1768-1774. La publication de ses lettres menaçait de la compromettre diplomatiquement autant que de ternir l’image brillante que Voltaire avait donnée d’elle [29].

Ayant reçu les instructions de l’Impératrice au début d’août 1778, Grimm prit aussitôt contact avec Mme Denis. Quoique celle-ci prétendît avoir refusé de céder les livres à deux princes allemands, dont Frédéric II de Hesse-Cassel [30], elle accepta instantanément l’offre prestigieuse de la tsarine. Le 9 août, le principe de la transaction était acquis. Elle annonçait le 11 la « grande nouvelle » à Wagnière :

« L’Impératrice de Russie me demande la bibliothèque de mon oncle, elle a voulu que j’y misse le prix, je l’ai refusé, elle me promet si je lui donne cette bibliothèque de faire un petit temple où elle la logera et, au milieu de ce temple, un beau mausolée à M. de Voltaire ; j’ai été si flattée de cette offre que je l’ai acceptée, je lui ai donné ma parole avant-hier par M. Grimm, ainsi la bibliothèque ne m’appartient plus. [31] »

Le même jour, Grimm adressait à Wagnière la lettre suivante [32].

« [p. 1] La lettre que vous avez écrite à Madame d’Epinay [33], mon cher Monsieur Wagniere, et qui était en partie pour moi, m’a sensiblement touché. Je n’ai pas besoin de vous répéter ce que je vous ai dit à votre départ de Paris [34] que je m’estimerais heureux si je pouvais jamais vous rendre le plus faible service [35]; ce serait pour moi la maniere la plus satisfaisante d’honorer la mémoire du grand homme que nous pleurons. Peutêtre le hazard m’en offrira-t-il bientôt une occasion, je le desire au moins bien vivement. Voici de quoi il s’agit.

L’Impératrice de Russie qui a été profondément touchée de la perte de M. de Voltaire et qui a appris avec la plus grande indignation ce qui s’est passé à la mort de ce grand homme, m’a fait l’honneur de me mander qu’elle voulait lui faire faire un monument chez elle. Elle m’a ordonné en même temps d’acheter pour son compte la bibliotheque qu’elle se proposait de conserver dans ce monument [36]. J’ai fait part à Madame Denis des desirs de l’Impératrice. Ce projet a d’abord éprouvé une grande [p. 2] opposition de la part de MM. l’abbé Mignot et d’Hornoy [37]; mais Madame Denis a bientôt senti qu’il ne s’offrirait jamais une occasion plus favorable d’honorer la mémoire de son oncle et de consacrer, pour ainsi dire, la bibliotheque pour jamais, qu’en déférant aux désirs de Sa Majesté. En conséquence elle m’a permis de répondre à l’Impératrice que la bibliotheque de son oncle était à ses ordres, mais qu’elle ne se déterminerait jamais à y mettre un prix [38]. Elle m’a dit en même temps qu’une caisse de cette bibliothèque était déja à Paris [39] et que le reste était encore à Ferney entre vos mains.

Vous voyez, mon cher Monsieur Wagniere, que si ce marché a lieu, j’aurai de vous le besoin le plus essentiel, parceque vous seul avez connu à fond la bibliotheque de M. de Voltaire [40]. En attendant la réponse définitive de l’Impératrice qui ne peut arriver que sous deux mois [41], j’ai proposé à Madame Denis que nous mettions le scellé elle et moi tant sur la caisse qui est ici que sur ce qui se trouve encore à Ferney, et que suivant les circonstances je m’y rendrais en personne pour faire cette opération avec vous [42]. Votre réponse et les éclaircissemens que vous voudrez bien me donner [p. 3] me décideront sur cette course. Je voudrais savoir 1° s’il existe un catalogue de la totalité ou d’une partie de cette bibliotheque [43]. 2° Supposé qu’il n’y en ait point, si vous pouvez vous engager à en composer un [44] et à assurer que rien n’y manque [45], y compris tous les manuscrits soit de M. de Voltaire, soit d’autres, même les lettres, parceque l’Impératrice prétend conserver tout cela et entre autres ses propres lettres [46]. 3° à combien de volumes vous estimez cette bibliotheque [47]. 4° S’il est vrai que dans la plupart de ces livres M. de Voltaire ait fait des notes à la marge écrites de sa propre main [48]. 5° S’il y a dans cette bibliotheque plusieurs manuscrits [49] et autres livres rares et d’un grand prix [50]. 6° Si depuis la mort de ce grand homme rien n’a été distrait de sa bibliotheque, et si l’Impératrice peut se flatter de la recevoir telle qu’il l’a possédée. 7°. Si dans le cas où il n’y aurait point de catalogue, vous pourriez m’en fournir un apperçu succinct et que je puisse promptement mettre sous les yeux de l’Impératrice [51].

