La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
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Gazette des Délices

 

par Gregor Chiliamovitch

Les paroles s’envolent ? C’est entendu. Les écrits restent ? Le fait est attesté. Hélas !, les derniers développements technologiques devraient peut-être nous inciter à sortir de nos maximes douillettes pour pondérer le proverbe d’un œil neuf. Pour ne rien simplifier, même fors toute contemplation nostalgique du bon vieux temps, l’historiographe fera remarquer que de son point de vue, la question ouvre des horizons diversement réjouissants selon l’angle sous lequel on considère l’adage. Pour l’heure, nous restreignons notre propos à la plus riante de ces perspectives, pour partir sur les traces d’un oiseleur d’une sorte un peu particulière : un éditeur phonographique.
À dire vrai, Patrick Frémeaux est sans doute le seul oiseleur à occuper une activité « de niche ». Mais n’anticipons pas. Ses aventures s’ouvrent sur une scène de bal populaire, lorsqu’en association avec son épouse il fonde au début des années 90 la maison Frémeaux & Associés et sort dans la foulée une histoire discographique de l’accordéon musette. De cette base très « jambon-beurre », les activités de la maison ne tarderont pas à se ramifier en une entreprise à prétention encyclopédique, pour toucher d’abord au jazz manouche, puis au blues, dont les musiques latino-américaines seront un prolongement naturel, pour couvrir à terme une grande partie des traditions musicales ethniques et populaires.
Ce ne sera qu’un premier pas, car Patrick Frémeaux réalise vite qu’il passe ce faisant à côté de tout le patrimoine « sonore » sans être « musical » à proprement parler. La maison étend alors encore ses ambitions, ce qui la conduira rapidement à proposer des enregistrements de discours historiques, des livres audio, des enregistrements bioacoustiques (on entend par là la stridulation des cigales sous les frais rayons du soleil s’élevant dans le ciel de Provence), des conférences. Le lecteur se réjouira d’arpenter les travées du catalogue en ligne pour y trouver, par exemple, une Anthologie sonore du socialisme, l’allocution de Robert Badinter à l’Assemblée nationale sur la peine de mort, Candide lu par Jean Topart, la Contre-histoire de la philosophie par Michel Onfray (140 CD, 480’000 exemplaires vendus) ou alors Pinsons, bouvreuils & Cie (nous y voilà !).
Telle que présentée jusqu’ici, l’entreprise donnera sans doute l’impression d’un emballement incontrôlé ; il y a sans doute à l’origine un peu de cela (« La conquête fut facile ; moins on en sait, moins on croit qu’il faut en savoir. »), mais il ne faudrait pas penser néanmoins que l’entreprise a négligé de circonscrire ses activités d’un solide rempart philosophique érigé en une culture d’entreprise développée point par point sur le site de la maison, et qui en fait la spécificité.
Il serait sans doute étrange, et à vrai dire incohérent, de ne parler d’un éditeur phonographique accordant tant d’importance à l’oralité qu’en renvoyant à un terne « manifeste ». Il aurait pourtant fallu s’en contenter si Histoire vivante n’avait fait voici quelques mois à Patrick Frémeaux les honneurs d’un passage sur les ondes. Le site de l’émission (souvent excellente par ailleurs) propose les enregistrements de trois entretiens de 50 minutes durant lesquels Patrick Frémeaux, soumis au feu roulant des questions du sagace (quoique têtu) Jean Leclerc, développe une philosophie dont voici un résumé extrêmement compressé :

  • Le son est un médium « chaud ». La relation qui se tisse entre l’émetteur et l’auditeur est plus intime qu’elle ne le serait avec un médium écrit ou audio-visuel.
  • À ce titre, le patrimoine « sonore » (oral ou musical) mérite, ne serait-ce qu’à des fins pédagogiques, d’être sauvegardé et porté à la connaissance du public, si possible au plus près de son état d’origine, dans une optique à long terme, et édité de manière à faire sens du point de vue historique.
  • Il faut viser (du moins pour ce qui est des enregistrements musicaux) une exhaustivité suffisante pour faire du catalogue « une vitrine de la francophonie dans le monde, une vitrine du monde dans la francophonie, une vitrine du monde dans le monde ».
  • La liberté nécessaire à cette politique éditoriale exigeante ne peut exister qu’en conservant une autonomie financière durable.
  • Bref : « Concilier une mission d’utilité publique avec la rigueur du secteur privé »

En bonus, les entretiens offrent quelques anecdotes piquantes sur les tendances névrotiques des collectionneurs, des réflexions sur la révolution numérique ainsi que quelques idées pointues quant à l’avenir chancelant de l’industrie du disque.
Avouons-le tout de suite, nous ne sommes pas loin de la compromission : faire la promotion d’un acteur privé dans le journal d’une institution publique dix-huitiémiste, passe encore ; y parler de branle-poumons, ça non. Il nous semblait pourtant valoir la peine, pour une fois, de violer le canon du service public. Outre les considérations purement sonores, dont nous n’avons aucun doute que notre lecteur saura en déceler l’intérêt intrinsèque, il nous a paru que la trame du discours était en fin de compte transposable à merci et que les liens à tisser entre le monde du verbe péniblement domestiqué et celui de la lettre docile devenaient infiniment plus nombreux que ce qui pouvait les séparer. Conservation, transmission, diffusion, tendances névrotiques, avenir chancelant, sans même parler de politique culturelle : rien qui soit étranger à un rat de bibliothèque, réellement.

Liens :
www.fremeaux.com
www.rsr.ch/la-1ere/programmes/histoire-vivante

Pour poursuivre dans l’audiovisuel : www.ina.fr



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© IMV Genève | 11.10.2010