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Gazette des Délices

 

Par Flávio Borda d’Água

Une fois n’est pas coutume : Voltaire cède la tribune au Procureur général de la République de Genève, Jean-Robert Tronchin, ainsi qu’à l’auditeur Bonnet. Nous sommes en 1764 : Voltaire vient de faire publier son Dictionnaire philosophique portatif. Cet ouvrage suscite dès le départ une vive polémique puisque le philosophe y condamne fortement la religion, comme à son habitude. Des questions se posent néanmoins quant au lieu d’édition. Il est certes mentionné que l’ouvrage est publié à Londres mais très rapidement nous nous apercevons qu’il l’est à Genève et de surcroît chez Grasset. Cela n’est pas très difficile puisque Voltaire réside depuis octobre 1760 au Château de Ferney après avoir occupé jusque là sa résidence des Délices.
Le document que nous vous proposons est le premier acte de condamnation du Dictionnaire philosophique portatif. Il s’agit du Procès criminel n° 11296 (1ère série) que nous avons extrait des Archives d’État de Genève (AEG). Le procureur général Tronchin y condamne le livre à être brûlé et lacéré. Le corps du délit est uniquement le livre et non son auteur. Au contraire de Jean-Jacques Rousseau qui est condamné de prise de corps et dont l’Émile sera lacéré et brûlé en 1762.
Le Dictionnaire philosophique subit ensuite une série d’accusations à travers l’Europe. Considéré, comme nous le lirons dans les conclusions du procureur Tronchin, comme « téméraire, impie, scandaleux, destructif de la Révélation », il sera condamné dès décembre 1764 à Amsterdam, puis à Berne, à Paris et sera ensuite mis à l’Index par Rome. Un des derniers actes contre cet ouvrage sera celui qui clôt le procès du Chevalier de la Barre, où à Abbeville livre et chevalier seront brûlés sur le même bûcher.
Passons maintenant à la présentation même du document. Il s’agit de la procédure complète intégralement retranscrite. Nous avons décidé de garder l’orthographe et l’accentuation originale du document des AEG. Cette procédure dure une dizaine de jours entre le 10 et le 20 septembre 1764 et est composée de 18 folios in-4° dont les documents se distribuent de la manière suivante :

  1. Verbal de l’auditeur Bonnet du 10 septembre 1764
  2. Déposition de Barthélémy Chirol
  3. Verbal de l’auditeur Bonnet du 11 septembre 1764 sur la déposition de Barthelemy Chirol, et sur celle d’Eve Lequin, femme Grasset, daté du 12 septembre 1764
  4. Déposition de la femme Grasset
  5. Verbal de l’auditeur Bonnet du 14 septembre 1764
  6. Conclusions du procureur général Tronchin du 20 septembre 1764

Les acteurs de ce procès sont donc Barthélémy Chirol, libraire ; Eve Lequin, femme de l’imprimeur Grasset ; Bonnet, l’auditeur de justice et Jean-Robert Tronchin, procureur général.


1. Verbal de l’auditeur Bonnet du 10 septembre 1764

Nous Auditeurs – Soussigné, Certifions ; Qu’ensuite des ordres de Messegineurs, à nous intimés par le Seigneur – Lieutenant, nous nous serions transporté suivi de Charles, de nos Huissiers, chez tous Marchands – Libraires, en gros, & en détail, & chez tous loüeurs, & loüeuses de Livres, & nous leur aurions intimé defenses expresses de vendre, débiter, prêter, loüer, ou échanger le Livre, intitulé : Dictionnaire Philosophique Portatif. Londres MDCCLXIV. ; auxquelles defenses les prénommés nous auroient promis de se confromer respectüeusement. Et les ayant sommé de nous déclarer quels exemplaires dudit livre, seroient en leur pouvoir, ils nous auroient déclaré n’en avoir aucun, à la reserve du Sieur Chirol, commis autorisé au commerce de librairie du Sieur Claude Philibert, domicilié à Coppenhague, lequel nous ayan accusé d’en avoir reçû deux exemplaires, comme marchandise de commerce, avant la défense, nous l’aurions sommé de nous les representer ; & nous en aurions fait parvenir l’un au Seigneur-Premier-Syndic, Seigneur-Scholanque, selon nos ordres ; & nous aurions déposé l’autre exemplaire en la chancellerie. De tout quoy nous aurions dressé, & signé le présent verbal : A Genève, ce 10.me Septembre de l’an 1764 :
Bonet, Auditeur