Si votre réponse me conseille le voyage de Ferney, j’irai tout de suite vous rendre visite, et nous arrangerons les affaires de façon qu’à la décision de l’Impératrice tous ses ordres pourront être exécutés promptement. Il ne tiendra pas à moi [p. 4] que Sa Majesté Impériale ne soit exactement instruite de tout le zele que vous mettrez dans une occasion où il s’agit autant de sa propre satisfaction que d’honorer la mémoire du grand homme auquel vous avez été attaché depuis tant d’années.

Vous trouverez ci-joint mon adresse, et je vous prie, mon cher Monsieur Wagniere, de ne jamais douter de ma tendre et inviolable amitié.

M. le Comte de Schomberg [52] m’a dit qu’il a reçu de vos nouvelles.

à Paris, le 11 auguste 1778.

[post-scriptum] Je puis vous dire encore que quand il y aurait des manuscrits en grand nombre, l’acquisition que l’Impératrice compte faire ne s’opposerait en aucune façon à leur publication [53], et que je permettrais de sa part toutes copies nécessaires [54], parceque personne n’a moins de gout pour les possessions exclusives que cette grande Princesse.

Je voudrais savoir, mon cher Monsieur Wagniere, supposé que cette bibliotheque ait été estimée depuis la mort de M. de Voltaire, à quel prix elle a été estimée, parceque cela pourrait me guider dans la fixation du prix impérial [55] ».

Wagnière répondit à Grimm avec sa diligence et sa célérité habituelle. Par scrupule de conscience, il soumit cependant sa lettre datée du 16 août à Mme Denis pour approbation [56]. Or celle-ci choisit de ne pas la remettre à son destinataire, que ce soit par volonté de rester maîtresse de la négociation ou de ne pas faire état des manuscrits promis à Panckoucke. Cette dissimulation retardait la conclusion : elle empêchait le « souffre-douleur » de proposer à la tsarine une estimation. Inquiet de ne pas obtenir de réponse d’un secrétaire réputé pour son exactitude, Grimm abjura le « sage des Délices » de diligenter une enquête, après avoir sollicité Vasserot de Vincy de lui rendre le même service :

« J’avais écrit le 11 du mois passé une lettre circonstanciée à M. Wagnière qui m’a paru avoir de l’amitié pour moi. […] Je lui ai adressé cette lettre à Ferney, pays de Gex, sous la qualité d’ancien Secrétaire de M de Voltaire. Je n’ai jamais perdu aucune des mes lettres. Cependant, je n’ai reçu aucune réponse de M. Wagnière et je ne reviens pas de ma surprise à cet égard. Je vous aurais une vraie obligation si vous pouviez avoir la bonté de lui faire demander pourquoi il ne m’a pas répondu. […] M. de Vincy [57] qui vient de partir a eu la bonté de m’offrir ses services et de tirer ces éclaircissements d’un M. Rieu, mais je désire toujours de savoir pourquoi mon ami Wagnière m’a si maltraité [58]»

Wagnière ne l’avait nullement maltraité : Mme Denis était seule responsable du méfait. Le ton de Grimm était inhabituellement pressant : il venait d’apprendre que Mme Denis avait vendu Ferney à de Villette, de sinistre réputation. La bibliothèque y était conservée : « si M. de Villette se met tout de suite en possession, qui gardera en attendant la réponse impériale cette bibliothèque, qui en répondra ? S’il n’y a pas un gardien sûr, on en pourra soustraire bien des choses » [59]. Tronchin répondit le 27 : « sur votre lettre », écrit-il en substance, « j’ai couru à Wagnière ». Tronchin le disculpait : non seulement Mme Denis n’avait pas remis au destinataire sa réponse du 16 août, mais elle ne fit « aucune mention » au destinateur du détournement [60]. À ce stade de l’intrigue se trama une sorte de conspiration entre Grimm, Tronchin et Wagnière, à laquelle celui-ci souscrivit d’autant plus aisément qu’il avait été outré d’apprendre la vente du château. Le désengagement de Mme Denis de Ferney compromettait sa position, et il n’attendait rien de bon du nouveau propriétaire. Tronchin pressa Grimm de garder le secret sur les informations divulguées par le secrétaire : « Ce dont nous devons nous garder à présent, c’est de le compromettre avec Mme Denis qui doit ignorer que Wagnière vous a donné connaissance de la suppression de sa lettre », Grimm répondant : « Je n’ai pas besoin de vous dire que notre ami Wagnière peut être sûr de n’être compromis par moi avec personne » [61]. Il lui était reconnaissant d’avoir transmis les renseignements nécessaires. Le « sage des Délices » le recommanda instamment comme la personne la plus apte à installer la bibliothèque en Russie : « Un mot de Wagnière. […] Je voudrais que S.M.I. comprît Wagnière dans l’acquisition de la bibliothèque, qu’il en fût le conducteur, qu’elle l’attachât à son service ; je dis affirmativement que sa bienfaisance ne serait pas déplacée et qu’elle aurait en lui le seul dictionnaire vivant de tout ce qui tient aux 24 dernières années de l’homme le plus célèbre de notre temps » [62].

