La revue électronique de l'Institut et Musée Voltaire
ISSN 1660-7643
       
         
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par Antoine Débois

    
       

 

     
 

 

La chaleur du soleil méridien écrase les rues de Paris en cette fin de juillet. Les rares Parisiens qui n’ont pas fui leur cité le temps d’un été se terrent dans la tiédeur soulageante de leurs appartements. On franchit la gare Saint-Lazare, presque vide, et l’on s’engage sur le boulevard Haussmann, direction rue de Monceau. Au 63, une petite plaquette surmontée d’un élégant fanion, nous annonce la présence du musée Nissim de Camondo.
La construction de l’hôtel fut ordonnée en 1910 par Moise de Camondo, fils d’un premier Nissim, sur les fondations de l’hôtel qu’avait habité sa mère de 1870 à 1910. Il fut immédiatement pensé comme l’écrin de son imposante collection. La construction d’un bâtiment inspiré du style classique ne s’avéra pas chose aisée en ce début de siècle, car Moise ne s’intéresse ni aux architectes dont le souci de la tradition stylistique ne reflèterait pas l’immense diversité de sa collection, ni à ceux dont le refus des styles contrasterait trop avec le destin qu’il réserve à son hôtel.
Son choix s’arrête sur René Sergent (1865 – 1927), qui s’inspire du Petit Trianon de Jacques Ange Gabriel pour dessiner les plans de l’hôtel. L’ancienne bâtisse est démolie à la fin 1910, et les premières pierres de la nouvelle sont posées au début 1911. La particularité des plans de Sergent réside dans le mélange stylistique : alors que la façade de la cour d’honneur rappelle l’architecture classique tardive, celles qui donnent sur le jardin sont plus modernes.

L’aménagement intérieur souffrit de quelques adaptations de dernière minute. En effet, c’est en 1911 que Moise acquiert la plupart des boiseries anciennes qui décorent les murs de sa demeure. Les plans furent donc modifiés en fonction des nouveaux achats : les boiseries de la salle à manger et de la bibliothèque, par exemple, déterminèrent la hauteur des fenêtres.
On passe la porte du musée, on s’acquitte des formalités nécessaires, puis l’on plonge dans la demeure. Le rez-de-chaussée retient surtout l'attention par la visite de la cuisine. Moise de Camondo fut en effet parmi les premiers à doter son hôtel particulier de tout le nouveau confort : on pourra donc voir entre autres un ascenseur toujours en fonction, un passe-plat, ainsi qu'une cuisinière moderne et une rôtissoire à l’ingéniosité remarquable.

C'est à l’étage, où chaque pièce se consacre à un thème, que figure l'essentiel de la collection. Il semble que tous y trouveront leur compte : les amateurs de mobilier pourront apprécier parmi les plus beaux ouvrages signés de célèbres ébénistes ; ceux qui ont un faible pour l’exotisme pourront s'arrêter devant d'impressionnantes collections d'estampes et de porcelaine chinoise ; ceux qui adorent la porcelaine européenne seront ravis par la délicieuse pièce où reposent des chefs-d'œuvre de Sèvres ; les amateurs de peinture ne sauront plus où donner de la tête, entre les séries de gravures et les œuvres prestigieuses de Huet, d'Oudry ou les impressionnantes huiles sur toile de Guardi ; sculptures, orfèvrerie, tapis orientaux ou tapisseries imposantes émerveilleront tout un chacun.

S'il serait insensé de vouloir relever ici toutes les merveilles exposées, oublier de mentionner la dernière pièce, où une vidéo nous conte l'histoire du musée, serait pur sacrilège. Car le musée Nissim de Camondo, avant d'être devenu le rendez-vous incontournable des amateurs du XVIIIe siècle et de l'art français en général, est surtout le témoin d'une famille au destin tragique.
Leur histoire commence à Constantinople avec Abraham-Salomon de Camondo. Ce banquier et homme d'affaire juif fut avant tout un philanthrope à l’esprit modernisateur. Constantinople lui doit alors le développement, entre autres, d’hôpitaux, d’écoles, du quartier financier, sans oublier les premiers tramways de la ville.
Son empire s’étend jusqu'en Europe où, après avoir activement soutenu l'unification de l'Italie, il est élevé au titre de comte, transmissible par primogéniture. En 1870, il vient s'installer à Paris avec ses deux fils, Isaac et Moise, y ouvrant officiellement la première succursale européenne de la banque Camondo. À son décès en 1873, sa réputation est telle que Constantinople, toute confession confondue, observe trois jours de deuil.
Ses fils n'ont pas hérité de l'ambition financière de leur père ; Isaac lui succède à la tête de la banque, sans toutefois s'y investir, car il préfère collectionner toutes formes d’art, des plus traditionnelles aux plus modernes. Il est également mélomane, musicien et compositeur. Sans femme ni héritier, il lègue sa collection au Louvre, à la condition qu'elle y reste cinquante ans sans être éparpillée.

Son frère Moise accumule aussi les passions - équitation, automobilisme, amateur de chasse et de yacht – et est saisi de la fièvre collectionneuse. Il cible toutefois plus précisément que son frère et s'intéresse d’abord à l'art décoratif du XVIIIe. Entouré de conservateurs de musées, d’antiquaires et d’experts, il passe l'essentiel de sa vie à acquérir des pièces avec un goût certain. Isaac ne s'étant jamais marié, la charge de transmettre le nom de Camondo lui revient : il épouse en 1891 Irène Cahen d'Anvers, qui lui donne deux enfants, Nissim et Béatrice. Cette idylle ne dure guère, car il demande le divorce en 1899.
Lorsque la guerre éclate en 1914, Nissim, jeune homme volontaire et patriote, s'engage dans l'infanterie. Dès 1916, il s'engage dans les nouveaux corps d'aviation. En septembre 1917, Nissim est porté disparu. Le chagrin accable son père, qui se renferme de plus en plus dans son hôtel. Cet événement le décide à léguer son hôtel particulier à la France, à la condition qu'il soit gardé en état, et qu'il serve de musée à la mémoire de son fils disparu, Nissim de Camondo. Moise s'éteint en 1935, et le musée ouvre ses portes le 21 décembre 1936.
La tragédie Camondo ne s'arrête malheureusement pas là. Béatrice et ses deux enfants, Fanny et Bertrand, décident de ne pas quitter Paris lors de l'invasion allemande. Grâce au sacrifice de son frère et au don d'une générosité inégalable de son père, elle se croit à l'abri des rafles. Elle se trompe. La même année, elle est arrêtée, avec son mari et ses enfants, et placée dans un convoi qui part pour Auschwitz. La lignée des Camondo s'efface alors définitivement.

Au musée Nissim de Camondo, l’histoire de l’art est devenue l’histoire d’une famille, et celle-ci à son tour l’histoire d’une nation. Culture, luxe, passion, patriotisme et amour filial, tout force à l’admiration dans cet endroit hors du commun.

 



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© IMV Genève | 21.08.2014