2. Déposition de Barthélemy Chirol

Du onzième Septembre 1764 :
Barthelemy, fils de feu Barthelemy Chirol, natif, commis au commerce de Librairie, du Sieur Claude Philibert, âgé de 33 ans ; assigné, et assermenté, a dit par les Généraux pertinemment ; & au fonds dit, & dépose :
Qu’il y a déja plusieurs mois que divers particuliers, étrangers, et autres, ont voulu acheter du déposant, le Livre intitulé, Dictionnaire Philosophique portatif : qu’il n’avoit point vû ce Livre, & qu’il n’a point écrit dans l’étranger, pour se le procurer. Qu’il aprit il y a environ trois semaines d’une personne dont il a oublié le nom, que la femme du Sieur Grasset, imprimeur, avoit quelques exemplaires de ce Livre ; que le deposant harcelé par les étrangers qui lui demandoient cet ouvrage, & n’en connoissant point la nature, en fit demander quelques exemplaires à la dite femme Grasset, qui lui en envoya environ une douzaine ; qu’il ignore si cette femme en avoit d’autres, qu’il les a tous vendu dans Geneve, à raison de ces six Livres de France, le volume à des étrangers, à la reserve de deux exemplaires, qui lui étoient demandez en Suisse, où il les envoya ; et des deux exemplaires qu’il nous remit le jour d’hier.
Qu’il ignore le lieu de l’impression de cet ouvrage et ne sauroit donner aucune lumière sur cet objet, & a dit n’avoir autre à déposer.
Répeté, Lecture faite, a persisté, & a signé avec nous.
Bmy Chirol
Bonet, Auditr.


3. Verbal de l’auditeur Bonnet du 11 septembre 1764 sur la déposition de Barthelemy Chirol, et sur celle d’Eve Lequin, femme Grasset, daté du 12 septembre 1764

Nous Auditeur – Soussigné, Certifions, Qu’ensuite des ordres de Messeigneurs, nous aurions mandé Barthelemy Chirol & nous aurions redigé sa déposition par écrit, jointe à ce present verbal par nous dressé, & signé en foy de ce que dessus : Du 11 Septembre 1764.
Bonet, Auditeur.

Nous Auditeur – Soussigné, Certifions ; Que sur les ordres du Seigneur-Premier-Syndic, nous aurions mandé Eve Lequin, femme Grasset, & ayant reçû sa deposition par écrit, nous l’aurions annexée à ce verbal, par nous dressé, & signé ; le 12me Septembre 1764.
Bonet, auditer.


4. Déposition de la femme Grasset

Du douzième Septembre 1764
Eve, fille de feu Claude Lequin, femme de Gabriel Grasset, Imprimeur, âgée de 31 ans ; assignée, & assermentée, sur les Généraux a dit pertinemment ; & au fonds dit, & dépose :
Qu’elle connoit l’ouvrage intitulé, Dictionnaire Philosophique Portatif : Que vers la fin du mois dernier, un colporteur inconnu à la deposante, vint à l’imprimerie de son mari, demanda à acheter des Catechismes, & autres petits Livres de devotion : Que cet homme offirt à la Déposante douze exemplaires en feuille du Livre sus-nommé, qu’elle l’acheta sur le titre, à raison de vingt & un sols l’exemplaire : Qu’elle aprit que le Sieur Chirol étoit pressé par plusieurs particuliers de leur vendre cet ouvrage, & qu’elle luy en remit la collection entiére, ou les douze exemplaires qu’elle avoit acheté du colporteur, à raison de trente sols l’exemplaire : Qu’elle a apris que cet ouvrage que la déposante ne connoit que le titre étoit plus repandu, mais qu’elle affirme qu’elle n’a jamais possedé que les douze exemplaires qu’elle a livré au Sieur Chirol, & qu’elle n’en a vendu à personne autre : Qu’elle ignore entiérement le lieu où ce livre peut avoir été imprimé, et ne sait d’autres particularités sur cet objet, que le contenu en la présente déposition, à laquelle elle a dit n’avoir autre à ajouter.
Répeté ; Lecture faite, a persisté ; & a signé avec nous.
Eve Lequin fame Grasset
Bonet, Auditer.