Cette lettre décisive changea le sort de Wagnière. Grimm y répondit le 4 octobre, prétendant avoir eu la même idée. Il fit part à l’Impératrice de ses offres de service, qu’elle accueillit favorablement. Le 30 octobre, elle lui répondit :

« J’approuve beaucoup ce que vous me proposez de faire pour Wagnière : s’il avait envie de rester bibliothécaire de la bibliothèque de son maître, il ne tiendrait qu’à lui, et il pourrait la suivre au printemps prochain, ou comme il serait commode à lui ; or s’il ne peut ou ne veut, vous lui donnerez pour ses peines au moins autant que son maître lui a laissé, ou plus, comme vous le jugerez à propos. [63] »

L’acquisition de la bibliothèque marque pour Wagnière la fin de ce que Grimm nommait ses « malheurs de 1778 » et le début du « bonheur de 1779 » [64], qui, après un « voyage au temple de la gloire » [65], le vit devenir pensionnaire de l’Impératrice de toutes les Russies. Grâce aux informations du secrétaire, Grimm tenait le moyen d’évaluer la bibliothèque et la transaction pouvait aboutir. Catherine II adressa à Mme Denis le 26 octobre une lettre flatteuse pour la remercier [66], l’héritière donnant reçu le 15 décembre de l’équivalent de 30000 roubles, soit plus de 135000 francs. À cette somme trois fois supérieure à l’estimation de Panckoucke s’ajoutaient des présents somptueux d’un montant identique tels que fourrures, diamants, boîte en or avec le portrait de l’Impératrice, etc., dont Mme Denis et Mme de Villette firent dans les salons parisiens un usage ostentatoire, sinon immodeste [67]... La transaction était consommée. La « bibliothèque patriarcale » s’était transmuée en « bibliothèque impériale ».

Sans révolutionner les récents acquis de l’histoire de la constitution des fonds voltairiens de Saint-Pétersbourg, cette lettre approfondit et renouvelle les perspectives de la recherche. Elle est le signe des nombreux conflits qu’entraîna la cession de la bibliothèque. Si elle ne dit mot des différends entre le gouvernement russe et certains milieux diplomatiques français, elle révèle les dissensions au sein de la famille de Voltaire, opposant son héritière universelle à d’Hornoy et Mignot, elle manifeste les problèmes rencontrés par Mme Denis pour concilier la remise des papiers à Panckoucke avec la cession des livres à Catherine II [68], et elle indique la situation délicate dans laquelle se trouve plongé Wagnière à compter de la seconde moitié de 1778. Pris dans un insoluble conflit d’intérêts, il est tiraillé entre ses devoirs envers Mme Denis qui l’incitent à conserver précieusement les manuscrits, ses relations professionnelles avec Panckoucke qui l’inclinent au contraire à lui divulguer les pièces qu’elle pourrait lui celer, et les promesses du service de Pétersbourg, le déterminant à communiquer des renseignements qu’elle souhaitait garder par-devant elle. Cette lettre nous fait également découvrir que l’opposition de d’Hornoy et de Mignot à la cession de la bibliothèque fut plus précoce qu’on ne le croyait, se manifestant dès le début des négociations. Elle révèle que Grimm avait anticipé la difficulté à concilier les ambitions de l’Impératrice avec le projet éditorial de Panckoucke, autant que les moyens de surmonter l’obstacle : il suffisait de prendre copie des originaux avant de les envoyer en Russie. L’insistance de ses redites et le post-scriptum indiquent par ailleurs son souci de procurer à la tsarine une estimation fiable dont elle pourrait s’inspirer pour rémunérer Mme Denis comme il sied à une Impératrice : Catherine II « doit payer autrement qu’un particulier » [69], c'est-à-dire sans barguigner et au prix cher. L’allusion au « scellé » et la brûlante question de savoir si nul livre ne « manque » ni n’a été « distrait » prouvent le soin extrême pris pour garantir l’intégrité de la « Bibliothèque maintenant impériale » [70]. Croisée avec la lettre de Mme d’Epinay citée plus haut [71], elle témoigne enfin que les liens d’amitié de Wagnière et de Grimm sont plus anciens qu’on ne le croyait et que celui-ci eut l’idée de recourir aux soins de celui-là dès le mois de juin 1778, avant même que Catherine II ne lui ordonne d’acquérir la bibliothèque. Le « fidèle Wagnière » et « l’exact Grimm » étaient faits pour s’entendre : jamais le natif de Ratisbonne ne cessa de protéger le Vaudois de Rueyres.



