La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
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Confessions genevoises
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Les visiteurs de l’Institut et Musée Voltaire peuvent découvrir, jusqu’au 29 février, notre huitième exposition temporaire intitulée Confessions genevoises : de Jean-Jacques Rousseau à Georges Haldas. Un montage audio-visuel leur propose, dans la salle Le Kain, une lecture comparée des œuvres de Rousseau et Haldas. Nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs de lire quelques courts extraits de l’interview que Georges Haldas avait réalisée en 1978 dans le cadre des Radioscopies de Jacques Chancel, agrémentées de quatre des images chargées d’illustrer ses propos. Rappelons que cet enregistrement est disponible aux archives de l’INA, où il peut être entendu gratuitement : il vous suffit de cliquer ici et d’indiquer « Haldas » dans la case « recherche ».

Première séquence : Georges Haldas et la double origine



GEORGES HALDAS : D’abord je ne suis pas tout à fait Suisse, parce que mon père était Grec, et que j’ai vécu une partie de mon enfance en Grèce. Puis une autre partie, la fin de mon enfance à Genève, et donc s’il est difficile d’avoir ce qu’on appelle une patrie, il est peut-être encore plus difficile d’en avoir deux. Nous parlerons peut-être de cela.
JACQUES CHANCEL : Oui, mais sans doute la civilisation hellénique vous a-t-elle terriblement marqué ? On ne peut pas résister à une telle richesse, à un tel embellissement...
GEORGES HALDAS : C'est-à-dire qu’il n’y a pas de priorité, la civilisation est une chose et puis la vie vécue en est une autre. Alors c’est vrai que j’ai vécu cette partie de mon enfance en Grèce, une autre à Genève, et alors ? C’est tout un problème pour quelqu'un qui écrit. Parce que s’il est vrai que la plupart des écrivains représentatifs ont été enracinés dans une terre – pensez ce que c’est pour un Tchekhov et pour les Russes, la terre russe ; pensez ce que c’est pour Machado les plateaux de la Castille – je me trouve personnellement, comment dire, dépouillé de cet enracinement, j’ai deux patries, deux enracinements, et le problème qui présente de grands désavantages, croyez-moi, peut-être aussi présente des possibilités. C’est-à-dire ma patrie c’est peut-être la relation, la relation aux autres.
JACQUES CHANCEL : Le partage…
GEORGES HALDAS : Peut-être le partage c’est beaucoup dire, vous savez, parce que le partage ça se conquiert, ça n’est pas donné. Il faut aller à l’autre, il faut lutter, il faut parfois, et aussi de cela nous reparlerons peut-être, il faut mourir à l’autre pour que quelque chose naisse.

Deuxième séquence : La fonction de l’écrivain, le sentiment poétique



GEORGES HALDAS : Tous les matins, quand je travaille à ces petits carnets qui ont constitué l’État de poésie, naturellement une des questions fondamentales c’est, quand tu te mets à écrire tous les matins sur ceci ou sur cela : quelle est ta fonction ? Ta fonction par rapport à toi-même, par rapport à la société, par rapport aux êtres – car ce n’est pas du tout la même chose la société civile et les êtres – et puis, je m’excuse du terme un peu emphatique, par rapport à l’homme. Qu’es-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu dis ? Et c’est peu à peu que j’essaye de voir clair dans ce que ça représente écrire. Si par exemple, il se trouve que je suis profondément ému devant une vieille cour, avec un vélo dans une cour, avec un laurier, des choses humbles et pauvres qui me semblent infiniment plus belles que le Parthénon, ou qu’un coucher de soleil en Grèce ou en Amérique latine, je m’aperçois d’une chose, je prends un exemple, c’est que les choses humbles sont transfigurées, elles atteignent à la beauté, que les êtres les plus démunis tout d’un coup m’apparaissent seuls dignes d’intérêt. L’humanité éclate dans des êtres que l’on dit perdus, alors que tous les personnages arrivés dans la société ne m’inspirent aucun sentiment poétique.

Troisième séquence : L’exil face à l’éternité




JACQUES CHANCEL : Georges Haldas, tout à l’heure nous parlions des deux pays, qui sont vos pays, c’est-à-dire la Grèce et la Suisse, et il y a peut-être chez vous à la fois la nostalgie de l’unité et puis peut-être le sentiment d’exil…
GEORGES HALDAS : Bien sûr, d’un double exil. Si je me sens en Suisse française, vous imaginez facilement que je me sens en exil par toutes sortes aspirations, si j’étais en Grèce, j’ai le sentiment contraire. Mais peu importe le sentiment de mon exil. Je pense que quand l’homme parle, que l’homme qui écrit écrit, il écrit toujours au nom d’un exil qui est celui de tous, car je voudrais vous répondre aussi sans trop d’emphase, mais très simplement, que tout être au monde est un être plongé dans le temps, dans la finitude, dans la séparation, et qu’il aspire à cette totalité que j’appelle une éternité vivante et que nous sommes tous exilés de cette éternité que nous revendiquons. Sinon nous n’aurions pas tant de souffrance du mal et du temps qui passe. Si nous étions identifiés au temps qui passe, est-ce que nous serions si déchirés du vieillissement, de l’approche de la mort ? Non. Qu’on croie, qu’on ne croie pas à l’immortalité, je n’en sais rien. Nous sommes profondément marqués par le temps qui passe. Au nom de cette réalité, et tous. Je pense que quand on interroge les êtres, dans le tréfonds, ils se sentent tous exilés.

Quatrième séquence : Le père




GEORGES HALDAS : Je me rappelle les promenades que je faisais en Grèce avec mon père, quand nous allions le soir vers le phare, hors de la petite ville d’Argostoli à Céphalonie et que j’avais sept ans et que mon père me disait : « Tu vois, la mer est superbe, le ciel est beau. Regarde les lumières qui s’allument à Liksouri, tout ça c ’est l’apparence des choses. Mais les couleurs tout à l’heure vont passer et les choses vont changer. Qu’est-ce qu’il en est de tout ça, que savons nous ? » Et il me rajoutait quelque chose d’étrange, il me disait : « Peut-être que c’est seulement après la mort qu’on saura ce qui en est. » Alors petit je me disais qu’il faut peut-être mourir pour connaître les choses. Vous voyez comme ça a conditionné ? Lui, mon père était un homme qui se posait des questions fondamentales – quasi romantiques – mais authentiquement, qui en souffrait et qui ne pouvait pas répondre, comme on ne peut pas répondre aux grandes questions. Tandis que ma mère qui avait vécu pendant cinquante ans paralysée et qui ne se posait pas de grandes questions, mais  par son attitude, par sa vaillance, par sa douceur, par une espèce de constance, donnait de petites réponses de tous les jours.


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© IMV Genève | 08.01.2008