5. Verbal de l’auditeur Bonnet du 14 septembre 1764

Nous Auditeur – Soussigné, Certifions : Qu’ensuite d’ordres de Messeigneurs, nous nous serions transporté, suivi de Charles, de nos Huissiers, chez Grasset, Imprimeur, & ayant visité son Imprimerie, avec attention, nous n’y aurions trouvé, qu’une nouvelle Edition des Psaumes de David, mis en vers François, réimprimée par les frères Martin, Livraires de cette ville ; & un commentaire Latin, sur le Droit Canon, d’un auteur Allemand, réimprimée par les frères de Tournes : Qu’il nous auroit consté de même, de la revüe exacte, que nous aurions fait dans les chambres, & Dependances dudit Imprimeur, que loin d’avoir aucun exemplaire du Livre prohibé, sa collection de Livres, reliés, cousus, & en feuille ne renferme que ceux de Devotion de nôtre Eglise ; & ne sort pas de ce genre : Sommé ledit Grasset de nous avoüer la vérité sur l’ouvrage prohibé, il auroit confrimé en tous points, l’allegué de sa femme en déposition ; en ajoutant que le colporteur à lui inconnu lui a dit que cet ouvrage se réimprimoit à Roüen ; & qu luy marchand Forain en avoit nombre d’autes exemplaires au village de Carrouge : Qu’ayant aussi mandé de nouveau, Barthelemy Chirol, ensuite des ordres prédits, ledit nous auroit affirmé par serment n’avoir aucun souvenir du nom de la personne qui lui aprit que la femme Grasset possédoit quelques exemplaires du Livre prohibé, à laquelle il les fit demander par un billet qu’il envoya par son apprentif, ce que cet enfant nous auroit confirmé : En foy de quoy ; nous aurions dressé, & signé ce present verbal, fait à Geneve, ce 14me. Septembre de l’an 1764.
Bonet, Auditeur.