[1] S. Karp, Quand Catherine II achetait la bibliothèque de Voltaire, Ferney-Voltaire, CIEDS, 1999 [dorénavant, S. Karp]; Jean-Louis Wagnière ou les deux morts de Voltaire. Correspondance inédite, présentation et notes de C. Paillard, Préface de Michel Delon, Saint-Malo, Editions Cristel, 2005 [dorénavant JLW].

[2] N. Cronk, « Voltaire’s marginalia: who is the intended readership ? », Revue Voltaire, 7, 2007, p.143 : « The correspondance of Wagnière and others from the years 1778 and 1779, recently edited […], gives evidence of the extreme care taken to ensure the integrity of the library after Voltaire’s death and before it was shipped to Russia ». Cf. N. Elaguina et O. Ferret, « Le chantier du Corpus des notes marginales », ibid, p.130, sur « les travaux récents consacrés aux circonstances dans lesquelles s’est effectué le transfert à Saint-Pétersbourg des ouvrages de Voltaire ».

[3] Ferney, selon l’expression de Tronchin dans sa lettre à Grimm du 7 février 1779, JLW, p.280.

[4] « Inventaire de la bibliothèque de Voltaire par Wagnière » et « Certificat de Wagnière sur la bibliothèque de Voltaire », JLW, p.153 et 276.

[5] Catherine II à Grimm, 16 [27] octobre 1779, Recueil de la Société impériale russe d’histoire [par la suite SRIO], t.23, p.161.

[6] C. Mervaud et C. Paillard, « Le supplice de Tantale. Decroix et l’inventaire des ouvrages marginés de Voltaire à Saint-Pétersbourg », SVEC 2006:06, p.405-33.

[7] Catherine II à Grimm, 30 novembre [11 décembre] 1778, SRIO, t.23, p.112; Grimm à Tronchin, 30 novembre 1778; Tronchin à Grimm, 25 avril 1779 (JLW, p.269 et p.310).

[8] Mme Denis à Wagnière, 11 août 1778, JLW, p.164-5.

[9] S. Karp, p.27-8; JLW, p.175-7.

[10] Houghton Autograph File: G et collection particulière. Courtesy of the Houghton Library, Harvard College Library. Nos remerciements s’adressent au conservateur de la Donald and Mary Hyde Collection of Dr Samuel Johnson, M. Thomas Horrocks, au conservateur adjoint M. John Overholt, et à la bibliothécaire, Mme Mary Haegert.

[11] Nos remerciements s’adressent également au nouveau « Sage des Délices », M. François Jacob, directeur de l’IMV, à Mme Catherine Walser et à M. Flavio Borda d’Água.

[12] Grimm à Tronchin, 30 novembre 1778, JLW, p.269.

[13] Catherine II à Grimm, 21 juin [2 juillet] 1778, SRIO, t.23, p.94.

[14] Catherine II à Grimm, 1 [12] octobre 1778, SRIO, t.23, p.102 : « Au reste, c’est mon maître;  c’est lui ou plutôt ses œuvres qui ont formé mon esprit et ma tête. Je vous l’ai dit plus d’une fois, je pense: je suis son écolière ».

[15] C. Mervaud, « Portraits de Catherine II dans la Correspondance de Voltaire », Catherine II et l’Europe, dir. A. Davidenkoff, Paris, 1997, p. 169.

[16] Catherine II à Grimm, 21 juin [2 juillet] 1778, SRIO, t.23, p.94. Cf. Grimm à Tronchin, 15 décembre 1778, BGE Archives Tronchin 181, f.50: « Au moment de sa mort l’Impératrice m’écrivit, il fallait le demander en mon nom et me l’envoyer ».

[17] Catherine II à Voltaire, 28 novembre 1765, D13032.

[18] S. Karp, p.5-19.

[19] Catherine II à Grimm, 30 novembre [11 décembre] 1778, SRIO, t.23, p.112.

[20] F. Caussy, Inventaire des manuscrits de la bibliothèque de Voltaire conservée à la bibliothèque impériale publique de Saint-Pétersbourg, Paris, 1913, p.2-3.

[21] Catherine II à Grimm, 30 novembre [11 décembre] 1778, SRIO, t.23, p.112.

[22] Corberon à Vergennes, 15 septembre 1778 (lettre non chiffrée); Ibid (lettre chiffrée); Corberon à Chouvalov, 3 [14] septembre 1778; Catherine II à Grimm, 1 [12] octobre 1778. Voir S. Karp, p.5-11.

[23] Mme Denis à Wagnière, 11 août 1778, JLW, p. 164. Il lui importait peu que ce monument fût « arrosé des larmes des neveux de M. de Voltaire » (Corberon à Chouvalov, 3 [14] septembre 1778, S. Karp, p.8).

[24] Mme Denis à Audibert, 15 août 1778, R. Pomeau, « La mort de Voltaire et ses suites: une lettre inédite de Mme Denis », RHLF 79, 1979, pp.182-6.

[25] Mme Denis à Chouvalov, 24 octobre 1778, S. Karp, p.14.

[26] Comme l’ont montré P. Bonnefon, « Une correspondance inédite de Grimm avec Wagnière », RHLF, 1896, p.495, F. Caussy, Inventaire des manuscrits de la bibliothèque de Voltaire, p.3 et, plus récemment, M. Lever, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, 3 vol., Paris, 1999-2004, t.2, p.236.

[27] Catherine II à Grimm, 21 juin [2 juillet] 1778, SRIO, t.23, p.94; 1er [12] octobre 1778, p.103; 30 novembre [11 décembre] 1778, p.112-3; 17 [28] décembre 1778, SRIO, t.23, p.119.

[28] Catherine II à Grimm, 25 novembre [6 décembre] 1787, SRIO, t.23, p.421 : « il est impertinent que Beaumarchais ait imprimé mes lettres à moi sans ma permission; mais si ce ne sont que les lettres que Voltaire m’a écrites, je ne m’en soucie point, pourvu que les miennes ne le soient pas ». Le 5 novembre 1778, elle écrivait déjà : « à dire la vérité, je ne me soucie pas beaucoup de l’impression des lettres que Voltaire m’a écrites » (p.110).

[29] Elle imposa à Beaumarchais et aux éditeurs de Kehl de supprimer onze passages de ses lettres mais les éditeurs résistèrent à ces pressions en maintenant le texte intégral dans divers exemplaires des éditions in-8° et in-12. Voir notre article « Ingérence censoriale et imbroglio éditorial. La censure de la correspondance de Voltaire dans les éditions in-8° et in-12 de Kehl », Revue Voltaire 7, 2007, p.275-309.

[30] Mme Denis à Chouvalov, septembre 1778, S. Karp, p.13 : « je l’ai refusée à deux souverains d’Allemagne ».

[31] Mme Denis à Wagnière, 11 août 1778, JLW, p. 164

[32] Friedrich Melchior Grimm, l.a à Jean-Louis Wagnière, 11 août 1778, in-4°, 4 pages. Nous respectons l’orthographe du manuscrit.

[33] Le 23 juillet 1778, Mme d’Epinay adressa à Wagnière une lettre de condoléances, partiellement éditée par L. Perey et G. Maugras (Les derniers jours de Mme d’Epinay, Paris, 1907, p.526-7), dont nous donnerons prochainement le texte intégral. Dans un passage resté inédit, elle annonçait à Wagnière que Grimm s’adresserait bientôt à lui. Le secrétaire semble lui avoir répondu fin juillet.

[34] Wagnière rencontra Grimm en juin 1778. Il lui fit part de sa collaboration avec Panckoucke, officialisée devant notaire le 19 juin (JLW, p.118), pour l’édition posthume des Œuvres complètes, future édition de Kehl.