6. Conclusions du procureur général Tronchin du 20 septembre 1764

Magnifiques et très Honorés Seigneurs
Engagé par des ordres Superieurs dans un travail de nature à ne pas souffrir d’interruption, je n’ai pû parcourir qu’assés superficiellement l’ouvrage dont VV. SS. m’ont fait remettre un Exemplaire ; Cet Ouvrage intitulé, Dictionnaire Philosophique portatif, Londres, 1764. est un Monument deplorable de l’abus qu’on peut faire de l’esprit et de l’érudition.
C’est un melange de discussions critiques, litteraires, et Metaphysiques, dans lequel on trouve quelques verités interessantes noyées dans une foule de paradoxes funestes ; Si dans l’article de l’athéisme l’auteur annonce hautement l’Etre des Etres, s’il l’annonce comme Gouverneur du Monde, remunerateur et vendeur, s’il peint l’atheisme comme un delire monstrueux et pernicieux à la Société humaine, il affoiblit bien-tot les consequences de ces verités Salutaires par les doutes qu’il repand sur les dogmes de la resurrection et de la Spiritualité de l’ame, et par les probabilités auxquelles il semble reduire son immortalité ; La Morale peut encore souffrir de ces recherches indiscretes sur Le Destin, La Liberté et La Chaine des événemens ; Ces questions si profondes, si vaines, et si vainement agitées, où va s’abymer la Raison la plus Sublime, où après cent mille detours on se retrouve exactement au point d’où l’on etoit parti, mais plus malheureux peut-être par les lumières Sombres qu’on a entrevües ; Ces questions follement curieuses, pourroient etouffer chés les Hommes des remords qu’il faut aiguiser ; Elles pourroient endormir des Coupables dans le sein du Crime en les berçant de l’opinion qu’ils y ont été entrainés par la force d’une necessité irresistible.
Mais c’est sur-tout à la Religion Revelée que l’anonyme adresse ses traits ; Il soumet quelques uns de ses Dogmes les plus importans à la plus audacieuse critique ; Il l’attaque dans ses Monumens historiques, dans les Miracles sur lesquels elle s’apuye ; Il rassemble avec complaisance contre ces miracles les objections qu’il croit les plus redoutables, il leur donne une piquante tournure, et il ne les resout qu’en paroisant soumettre sa  Raison à une Foi dont il y essayé de rendre l’objet impossible et ridicule ; Comme si la Sagesse Divine pouvoit prescrire une croyance qui scandalisât le Bon Sens ; Mais du moins nous pouvons rendre à l’auteur la justice qu’il n’est pas un Ennemi deguisé, Il sçait bien qu’il ne se montre jamais plus dangereux que quand il se pare de la docilité la plus humble, et que c’est lors qu’il paroit prodiguer à la Religion ses hommages, qu’il l’insulte plus amérement.
Comme parmi les Communions qui partagent les Chrétiens, la Communion Romaine est celle sur laquelle l’anonyme s’acharne le plus, aussi entre les deux Révélations, l’ancienne est l’objet de sa plus mordante Satyre ; Il oublie ou plutôt il ne se ressouvient que trop, que la Religion Judaique est le tronc sur lequel est entrée la Religion Chrétienne, et qu’on ne peut entamer le Corps de cet arbre antique, sans faire perir sa Branche la plus précieuse ; Après avoir contesté l’authenticité des Livres du Vieux Testament, après avoir essayé de verser sur ses Heros le mepris ou la haine, il prend ces Livres dans le detail, Il choisit les faits qui etonnent le plus la Raison, et qui peuvent ne l’etonner, que parce que nous n’en connoissons ni les accessoires ni les Motifs ; Il transcrit avec affection des passages des propheties, qui entendus dans le sens litteral, seroient indignes de la Magesté Divine ; Et s’il avertit du sens figuré qu’y reconnoissent les Interpretes, l’air d’ironie qu’il met dans cet avertissement, en est un de s’en defier ; avec un tel artifice, il n’y a ni auteurs ni Histoires qu’on ne puisse rendre ridicules ou odieux.
Ajoutons que la forme de ce Livre dans lequel les Matieres sont distribuées par ordre Alphabetique en rend les fonds plus dangereux ; Ce n’est point un Système, dont les propositions dependantes les unes des autres, n’ont de force qu’autant qu’elles se prouvent mutuellement, qui seduit difficilement cet ordre nombreux de lecteurs hors d’etat de suivre la Chaine des idées, et dont le defaut seroit aisément apperçû par ceux qui pourroient l’embrasser ; Ce sont des articles detachés, dont l’arrangement commode leur laisse la malheureuse facilité d’y trouver ce qui peut les flatter le plus, et qui est le plus proportionné au degré de leur intelligence.
Si l’on excepte un petit nombre d’endroits où l’on rencontre des traits d’une verité brillante et d’une Morale utile, le reste n’est fait que pour allarmer les ames pieuses et les Magistrats Protecteurs de la Religion ;  Il faudroit un volume plus considerable que celui de l’auteur pour en relever les erreurs, la malignité et l’indecence ; Mais le compte succint que je viens d’en rendre n’anonce que trop dequel œil l’ouvrage doit être envisagé.
Mais en vengeant la Religion outragée, la Justice doit être attentive à ne pas la blesser ; Il y a des injures qu’il vaut mieux quelque fois dissimuler que punir, et j’avoue que dans celles de ce genre une vengeance eclatante me paroit le plus souvent choquer son objet.
Elle devroit être reservée pour ces Ouvrages dont la publicité ne permettant plus de menagemens, exige indispensablement, que par une improbation Sévére et Solemnelle on les denonce au Public comme pernicieux : Cet appareil est sur-tout necessaire quand par l’impression du Livre dans le lieu de la Jurisdiction, il joint au delit contre la Religion, une violation de l’ordre et des Règles de la Police.