[35] En recommandant Wagnière à Catherine II, Grimm deviendra son « bon protecteur ». Dans une lettre du 7 mai 1779 que nous éditerons bientôt, il lui écrivait: « je vous regarde après M. de Voltaire comme mon père ».

[36] Catherine II à Grimm, 21 juin [2 juillet] 1778, SRIO, t.23, p.93-4.

[37] Le neveu et le petit-neveu de Voltaire souhaitaient conserver la bibliothèque au sein de la famille. Ils s’adressèrent aux diplomates français pour tenter d’interdire la transaction. Le 15 septembre 1778, le chargé d’affaires de la France à Pétersbourg, Corberon, écrivait à Vergennes, ministre des Affaires étrangères : « Il y a quelques jours, monsieur le Comte, que j’ai reçu une lettre fort touchante du petit-neveu de M. de Voltaire. M. d’Hornoy m’a mandé qu’après la mort de son oncle, il s’était flatté de conserver dans sa famille sa bibliothèque, comme un monument précieux pour elle, et qu’aucune somme ne pourrait remplacer. Mme Denis légatrice universelle avait donné sa parole d’honneur à MM. Mignot et d’Hornoy de la conserver ; mais elle n’a pu se refuser aux désirs flatteurs de l’Impératrice d’acquérir ce morceau moins précieux par lui-même, que par la possession qu’en avait eu M. de Voltaire, et quelques notes marginales écrites de sa main » (S. Karp, p.5).

[38] L’héritière « joua au naturel la scène de ce personnage comique qui voulait qu’on dît de ses aïeux non pas qu’ils vendaient du drap, mais qu’ils le donnaient pour de l’argent » (P. Bonnefon, « Une correspondance inédite de Grimm avec Wagnière », p.493 ; Molière, Le bourgeois gentilhomme, IV, 3). Soucieuse de son image, elle souhaitait offrir la bibliothèque à l’Impératrice ; négociatrice avisée, elle en escomptait le meilleur prix. Grimm ménagea sa susceptibilité : elle donnerait les livres à l’Impératrice qui lui ferait en retour présent de cadeaux somptueux. Il résume joliment les termes de l’équation : « L’Impératrice me dit : payez largement. Madame Denis dit : je fais hommage à l’Impératrice de la bibliothèque, et ne la vends point. Il faut donc que l’Impératrice, en acceptant et n’achetant pas, paie magnifiquement » (Grimm à Tronchin, 15 septembre 1778, JLW, p.208). Le « souffre-douleur » surmonta élégamment cette difficulté. « Cette affaire de Madame Denis a été faite en un clin d’œil », confiait-il. « Pourquoi ? Parce que j’ai pu parler très naturellement. J’ai dit à S.M. que (…) Mme Denis en l’offrant à S.M. serait plus touchée des marques de distinction, comme lettre, boîte à portrait, diamants, fourrures, que de l’argent. Sur cet aperçu, S.M. s’est taxée, et Madame Denis a eu lieu d’être contente » (Grimm à Tronchin, 24 janvier 1779, BGE, Archives Tronchin 178, f.31).

[39] Réponse de Wagnière : « Il y a plus d’une caisse de livres à Paris, que j’expédiai. Il doit y [en] avoir cinq, dont deux contiennent des livres de la bibliothèque, les trois autres des livres à Madame Denis avec sa musique. Parmi ces livres il y a un dictionnaire de Calepin qui est à moi, et que j’avais prêté à M. de Voltaire. Il y a aussi des volumes 8° des Œuvres de M. de Voltaire corrigés qui sont pour M. Panckoucke » (JLW, p.176).

[40] Entre autres fonctions, Wagnière était le bibliothécaire attitré de Voltaire. Le catalogue de la bibliothèque est en grande partie de sa main. Dans son esprit, la présence des livres était intimement liée au souvenir de son maître : « Je vous avoue que j’avais le cœur serré en emballant les livres; rien n’a autant renouvelé le triste souvenir de la perte de mon cher maître, mon père, j’ose dire mon ami, qui pendant vingt-quatre ans m’a honoré de ses bontés, et que je ne méritais que par mon tendre attachement pour sa personne […] » (JLW, p.176-7).

[41] Grimm à Tronchin, 15 septembre 1778 : « un mois qu’il faut à une lettre pour aller à Pétersbourg, et un mois qu’il lui faut pour en revenir, cela fait bien des mois » (JLW, p.209).

[42] Il ne se déplaça finalement pas à Ferney, se déchargeant sur François Tronchin de l’organisation matérielle du déplacement de la bibliothèque.

[43] Réponse de Wagnière : « Il y a un catalogue incomplet et fort mal en ordre, attendu que M. de Voltaire changeait et bouleversait toujours sa bibliothèque » (JLW, p.175).

[44] Réponse de Wagnière : « il ne me serait pas possible d’en faire un exact, tous les livres étant emballés et les caisses clouées. M Christin qui s’est aidé, a vérifié le catalogue. Il y a quelques volumes dépareillés, d’autres doubles. M. Christin et moi pouvons vous certifier qu’il n’a été distrait aucun livre de la bibliothèque, excepté un exemplaire du Dictionnaire de Bayle qui est double, où il n’y a ni note ni signet. Je priai M. Christin d’écrire à Madame Denis pour qu’elle eût la bonté de m’en faire présent, sinon elle en disposera. » (JLW, p.175).

[45] « J’ai déjà dit ci-dessus qu’on n’avait distrait aucun livre ici depuis le mort de M. de Voltaire. Il a légué par son testament ses livres anglais à M. Rieu. M. Christin lui en a remis 237. Il a laissé les autres » (JLW, p.176).

[46] Les lettres de Catherine II constituent l’enjeu occulte de la négociation. Réponse de Wagnière : « Quant aux manuscrits et aux lettres, tout cela est empaqueté et cacheté du cachet de M. Christin et du mien, pour le tout être remis à madame Denis qui en doit seule disposer. Elle trouvera dans un des paquets toutes les lettres de S.M.I. Je n’ai pas eu le temps de rien mettre en ordre » (JLW, p.175). D’après l’Inventaire des manuscrits de Voltaire dressé par Wagnière le 27 juillet 1778, les lettres de « Catau » formaient le 4e paquet des papiers de Ferney: « Correspondance de l’Impératrice de Russie avec M. De V. » (ibid, p. 152).

[47] Réponse de Wagnière : « Il y a sur le catalogue, autant que j’ai pu le compter six mille volumes » (JLW, p.176). À Saint-Pétersbourg, il dénombrera « 6760 volumes » (C. Mervaud et C. Paillard, « Le supplice de Tantale », p.432).

[48] Réponse de Wagnière : « Il est très vrai que dans plusieurs volumes il y a des notes marginales et des signets de la main de M. de Voltaire et de la mienne par ses ordres et sous sa dictée, très curieuses. Mais il faut feuilleter les volumes » (JLW, p.176). Grimm savait que les marginalia faisaient le sel de la bibliothèque : le 15 septembre 1778, il indiquait à François Tronchin qu’il avait demandé à Wagnière « s’il est vrai que M. de Voltaire a fait des notes marginales à la plupart de ses livres, car une circonstance comme celle-là influerait considérablement le prix ». Démentant pour une fois sa réputation de sagacité, Tronchin lui répondit le 27 septembre : « je doute que les notes marginales dont quelques-uns des livres se trouvent chargés soient des objets de curiosité bien intéressants » (ibid, p.208 et p.219).

[49] Réponse de Wagnière : « Je ne connais de Mss. dans la bibliothèque que les œuvres du duc D’Uzès, 3 volumes dépareillés d’un abrégé de Bayle, et un petit pot-pourri folio dans la caisse du théâtre, (à ce que je crois) sur les cérémonies des Indiens, qui avait été donné à M. de Voltaire avec le commentaire sur le Vedam et l’Ezour Vedam que l’on a volé à M. de Voltaire il y a plus de dix ans. Les livres les plus curieux se trouvent dans la partie de la théologie » (JLW, p.176). Se ravisant, il écrivit à Mme Denis le 29 août 1778 : « Je me rappelle qu’il doit y avoir des manuscrits assez curieux dans quelques-uns des pots-pourris, surtout dans les in-4°. Vous pouvez le dire à M. de Grimm. Ils sont dans les caisses » (ibid, p.190).

[50] Voltaire n’était pas bibliophile. Ses livres reliés simplement étaient « pour la plupart des livres d’usage » (Catalogue des livres anglais légués à Rieu par Voltaire, S. Karp, p.33), ce qui explique que Panckoucke ait estimé que la collection valait 40000 francs (voir infra, note 55). C’était cependant compter sans les ouvrages marginés rehaussant considérablement la valeur de la collection (voir supra, note 48 et notre article: « Un dictionnaire vivant. Jean-Louis Wagnière, témoin des pratiques de lecture et d’écriture de Voltaire » à paraître dans les actes du colloque Voltaire et le livre organisé par la Société Voltaire à la Bibliothèque nationale de France les 27 et 28 octobre 2005).