Mais pour les Livres qui sont ou qui paroissent imprimés chés l’Etranger et qui ne sont que peu ou point repandus, la vigilance du Gouvernement doit être employée toute entière à empêcher qu’ils ne se repandent ; Les Jugemens d’eclat n’y sont donc pas propres ; Les flammes auxquelles on condamne un Livre, allument, Si je l’ose dire, la curiosité publique ; Il etoit peu connu, De ce moment il va aquerir de la célébrité ; Il y en avoit peu d’exemplaires, on en sera bien-tôt inondé ; Et au lieu d’etouffer dans sa Naissance un poison contagieux, on en  precipite le progrés et la circulation.
J’estime donc que dans le cas où un Ouvrage dangereux est renfermé dans un petit nombre de Mains, il sera de la Sagesse d’en saisir dans le silence les Exemplaires, d’en défendre sévérement l’introduction et le debit, et de veiller plus sévérement encore à l’exécution de ces defenses ; C’est ainsi qu’en usèrent VV. SS. il y a très peu de tems à l’egard d’un livre infame intitulé L’aretin : Ces condamnations au feu trop multipliées en affoiblissent d’ailleurs l’impression, et les reduisent à une cérémonie d’etiquette ; Et si dans ce cas particulier on pouvoit se dorner aux precautions dont je viens de parler, il n’est pas douteux qu’on ne rendit à la Religion un véritable service.
Mais dans l’etat des choses ces Menagemens peuvent avoir leur delicatesse ; En déférant cet Ouvrage à l’examen des Seigneurs Scholarques et en m’en faisant remettre un Exemplaire, VV. SS. peuvent se croire engagées ; La Sévérité semble ne devoir plus dependre que du Caractere de l’ouvrage, et le Caractere de l’ouvrage est bien loin de meriter du menagement ; Il faut avoüer encore que ce livre, quoi qu’il ne paroisse pas imprimé dans cette ville est très suspect de l’avoir été ; Enfin il est vrai qu’auprès du Public qui ne sçait et qui ne veut pas toûjours faire des distinctions réelles et raisonnables, un Jugement moins frappant paroitroit contraster avec un autre Jugement devenu trop fameux ; On se trouve ici entre des intérêts et des convenances qu’il n’est pas aisé de concilier.
Cet Ouvrage est imprimé depuis prés d’une année, et cependant on n’en a trouvé chés les Libraires que deux Exemplaires ; Si VV. SS. pensent qu’etant assés ignoré dans cette Ville, on en previendra plus Sûrement la publicité par une Suppression que par une fletrissure ; Si Elles estiment qu’une Sévére animadversion contre ceux qui l’ont repandu, exprimera suffisamment leur indignation et avec moins d’inconvenient pour la Religion ; Si Elles croyent que la Sévérité contre les Imprimeurs et les Distributeurs des Livres dangereux, est le moyen le plus efficace de les prevenir ou de les etouffer, et que c’est même le seul efficace ; Si Elles jugent enfin que des menagemens politiques auxquels il est triste, je l’avoue, mais peut-être convenable de déférer, doivent balancer l’autre consideration politique que j’ai indiquée ; cet exercice de leur Sagesse doit réunir les Suffrages de toutes les personnes sensées ; Mais ces combinaisons dignes des Magistrats Supérieurs, appartiennent moins au Ministre de la Loi qui, jusqu’à un certain point, doit être aveugle comme Elle ; Et plus obligé de juger l’ouvrage en lui-même que de peser les consequences de ce Jugement, malgré les inconveniens que jai remarqués dans la fletrissure, je crois du devoir de ma place de la requerir ; Ne fût ce que parce que cette requisition annonce par elle-même ce qu’on doit juger de cet ouvrage scandaleux.
Par ces considérations je concluds à ce que le Livre intitulé, Dictionnaire Philosophique portatif, Londres, 1764 qui commence par l’article Abraham et finit par l’article Vertu, soit lacéré et brulé au devant de la Porte de l’Hôtel de Ville par l’Executeur de la Haute Justice comme temeraire, impie, Scandaleux, destructif de la Revélation ; Qu’il soit faites inhibitions et defenses très expresses à tout Libraires, Imprimeurs et Colporteurs d’en imprimer, vendre ou distribuer à peine d’être poursuivis extraordinarement ; En joint à tous ceux qui en auroient des Exemplaires de les rapporter dans trois jours en Chancellerie.
Par rapport à Barthelemi Chirol, Commis dans la Librairie de l’Hoirie Philibert, attendu que dans sa deposition il a confessé librement d’en avoir vendu dans cette ville dix Exemplaire à lui remis par la Femme Grasset, qu’il ne les a vendus qu’à des Etrangers, et qu’il n’est pas suspect de faute plus grave, Je concluds à ce qu’il soit mandé pour en être censuré, Defenses à lui faites de recidiver sous de plus grandes  peines et telles qu’il appartiendra, et aux depens de la procedure en ce qui le concerne.
Et quant à Eve Lequin, Femme de Grasset Imprimeur, convaincue tant par sa deposition que par celle de Chirol, d’en avoir remis au dit Chirol douze Exemplaires de les avoir la prémiére introduits dans cette Ville, et par cela même qu’elle ne peut nommer la personne de qui elle les tient, d’etre ulterieurement et fortement Suspecte ; A ce qu’elle soit mandée pour en être très grievement censurée ; condamnée à en demander pardon à Dieu et à la Seigneurerie, à huit jours de prison dont quatre en Chambre close qu’elle subira après son accouchement s’il n’est jugé convenable auparavant, à cinq cent florins d’amende, et en ce qui la touche, aux depens de la procedure.
J’estime encore qu’il y a lieu de mander Gabriel Grasset, de le censurer fortement de sa Negligence sur ce qui entre et sort de son Imprimerie ; de lui enjoindre très expressement d’y veiller à l’avenir attentivement, à peine d’en repondre en son propre et privé nom, et de se conformer exactement aux Reglemens de la Librairie à peine d’être cassé irrémissiblement et puni ulterieurement s’il y echet.
20 7bre 1764   Tronchin, P. Gal.


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© IMV Genève | 28.01.2010