[51] Mme Denis oublia d’ordonner à Wagnière de lui adresser le catalogue (Wagnière à Mme Denis, 3 septembre 1778, JLW, p.191). L’oubli fut bien vite réparé.

[52] Louis Gottlob, comte de Schomberg, ami d’enfance de Grimm et fréquent visiteur de Ferney, inspecteur général de la Cavalerie.

[53]  Grimm est au fait de la collaboration de Wagnière avec Panckoucke, chargé de réaliser la première édition posthume des Œuvres complètes. Il redoute que le secrétaire ne soit tenté de détourner des manuscrits pour en faire profiter le libraire plutôt que l’Impératrice.

[54] Panckoucke avait recruté de nombreux copistes pour copier les originaux. À la fin de 1778 et au début de 1779, Wagnière se rendit à Paris « pour tirer de M. de Panckoucke un double de tout pour Sa Majesté Impériale » (Wagnière à Mme Denis, 6 mai 1780, JLW, p.334).

[55] Réponse de Wagnière : « On n’a fait jamais aucune estimation de cette bibliothèque. Voilà tout ce que je puis vous répondre » (JLW, p. 176). Panckoucke avait fait savoir à Grimm qu’elle « ne valait peut-être pas plus de 40000 livres » (Grimm à François Tronchin, 24 janvier 1779, BGE, Archives Tronchin 176, f. 31).  

[56] Wagnière à Mme Denis, 15-16 août 1778, JLW, p.174.

[57] Et non Verney comme porté par erreur par S. Karp, p.29, qui remarque que la copie de la lettre du 16 août fut communiquée à Grimm par Vincy (ibid, p.27; voir la lettre de Tronchin, 27 septembre 1778, JLW, p.218).

[58] Grimm à Tronchin, 15 septembre 1778, JLW, p.208-9.

[59] Ibid.

[60] Tronchin à Grimm, 27 septembre 1778, JLW, p.218.

[61] Ibid. et Grimm à Tronchin, 4 octobre 1778, JLW, p.243.

[62] Tronchin à Grimm, 27 septembre 1778, JLW, p.219-20.

[63] Catherine II à Grimm, 19 [30] octobre 1778, SRIO, t.23, p.106-107.

[64] Grimm à Wagnière, 19 novembre 1779, JLW, p.326.

[65] Grimm à Catherine II, 27 février [10 mars] 1780, SRIO, t.44, p.140.

[66] Catherine II à Mme Denis, 15 octobre 1778. Voir la Correspondance littéraire d’octobre 1778 (CL, t.12, p.168-9), le Mercure de France (5 décembre 1778, p.61-2), la Correspondance secrète, politique et littéraire (Paris, 1787) à la date du 26 décembre 1778, t.7, p.184-5 et le Répertoire des nouvelles à la main. Dictionnaire de la presse manuscrite clandestine, XVIe-XVIIIe siècle, dir. François Moureau, Oxford, 1999, p.415.

[67] Grimm à Catherine II, 15 [26] février 1779, SRIO, t.44, p.39.

[68] La vente subite de la bibliothèque incita Panckoucke à précipiter son voyage à Ferney; il craignait que les manuscrits qui devaient lui servir pour la nouvelle édition fussent remis à Grimm. Voir Mme Denis à Wagnière, 11 août 1778 (« Panckoucke est inquiet de la manière dont nous ferons venir nos papiers, il veut aller les chercher lui-même », JLW, p.165) et ibid, [11 août 1778] (« M. Panckoucke vous rendra cette lettre, mon cher Wagnière, et vous pouvez lui donner tous les papiers cachetés de votre main et de celles de M. Christin. […] Ne déballez pas les livres, ils sont à l’Impératrice. J’ai donné ma parole qu’on n’en distrairait pas un livre », JLW, p.165).

[69] Grimm à Tronchin, [fin décembre 1778 ou début janvier 1779], BGE, Archives Tronchin 176, f.24.

[70] Grimm à Tronchin, 30 novembre 1778, JLW, p.269.

[71] Voir note 33 supra.


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© IMV Genève | 01.07.2007